Ce qu’il faut retenir :
→ Au cœur des critiques, l’article 13 dépénalise certaines destructions d’espèces protégées. Pour les atteintes «non-intentionnelles», les sanctions pénales (jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende) sont remplacées par… une amende de 450 euros ou un «stage de sensibilisation aux enjeux de protection de l’environnement».
→ L’article 14 simplifie les règles de gestion des haies, en réduisant notamment les sanctions en cas de destruction.
→ L’article 15 facilite la construction de retenues d’eau (dont les mégabassines) et de bâtiments d’élevage, en réduisant les délais de recours.
→ Le Parlement instaure un principe de «non-régression de la souveraineté alimentaire», qui vise à contrer celui déjà existant de «non-régression environnementale».
→ Le principe «pas d’interdiction de pesticides sans solution», cher au syndicat FNSEA, est adopté.
→ L’objectif de 21% des surfaces agricoles en bio d’ici à 2030 a été rétabli, après avoir un temps été effacé du texte par la droite sénatoriale.
C’est un texte qui fait trembler les défenseurs de l’environnement. Après un véritable sprint parlementaire pour le faire adopter avant l’ouverture du salon international de l’agriculture, le projet de loi d’orientation agricole (ou «LOA», pour les intimes) a été adopté à l’Assemblée nationale mercredi, puis au Sénat ce jeudi après-midi. Les deux chambres s’étaient mises d’accord sur la version définitive du texte en commission mixte paritaire (la CMP, un organe chargé de trouver un consensus entre député·es et sénateur·ices) dès mardi.
Maintes fois repoussé, ce texte censé répondre à la colère des agriculteur·ices avait été mis en suspens par la dissolution de l’Assemblée nationale, puis par la censure du gouvernement Barnier. Porté par la nouvelle ministre de l’agriculture, Annie Genevard, ce projet de loi fixe les grandes orientations de la politique agricole française pour les prochaines années… et n’est pas sans incidence pour la biodiversité et le climat.
Un article contre la biodiversité… et contraire au droit européen
L’article 13 cristallise à lui seul les tensions autour de ce texte : il prévoit de réduire à une simple amende de 450 euros (contre trois ans de prison et 150 000 euros jusqu’ici) les peines encourues pour des destructions «non-intentionnelles» d’espèces protégées. Celle-ci pourra même être remplacée par un «stage de sensibilisation aux enjeux de protection de l’environnement», mesure d’abord supprimée au Sénat (majoritairement à droite), puis rétablie en commission mixte paritaire.
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«Mais comment voulez-vous prouver que la personne avait bien l’intention de commettre ces atteintes ?», interroge le sénateur écologiste Daniel Salmon. De leur côté, le gouvernement et la droite sénatoriale prônent la «simplification» et la lutte contre l’«état d’insécurité juridique et de stress» des paysans, selon les mots de la ministre de l’agriculture. «Il doit y avoir un régime de sanctions administratives proportionné, à la place de sanctions pénales qui sont souvent disproportionnées et qui participent à l’agribashing, en montrant du doigt l’agriculteur», défend Dominique Estrosi Sassone, présidente (Les Républicains) de la commission des affaires économiques du Sénat.
«C’est un recul massif pour l’environnement, conteste Laure Piolle, animatrice du réseau agriculture et alimentation de France nature environnement (FNE). Mais ce fameux article 13 pourrait bien ne pas être appliqué. Selon Arnaud Gossement, avocat spécialiste du droit de l’environnement, une telle mesure est contraire à la directive européenne sur la protection de l’environnement, supérieure au droit français : «Le texte voté n’étant pas conforme aux exigences européennes, les juges auront l’obligation légale de l’écarter».
Destruction des haies, mégabassines, bâtiments d’élevage…
Le projet de loi prévoit une ribambelle d’autres mesures dites de «simplification», parmi lesquelles la réduction des sanctions contre les destructions de haies. «Ils veulent mieux les répertorier… dans le but de mieux les détruire», dénonce Daniel Salmon. Il y a trois semaines, l’élu écologiste avait pourtant réussi à faire adopter par ce même Sénat une proposition de loi pour revaloriser les bocages agricoles : «La haie n’est pas un inconvénient pour les agriculteurs mais un atout, c’est une diversification de revenu, un réservoir de biodiversité, un moyen de lutte contre les aléas climatiques.»
«La principale victime de cette loi ne sera pas l’environnement, mais les agriculteurs.»
Un autre article prévoit de favoriser les projets d’installation de mégabassines et de bâtiments d’élevages, en accélérant les décisions de justice. «Ils espèrent passer par-dessus les recours pour sauver les bassines, dont une grande partie sont illégales aujourd’hui», pointe encore Daniel Salmon. «On fait croire que l’on va réduire le volume de recours, mais ça ne va rien changer, les associations en déposeront toujours avant les délais», analyse Arnaud Gossement.
«Ces articles sont des messages politiques, ils n’ont pas de valeur normative, poursuit l’avocat. Ma crainte, c’est que l’on envoie un signal désastreux, en poussant les gens à commettre des délits. La principale victime de cette loi ne sera pas l’environnement, mais les agriculteurs.»
Le réchauffement climatique oublié
Lors de l’examen au Sénat la semaine dernière, la droite a d’ailleurs fait adopter plusieurs mesures purement symboliques, comme cet étonnant «principe de non-régression de la souveraineté alimentaire». Une référence au principe déjà existant de «non-régression environnementale» (qui empêche tout retour en arrière dans le droit de l’environnement), pleinement assumée par le sénateur Laurent Duplomb (Les Républicains), qui plaide pour une «égalité de traitement» entre l’écologie et l’agriculture.
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Autre exemple : le principe «pas d’interdiction de pesticides sans solution», lui-aussi approuvé par la droite et maintenu dans le texte final. «C’est le slogan de la FNSEA, qui est devenu celui de la ministre de l’agriculture, regrette François Veillerette, porte-parole de l’association qui lutte contre les pesticides Générations futures. Mais la législation européenne dit explicitement qu’une substance qui a des effets inacceptables ne peut pas être mise sur le marché».
Petite victoire pour la gauche et les écologistes : l’objectif d’aller vers 21% de surfaces agricoles cultivées en bio d’ici à 2030, qui avait été effacé par la droite au Sénat, a finalement été rétabli. La commission mixte paritaire a aussi réintroduit le terme de «transitions climatiques et environnementales», qui avait été gommé des objectifs de la politique agricole par la droite sénatoriale.
Comme l’analyse le Réseau action climat (qui regroupe des dizaines d’ONG écologistes), la question du changement climatique est réduite comme peau de chagrin, alors que l’agriculture est le deuxième secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre en France. «Il faut donner les moyens à l’agriculture de continuer à diminuer les émissions de gaz à effet de serre, en encourageant l’innovation et la recherche», conteste Dominique Estrosi Sassone. De fait, le texte se concentre surtout sur l’adaptation, avec une proposition de diagnostic climatique pour les projets d’installation de fermes, ainsi que quelques mesures de sensibilisation dans les formations professionnelles.
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