Tôt outarde. La cour administrative d’appel de Bordeaux a suspendu, mercredi, l’autorisation environnementale de quatre réserves d’eau destinées à l’agriculture dans le Poitou, dont celle de Sainte-Soline. L’annulation est justifiée par la menace qu’elles représentent pour l’outarde canepetière, une espèce d’oiseau en voie de disparition.
«Cette décision montre qu’on a raison de se battre, pour Sainte-Soline et pour les outardes», rapporte à Vert Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci. Ce mercredi, la cour administrative d’appel de Bordeaux a statué sur l’illégalité de quatre réserves d’eau autorisées dans le marais poitevin par arrêté préfectoral en 2017.
La cause ? L’autorisation qui avait été délivrée ne prévoyait pas de «dérogation “espèces protégées” comportant des mesures de protection pour l’outarde canepetière», précise la cour dans un communiqué. C’est la présence de cet oiseau en voie de disparition sur les zones d’implantation des mégabassines qui justifie la suspension des travaux pour les construire ou les remplir, jusqu’à la «délivrance éventuelle de cette dérogation», indique encore l’institution.
Une dizaine d’associations, dont Nature environnement 17, la Ligue de protection des oiseaux (LPO), ainsi que des fédérations de pêcheur·ses avaient déposé un recours pour demander l’arrêt du remplissage de treize de ces immenses retenues d’eau à destination de l’agriculture, afin de protéger l’espèce.
Le juge a suivi l’avis du rapporteur public qui préconisait, au début du mois, de suspendre les travaux de trois réserves (celle de Saint-Sauvant dans la Vienne, celles de Messé et Mougon dans les Deux-Sèvres) et l’exploitation de celle déjà construite de Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Pour Léna Lazare, porte-parole des Soulèvements de la Terre : «C’est une victoire très concrète, qu’ils ne puissent plus remplir les bassines.» À Sainte-Soline, l’eau ne sera pas pompée dans les nappes phréatiques cet hiver pour la stocker jusqu’à l’été.
En mars 2023, une manifestation durement réprimée
La décision de justice arrête effectivement les travaux en cours et le remplissage des bassins, mais n’empêche pas l’utilisation de l’eau déjà contenue dans la retenue de Sainte-Soline. Le réservoir de plus de 600 000 mètres cubes d’eau, l’équivalent de 250 piscines olympiques, a déjà commencé à être approvisionné.
Pour la militante, cette décision est «une belle victoire d’étape, qui montre dans quelle situation était la bassine de Sainte-Soline au moment où la manifestation a été interdite». En mars 2023, le rassemblement d’opposition à l’implantation de cette retenue de substitution avait été durement réprimé et avait fait environ 200 blessé·es. L’activiste rappelle qu’une statue d’outarde géante avait été construite lors de la mobilisation.
Régis Ouvrard, membre de la LPO, souligne que l’outarde canepetière a subi un déclin de 94% entre 1978 et 2000, en raison de l’agriculture intensive. À Vert, il explique qu’«il ne reste plus que 800 individus à l’échelle de l’Europe et 5% de la population de cette espèce migratrice étaient directement impactés par les quatre mégabassines».
Il insiste sur le fait que d’autres oiseaux étaient également menacés par ces projets, comme «l’oedicnème criard, le busard cendré ou encore le busard Saint-Martin».
La décision du tribunal relance le débat sur ces très grandes retenues destinées à l’irrigation. Pour les opposant·es, elles perturbent le cycle de l’eau et privatisent la ressource. Pour les défenseur·ses, elles permettent d’éviter de puiser l’eau en été, lorsqu’elle se fait plus rare (notre article).
En début d’année 2024, à la suite des mobilisations des agriculteur·ices, l’ancien ministre de l’agriculture Marc Fesneau avait publié un décret pour limiter les possibilités de recours contre ces projets hydrauliques.
La ministre démissionnaire de la transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, et Annie Genevard, ministre démissionnaire de l’agriculture «ont pris acte» de la décision du tribunal dans un communiqué publié mercredi soir. Elles notent toutefois que la cour a réaffirmé que «l’ensemble du projet respectait le principe de gestion équilibrée et durable de la ressource en eau».
La régularisation de ces bassines est conditionnée aux éventuelles dérogations qu’accorderaient les préfets des Deux-Sèvres et de la Vienne aux porteurs de projets. Ils peuvent le faire s’ils considèrent qu’il n’existe pas de solution alternative à leur construction et si celle-ci revêt un intérêt public majeur. Si tel était le cas, «on continuerait la mobilisation», affirme le porte-parole de Bassines non merci.
En janvier prochain, le Sénat discutera du projet de loi d’orientation agricole qui caractériserait les mégabassines comme «d’intérêt public majeur». Cette mesure permettrait aux porteurs de projets d’obtenir plus facilement des dérogations pour les espèces protégées.