La transition écologique ne fait plus l’unanimité à droite. Une anecdote de 2018 tourne sur Laurent Wauquiez, répétée à Vert par le politiste Émilien Houard-Vial. À l’époque président du parti, il rend visite à l’école de formation des futurs cadres Les Républicains (LR). Les étudiant·es planchent sur une question sur les valeurs cardinales de la droite. L’écologie est absente de la liste. Le patron s’en agace et sermonne les jeunes prometteurs. Il faut se saisir de cet enjeu-là, leur aurait-il dit.

Sept ans plus tard, bien des choses ont changé. D’abord, Laurent Wauquiez n’est plus le chef du parti. Il vient de s’incliner lourdement face à Bruno Retailleau lors de l’élection interne du 17 mai dernier. Surtout, ces derniers mois, il a multiplié les positions d’habitude réservées à l’extrême droite, notamment sur l’écologie. Il s’est acharné contre l’Office français de la biodiversité (OFB), cette «coalition d’idéologues» qui «empêche les agriculteurs de travailler et de vivre dignement», selon lui. Au passage, il a manipulé l’histoire d’un agriculteur de Saône-et-Loire, prétendument «piégé et traqué» par l’OFB. «Une version totalement mensongère», a attesté Olivier Thibault, le directeur général de l’établissement public, le 29 janvier dernier, devant l’Assemblée nationale.
Il n’est pas le seul. Depuis le début de l’année, plusieurs caciques de la droite ont ciblé les agences publiques environnementales (notre article). Gérard Larcher, le président du Sénat, et Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, ont tour à tour remis en question l’efficacité de l’Agence de la transition écologique (Ademe)… avec une interprétation fallacieuse des chiffres. Ce qui a fait réagir le patron de l’organisme public, Sylvain Waserman, dans Libération : «Si on veut arrêter la transition écologique, il faut le dire. […] Le Rassemblement national propose de cesser de financer la transition écologique avec de l’argent public. Au moins, ça a le mérite de la clarté.»
Émilien Houard-Vial, fin connaisseur de la droite française, n’est pas étonné. Selon ce politiste, Les Républicains n’ont pas construit de pensée idéologique : «Ils se contentent de réagir à des faits d’actualité, comme la colère de certains lobbies agricoles contre l’OFB.»
«Le vrai problème pour le climat»
L’environnement, «cela commence à bien faire !». Quinze ans après la phrase choc de Nicolas Sarkozy, une frange de LR anti-écolo et proche des syndicats agricoles est de plus en plus audible. Théodore Tallent, chercheur spécialisé sur l’acceptabilité de la transition environnementale et le backlash («retour en arrière» ou «retour de bâton», en français) écologique, observe «un retournement» au sein du parti : «Il y a une partie de la droite qui veut poursuivre les régulations environnementales, tout en les modérant ; et une frange qui a décidé de changer de stratégie, d’adopter un discours proche des extrêmes droites européenne et française.»
Selon lui, les voix de personnalités LR défavorables à la transition – et jusqu’ici silencieuses – se sont libérées dans un contexte général de reflux sur les questions environnementales. C’est le cas de Laurent Duplomb, sénateur et auteur de la proposition de loi du même nom, laquelle vise à réintroduire certains néonicotinoïdes — des insecticides «tueurs d’abeilles» (notre décryptage). «Laurent Duplomb est l’archétype de ces élus radicalisés», a sifflé son collègue, le sénateur écologiste Ronan Dantec, dans les colonnes du Nouvel obs.

Éleveur laitier en Haute-Loire, conseiller agriculture de Laurent Wauquiez, ce même Laurent Duplomb poussait pour supprimer l’Agence Bio en janvier ou abroger le zéro artificialisation nette (ZAN), dont l’objectif est de limiter la bétonisation des terres agricoles et des zones naturelles. «Sur le climat, on peint un tableau plus noir qu’il ne l’est pour aiguiser les peurs, estimait-il, également auprès du Nouvel Obs. On est en train de retomber dans l’obscurantisme médiéval.»
Un discours qui relativise la gravité du changement climatique et que le spécialiste de la droite Émilien Houard-Vial avait déjà entendu dans les rangs de LR : cette désinformation «ne nie pas la réalité du changement climatique, mais plutôt sa gravité, la responsabilité de l’Homme, ou de la France.» En septembre 2023, Nicolas Sarkozy déclarait par exemple que «le réchauffement, ce n’est pas à cause du mode de vie des Occidentaux» et que «le vrai problème pour le climat» serait la population du Nigeria dans 30 ans.
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«Le réchauffement climatique est une réalité, je le subis tous les jours sur mon exploitation !», répond Sandrine Le Feur. La députée (Renaissance) du Finistère, elle aussi agricultrice, s’est opposée à Laurent Duplomb sur le sujet des néonicotinoïdes, ou sur le détricotage du ZAN. «On assiste à une “trumpisation” de certains élu·es LR sur les enjeux environnementaux, avec la remise en cause des agences et des normes environnementales, regrette-t-elle auprès de Vert. Ça a commencé avec le Rassemblement national, puis des LR durs se sont emparés du sujet, jusqu’à certains LR modérés.» Au sein du gouvernement, la ministre LR de l’agriculture Annie Genevard (notre portrait) soutient la loi Duplomb. Auprès de Vert, elle avait déclaré que les pesticides «sont les médicaments des plantes».
Dissensions internes
Théodore Tallent l’explique : «Certains acteurs politiques sont tentés de reproduire les narratifs de l’extrême droite sur l’écologie, mais aussi sur d’autres sujets comme l’immigration. Ils espèrent concurrencer l’extrême droite, qui leur a pris énormément de voix aux dernières élections.»
En 2023, certain·es élu·es LR alertaient sur l’urgence de construire «un discours écologique de droite», comme le député Antoine Vermorel-Marques, le conseiller d’Alsace Jean-Philippe Vetter ou la sénatrice des Hauts-de-Seine Christine Lavarde. En 2022, dans les colonnes du Monde, la sénatrice Agnès Evren, alors députée européenne, appelait «la droite [a] mettre clairement la transition écologique au cœur de son projet». Trois ans plus tard, «ce sont des gens que l’on n’entend plus», observe le politiste Emilien Houard-Vial. Contactés par Vert, aucun n’a répondu à notre demande d’entretien.
Le 12 mai dernier, au Sénat, Christine Lavarde a participé à la création d’un groupe transpartisan pour améliorer le traitement de l’écologie dans les médias, en partenariat avec l’ONG QuotaClimat. En tant que rapporteure de la commission d’enquête sur les missions des agences de l’État, elle avait déclaré que les agences publiques environnementales «n’étaient pas le problème», et avait évoqué le poids du lobby agricole, «extrêmement efficace» au Sénat, dans un entretien avec le média AEF info, en mars. Signe des dissensions au sein du parti, elle n’avait pas signé la proposition de loi Duplomb lors de son adoption au Sénat en janvier.
De son côté, en commission développement durable, le député Antoine Vermorel-Marques s’est exprimé contre la réintroduction de l’acétamipride – l’insecticide tueurs d’abeilles que veut réintroduire la loi Duplomb.
Une menace pour la transition
Le virage d’une partie de la droite peut «perturber l’ossature de la transition écologique en France et en Europe, selon Théodore Tallent. C’est le principal problème du backlash écologique : en voyant un parti de droite traditionnelle reproduire des narratifs de l’extrême droite, cela élargit la coalition anti-écologique, et ça légitime d’autant plus ces points de vue.» Les risques : paralyser le bloc central sur les questions écologiques, et voir une partie des responsables politiques «se droitiser» sur le sujet, ou abandonner complètement l’écologie «par peur de perdre leur électorat».
Le spécialiste de l’acceptabilité de la transition écologique le répète : d’après ses travaux sur terrain, l’opinion publique est plus écologiste que ce que les Républicains ou le RN font croire – y compris au sein de leur électorat. Mais, comme aux États-Unis où les électeurs de Trump sont devenus de plus en plus sceptiques et anti-écologistes, le changement de discours politique peut modifier les attitudes des citoyen·nes.
Pour ce qui est de la droite française, vous ne le saviez peut-être pas, mais Bruno Retailleau, le nouveau patron de LR, est l’un des seuls à avoir écrit un livre sur l’écologie, en 2021. On y lit notamment ceci : «Sans la main de l’homme, la “biosphère” serait pour beaucoup d’espèces – et pas seulement l’espèce humaine – un véritable enfer.» Peu importe que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) répète depuis des années que les activités humaines sont, «sans équivoque», responsables du réchauffement de la planète. À droite, pas sûr que le backlash écologique reflue de si tôt.