Portrait

Annie Genevard, la dame de terre : une ministre de l’agriculture en guerre contre l’«écologie punitive et décroissante»

Main de faire. En poste depuis septembre, cette ex-élue rurale mise sur la «souveraineté alimentaire» pour répondre à la colère agricole. Figure de la droite longtemps méconnue, la Franc-comtoise s’est fait connaître du grand public par ses positions controversées sur les pesticides ou l’agriculture biologique.
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Cette 61e édition du salon de l’agriculture, qui s’est achevée dimanche, elle avait promis d’en faire «le point de départ d’un nouveau souffle pour les agriculteurs». Mais dans quel sens ira la brise ? Depuis son arrivée au ministère de l’agriculture, le 21 septembre 2024, Annie Genevard navigue face à des vents contraires, entre reprise des mouvements de colère agricole et accusations de reculs majeurs sur l’écologie. «Mon dieu, qu’est-ce qu’il y a comme caricatures dans ce domaine», souffle l’intéressée, que Vert a jointe au téléphone.

Annie Genevard en novembre 2024. © Lionel Bonaventure/AFP

«Quand nous avons appris sa nomination, nous lui avons laissé sa chance, se souvient Laurence Lyonnais, éleveuse et porte-parole de la Confédération paysanne (syndicat défenseur d’une agrocéologie à taille humaine) dans le Doubs, département d’où Annie Genevard est originaire. Mais maintenant, nous sommes obligés de dire que nous sommes extrêmements déçus. Elle n’est pas capable de prendre en charge les crises agricoles qui continuent.» Même son de cloche du côté de la très droitière Coordination rurale : «Il y a beaucoup de grandes paroles mais, derrière, ça manque de concret, elle ne va pas assez loin», pointe son représentant dans le Doubs, Nicolas Bongay.

Comté, saucisse et fêtes paysannes

Il y a cinq mois, l’arrivée de cette figure de la droite au sein du gouvernement Barnier (elle a ensuite été reconduite par François Bayrou) avait surpris. Non pas pour sa capacité à gérer un ministère, tant cette ancienne maire, conseillère régionale, députée et même vice-présidente de l’Assemblée nationale est une habituée des appareils politiques. Mais plutôt pour son expertise sur les questions agricoles : Annie Genevard était plutôt pressentie pour l’Éducation nationale, elle qui a été professeure de lettres dans sa jeunesse, et qui s’est souvent engagée sur les questions d’apprentissage scolaire à l’Assemblée nationale.

«L’agriculture n’est pas son domaine de prédilection, elle essaye de faire son travail, mais on voit bien qu’elle n’a pas le fond», cingle le sénateur écologiste Daniel Salmon. Un «faux procès», répond le sénateur (Les Républicains) du Doubs Jacques Grosperrin, qui la connaît depuis plus de quarante ans : «Elle a été maire d’une commune rurale, elle est très proche des paysans !»

Députée du Doubs depuis 2012, Annie Genevard vante son attachement à ce territoire de moyenne montagne, où le comté est prince et l’élevage est roi. Issue d’une famille de notables (sa mère était députée et son père chef d’entreprise), elle n’a jamais travaillé dans le milieu agricole, mais ceux qui la connaissent louent son investissement dans la vie régionale. Comices agricoles, fêtes de la saucisse (spécialité de sa ville, Morteau), concours de labours… «Elle est très présente dans les manifestations qui rythment la vie rurale, et envoie régulièrement des petits mots de soutien aux habitants», reconnaît Laurence Lyonnais.

En revanche, sa proximité avec la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), syndicat majoritaire qui défend une agriculture productiviste, est souvent pointée du doigt. Son suppléant à l’Assemblée nationale, Éric Liégeon, en est d’ailleurs un adhérent historique, ancien vice-président de la fédération du Doubs. «La ministre est à l’écoute de tout le monde, je me souviens par exemple d’une rencontre en début d’année où elle avait convié tous les syndicats», défend l’intéressé auprès de Vert.

«On a l’impression d’avoir la FNSEA au ministère»

Reste que, depuis son arrivée au ministère de l’agriculture, Annie Genevard a porté des mesures très proches de celles prônées par la FNSEA. Loi d’orientation agricole, qui fait la part belle aux simplifications environnementales (notre article) ; propositions de loi sur l’épandage de pesticides par drone ou pour «lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur»… les textes qu’elle a soutenus au Parlement ont été salués par le syndicat hégémonique.

«On a l’impression d’avoir la FNSEA au ministère, comme dans les années Chirac», déplore François Veillerette, porte-parole de l’association Générations futures, qui milite contre l’usage des pesticides. Ce dernier compare la situation actuelle au temps où l’ancien président du syndicat majoritaire, François Guillaume, occupait ce poste, entre 1986 et 1988. «Elle se place dans la continuité de ses prédécesseurs, mais avec une empreinte encore plus à droite», alerte de son côté Laure Piolle, chargée des questions agricoles de l’ONG écologiste France nature environnement.

Aujourd’hui pilier des Républicains, Annie Genevard a discrètement monté les échelons, depuis sa première adhésion, en 1996, à ce qui s’appelait encore le Rassemblement pour la République (RPR). Au point d’être aujourd’hui la secrétaire générale de LR. Pour l’anecdote, c’est elle qui était entrée au siège du parti avec un double des clés, lorsque l’ancien président du parti, Éric Ciotti, s’y était barricadé après son alliance au Rassemblement national aux élections législatives de 2024.

«C’est une personnalité qui plait beaucoup, tout en ayant des valeurs qu’elle défend, confie Cédric Bôle (Les Républicains), qui lui a succédé en 2017 à la mairie de Morteau. C’est une main de fer avec un gant de velours». Femme d’ordre à la posture droite et au visage souvent fermé, Annie Genevard est connue de longue date pour ses positions conservatrices : sur le mariage homosexuel ou la procréation médicalement assistée (PMA). En mars dernier, elle faisait partie des cinquante parlementaires qui se sont abstenus au sujet de l’inscription de la «liberté garantie» à l’avortement dans la Constitution.

Une vision sécuritaire de l’agriculture

Depuis septembre, celle qui avait été moquée quelques jours après sa nomination par Le Canard enchaîné pour avoir «trempé» ses «escarpins Gucci» après une marche sous la pluie n’hésite plus à enfiler des bottes – des vraies – pour aller dans les fermes et marteler son concept phare : la «souveraineté alimentaire»«Dans ce moment de grand bouleversement de l’ordre international, la France doit affirmer sa souveraineté agricole comme un enjeu régalien et réarmer [sic] sa puissance alimentaire», défendait-elle encore le 23 février au salon de l’agriculture.

La Franc-comtoise en veut pour preuve ces exemples de filières menacées par les importations, qu’elle liste inlassablement : la volaille, les fruits, la noisette… Et tant pis si ce «réarmement» de la production doit passer par des reculs environnementaux.

«Alors que nous avions une certaine continuité depuis la trajectoire agricole fixée il y a dix ans, elle mène une politique de rupture», analyse le député socialiste Dominique Potier, qui s’inquiète d’une «contre-révolution sur la transition agroécologique»«Ma conviction est que produire davantage pour être autonome n’est absolument pas incompatible avec l’environnement», se défend Annie Genevard auprès de Vert (notre interview).

«Quand elle s’oppose à l’accord du Mercosur, c’est pour protéger les agriculteurs français, mais aussi pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre», abonde son soutien Éric Liégeon. Fait rare pour une ministre de l’agriculture, Annie Genevard s’était rendue à Varsovie (Pologne) en novembre dernier pour s’assurer du soutien polonais à l’opposition de la France à ce projet de traité de libre-échange avec l’Amérique du Sud.

Discrétion sur les agences menacées

Plusieurs proches vantent la «fibre écologique» d’une élue rurale. Elle avait notamment participé à la création du parc naturel régional du Doubs Horloger, le long de la frontière suisse. Mais Annie Genevard est loin d’être connue pour être une grande défenseure de l’environnement. Au contraire, l’ancienne députée pourfendait «ceux qui prônent une écologie punitive et décroissante et mettent en péril notre souveraineté alimentaire» et ne cesse désormais d’envoyer des signaux rouge vif sur l’écologie.

Avec ses «avis de sagesse» (un avis ni favorable ni défavorable du gouvernement, qui laisse le choix aux parlementaires) au Sénat au sujet de la suppression de l’Agence bio ou de la réautorisation de certains pesticides – qu’elle qualifie même de «médicaments des plantes» –, la ministre pousse la barre bien plus loin que ces prédécesseurs.

Office français de la biodiversité (OFB), Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae)… son soutien peu marqué à ces agences, ciblées par certain·es agriculteur·ices et par des membres de sa famille politique (notre article), font grincer des dents jusque dans le camp présidentiel«C’est la pire ministre de l’agriculture de l’histoire», souffle même un membre de la direction de l’un de ces organismes.

Du fond de sa campagne franc-comtoise, Laurence Lyonnais espère que la ministre saura se rappeler de ses origines et être à l’écoute des bonnes initiatives locales. Mais elle est dubitative : «Son logiciel libéral-conservateur ne lui permet pas de se sortir de l’idée qu’il faut produire en quantité dans des marchés libéralisés».

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