Décryptage

Attaques contre l’OFB, l’Anses et l’Inrae : pourquoi les agriculteurs s’en prennent aux institutions ?

Signaux de fumier. Partout en France, les agriculteur·ices ont manifesté récemment devant les bureaux de l’Office français de la biodiversité. Elle et ils se sont également rendus, fin novembre, devant les sièges de l’Agence nationale sanitaire et de l’Institut national de la recherche agronomique et environnementale pour critiquer leur action. La dénonciation d’un «militantisme» scientifique marque une défiance inédite vis-à-vis de la recherche.
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Elle ne veut donner ni son nom, ni le département où elle travaille. Mais après un an d’attaques du monde agricole contre l’institution qui l’emploie, cette inspectrice de l’Office français de la biodiversité (OFB) peine à calmer sa colère. «Quand est-ce qu’on arrêtera de nous viser, nous et tous ceux qui documentent l’état des milieux naturels ? Nous ne sommes pas des militants : nous sommes des agents experts du climat et de la biodiversité avec des missions de police.»

Les tensions, observe-t-elle, sont fréquentes avec le monde agricole, dans les réunions comme sur le terrain, depuis la création de l’OFB en 2020. Mais depuis le début du mois de novembre, elles se sont parfois transformées en actes de violence, avec plusieurs dizaines de manifestations devant les locaux des antennes de l’institution partout en France. Aux classiques dépôts de fumier et d’ordures se sont ajoutées des intrusions dans les locaux et des insultes, qui ont culminé dans la Creuse avec des dégradations et des vols de documents, qui ont conduit l’OFB à porter plainte.

Le Mans (Sarthe), le 26 novembre. À l’appel de la FDSEA 72 et des Jeunes agriculteurs, des manifestant·es ont déversé leur colère sur les grilles de l’Office français de la biodiversité (OFB). © AFP

Pourquoi tant de haine à l’encontre des «flics verts» ? «Dans le cadre de nos missions de police, il est rare que nous allions voir les gens quand tout va bien», souligne l’agente. À l’inverse des parlementaires et ministres qui créent le droit environnemental, ses collègues et elle représentent surtout des coupables à portée de main partout sur le territoire. «Je suis persuadé que l’OFB aujourd’hui est un peu le bouc émissaire d’un certain nombre de choses, de manière assumée par certains syndicats agricoles», a confirmé le directeur général de l’organisation, Olivier Thibault, devant les sénateur·ices de la commission durable du Sénat mercredi 4 décembre.

Plutôt que l’attitude décriée de «cowboys» de ses agent·es sur le terrain, les événements récents s’expliqueraient avant tout selon lui par le «sentiment d’insécurité de l’agriculteur devant le respect de la loi environnementale»«Les agriculteurs sont des professionnels, et c’est à eux de se former au droit de l’eau, du sol et de la biodiversité», abonde l’agente de l’OFB contactée par Vert. La campagne en cours pour les élections professionnelles agricoles qui se tiendront fin janvier 2025 entraîne aussi une forme de compétition dans l’outrance entre le syndicat majoritaire, la FNSEA, et son challenger la Coordination rurale.

«Nous avons ciblé les gens qui sont censés nous apporter des solutions, mais dont nous ne voyons aucun résultat»

Le sentiment d’insécurité du monde agricole serait-il aussi suscité par les résultats scientifiques ? En plus des antennes locales de l’OFB, des Directions départementales des territoires (DDT), des Agences de services de paiement (ASP), et des bureaux d’associations environnementales, les agriculteur·ices ont manifesté le 28 novembre devant les sièges parisiens de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire (Anses) et de l’Institut national de la recherche agronomique et environnementale (Inrae). «Nous avons ciblé les gens qui sont censés nous apporter des solutions, mais dont nous ne voyons aucun résultat», résume Damien Greffin, président de la branche régionale de la FNSEA en Ile-de-France.

Son syndicat, assure-t-il, défend la science. Mais aux sociologues et économistes qui voudraient «réduire la production agricole et l’élevage», la FNSEA préfère les scientifiques qui se concentrent sur le maintien des rendements, le développement de nouvelles variétés et de nouvelles races. Autrement dit : ces agriculteur·ices souhaiteraient, comme tant d’autres, que la science fondamentale apporte des réponses rapides à leurs nombreux problèmes. Or, ce rôle, dans le cas du monde agricole, serait plutôt dévolu aux instituts techniques. Des organisations de recherche appliquée dédiées à des productions spécifiques, et souvent présidées par des élu·es de la FNSEA.

Et tous ces instituts ont justement des liens étroits avec l’Inrae, comme le montrent les nombreuses conventions signées entre l’institut national et Arvalis (céréales), l’ITB (betterave), l’Idele (élevage), le CTIFL (fruits et légumes), ou encore l’Itavi (volaille). «Même si nous n’avons pas toujours la même vision, nous avons beaucoup de projets en commun, qui nous permettent d’identifier des sujets de long terme pour anticiper les problèmes. Ce n’est pas au pied du mur que la science peut trouver des solutions», abonde une source au sein de l’Association de coordination technique agricole (Acta), qui rassemble les instituts techniques.

Les manifestations de novembre pourraient remettre en cause certains de ces projets communs, prévient un chercheur de l’Inrae souhaitant rester anonyme. «C’est un vrai tournant de la part du syndicat majoritaire, qui va laisser des traces au sein de l’institut. Il y a peu d’expression publique de la part de mes collègues, qui sont tous plongés dans leurs recherches, mais ça ne veut pas dire que nous ne sommes pas secoués.» Seule perspective rassurante à ses yeux : les manifestant·es ne s’en sont pas pris aux antennes locales de l’Inrae qui multiplient les expérimentations sur le terrain, mais seulement au siège parisien.

Un soutien gouvernemental très discret

Les demandes du monde agricole restent dans la plupart des cas plutôt symboliques concernant ces institutions. La FNSEA estime notamment que l’Anses, agence chargée de la veille sanitaire sur les maladies des bêtes, et d’autoriser ou non des pesticides sur le territoire français, fait doublon avec son homologue européen, l’Efsa. «Ce que nous demandons, c’est qu’il n’y ait pas d’interdiction de produits sans solution, et qu’on se penche sur les conséquences économiques dans les exploitations», martèle Damien Greffin. Une demande à laquelle les gouvernements de Gabriel Attal et de Michel Barnier se sont bien gardés d’accéder, puisque la responsabilité pénale du gouvernement pourrait être engagée, si celui-ci autorisait au nom de contraintes économiques une molécule ayant fait l’objet d’une alerte sanitaire ou environnementale de la part de l’agence.

Concernant l’OFB, les élus de la FNSEA comme de la Coordination rurale concentrent leur colère sur la visibilité des armes des agent·es, et sur la réduction du nombre de contrôles sur les fermes. Sur les armes, une circulaire signée par les ministres de la transition écologique et de l’agriculture à la veille de la chute du gouvernement, et dévoilée par le média Contexte, recommande un port «discret» dans un étui pour les agent·es. Mais ils conserveront bien un armement «indissociable» de leur uniforme et des missions de police, a confirmé le directeur général de l’OFB Olivier Thibault aux parlementaires.

Sur le sujet des contrôles, le gouvernement a également promis une seule visite administrative annuelle, à la suite d’une instruction publiée en octobre 2024. Pourtant, selon un rapport ministériel récent, neuf fermes sur dix échappent chaque année à toute forme de contrôle. Et la promesse du contrôle unique ne s’appliquera pas non plus aux visites réalisées par l’OFB dans le cadre de ses missions de police judiciaire. Autant d’actions de terrain qui ciblent d’ailleurs plus souvent les entreprises, les collectivités et les chasseur·ses que les agriculteur·ices selon les agent·es interrogé·es.

Le gouvernement de Michel Barnier est resté très discret sur sa condamnation des manifestations, comme sur son soutien aux fonctionnaires. Annie Genevard, ministre de l’agriculture, a salué sur X (que Vert n’utilise plus, promis) des mobilisations «dans le calme et avant l’arrivée des salariés». La ministre de la transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, s’est quant à elle rendue sur Sud radio pour expliquer qu’on ne peut pas «reprocher à un agent du service public d’exercer sa mission».

Face à ces déclarations, les agent·es de l’OFB se sentent «délaissés», regrette Véronique Caraco-Giordano, secrétaire générale du syndicat des agent·es de l’environnement (SNE-FSU.) «Il n’y a eu aucune parole forte pour rappeler les règles de droit, et encore moins pour demander de les respecter», déplore la syndicaliste. «Si les personnes contrôlées ont assez de pouvoir pour faire baisser la pression des contrôles, c’est le signe d’un État qui ne tient plus le coup», regrette l’agente de l’OFB, interrogée par Vert, à quelques heures du vote de la motion de censure, mercredi.


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