Comment analysez-vous la condamnation prononcée par le tribunal judiciaire de Niort il y a quelques jours ?
C’est un jugement politique, un jugement tristement historique auquel on a eu le droit. C’est la première fois depuis la guerre de 39-45 que la CGT [le secrétaire général de la CGT des Deux-Sèvres fait partie des prévenu·es, NDLR] est condamnée pour l’organisation d’une manifestation interdite. Malheureusement, ça dit beaucoup de la direction que le pays est en train de prendre. Sur le plan financier, la facture globale demandée pour les amendes et les dommages et intérêts s’élève à près de 25 000 euros, ce qui n’est pas rien.
Trois d’entre nous ont pris du sursis, allant jusqu’à 12 mois pour moi. Ces peines sont assorties d’une batterie d’interdictions de territoire dans les Deux-Sèvres pour trois ans, pour tous ceux qui ne sont pas domiciliés dans le département [ce qui est le cas de Julien Le Guet, qui est «seulement» interdit de territoire à Sainte-Soline et Mauzé-sur-le-mignon, NDLR].
Cela correspond à un véritable bannissement politique. Au-delà de la possibilité pour nous de continuer à faire politique ensemble, ça interfère également avec nos intimités, nos vies privées et amicales. Cinq camarades syndiqués (trois de la Confédération paysanne, un de Sud solidaires et un de la CGT) ont été condamnés à des amendes et à des interdictions de port d’arme. C’est un point qui nous a fait beaucoup tiquer, car ça perpétue le récit mensonger de Gérald Darmanin selon lequel on porte une lutte violente. C’est très éloigné de nous.
Un autre fait notable, c’est que ce sont les porte-paroles des différents mouvements qui ont été jugés, d’où le fait qu’on dise que c’est un procès politique. Alors que dans nos mouvements, les décisions sont prises collectivement et il n’y a pas une personne plus responsable qu’une autre.
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Comptez-vous faire appel de ce jugement ?
Évidemment, à titre personnel, j’ai directement fait appel de la décision, parce qu’il est tout à fait inconcevable que ce jugement unique dans l’histoire puisse faire jurisprudence. L’argument principal qui fait qu’aujourd’hui, on en est là dans ce conflit de l’eau, c’est l’état de nécessité [une notion juridique qui permet de ne pas respecter la loi si l’on agit face à un danger imminent, NDLR].
Ça fait depuis 2017 qu’on utilise toutes les voies légales ; l’expertise scientifique nous donne raison ; les experts de l’ONU ont condamné la gestion du maintien de l’ordre dans les mobilisations anti-bassines… On ne prêche pas dans le désert : c’est un mouvement qui s’est propagé partout en France sur la question de l’eau et de l’accaparement des ressources. On peut aussi se targuer du fait que notre résistance ralentit très fortement les travaux. En 2017, il y avait 19 projets de bassines qui devaient être achevées en 2020. On est début 2024 et il y a une seule bassine achevée à Mauzé-sur-le-mignon.
À quoi ressemble l’avenir du mouvement contre les mégabassines aujourd’hui ?
Je suis très serein sur l’avenir du mouvement, qui repose sur une multitude d’individus. Je le disais au sortir du tribunal : ils veulent couper des têtes, mais des dizaines vont repousser derrière. Donc pour la suite du mouvement, on ne change rien, on continue à résister aux chantiers à venir, et pour ça on va utiliser tous les moyens de lutte à notre disposition. Quand ça sera nécessaire, on appellera les citoyens à se rassembler pour résister avec leurs armes – que ce soit la mobilisation, le droit, ou la sensibilisation du public.
Le 23 et 24 mars prochain, nous allons commémorer la manifestation de Sainte-Soline et les 200 blessés du 25 mars 2023, pour que cette journée s’inscrive dans l’histoire comme la journée de la honte de la gendarmerie nationale et de Darmanin, qui a donné des ordres qui auraient pu conduire à la mort de nos camarades.
Et puis cet été, nous prévoyons une méga-mobilisation du 14 au 21 juillet qui s’annonce énorme, avec des gens qui vont traverser la France pour nous rejoindre, mais aussi traverser des frontières pour cette opération d’ampleur internationale.
Quel est votre sentiment par rapport au mouvement des agriculteurs en ce moment ?
Tout d’abord, il faut avoir en tête que le mouvement actuel est surtout parti de la FNSEA [la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles NDLR] et de la Coordination rurale, qui sont deux syndicats plutôt conservateurs. Ça va de pair avec la droitisation de la société, mais aussi avec ce qui se passe en Allemagne, avec un jeu trouble entre les syndicats agricoles et l’AFD, un parti qui est très clairement classé à l’extrême droite.
On remarque aussi un niveau de compromission hallucinant. On voit que les dégâts causés, les violences et les dégradations commises par la FNSEA et la Coordination rurale se négocient en amont avec les préfectures, comme par exemple les dépôts de fumier accompagnés par les forces de l’ordre. Le gouvernement est non seulement défaillant, car le modèle agricole devrait urgemment évoluer, mais il est aussi complice de ces agissements.
Concrètement, le gouvernement continue d’accorder des passe-droits et de laisser les agriculteurs s’enferrer dans leur système. Il faut sortir des pesticides, tous les scientifiques le disent. On est bien conscients que la sortie des pesticides pour des agriculteurs qui n’ont jamais connu que ça ne se fera pas du jour au lendemain, mais on est face à un État qui préfère s’entêter plutôt que d’admettre ses torts et reconnaître de mauvais choix.
Maintenant, j’ai de la compassion pour tous ceux qui ont le nez dans le guidon. Je pense aux éleveurs laitiers, qui sont esclavagisés par les coopératives laitières qui sont devenues des monstres de l’agro-industrie et qui payent très mal. Pour l’instant, les actions de blocage ne sont pas face à ceux qui oppressent réellement les agriculteurs. On a un tour de passe-passe qui est assez extraordinaire, un peu du même ressort qu’avec le racisme, quand on arrive à faire croire à un électorat populaire que leur difficulté à boucler les fins de mois est due aux migrants qui traversent des océans pour essayer de survivre, plutôt qu’au système capitaliste d’accaparement des richesses. C’est la stratégie du bouc émissaire où on agite une menace fictive pour que la colère se concentre sur d’autres personnes.
Craignez-vous un retour en arrière au niveau des normes environnementales, et notamment sur le sujet des méga-bassines ?
Pour qu’il y ait un retour en arrière, il aurait fallu que le gouvernement avance dans un premier temps, or clairement depuis le premier mandat, il n’y a eu aucun progrès. Mais il y a évidemment la crainte qu’il aille encore plus loin. On est dans une course contre-la-montre, puisque Marc Fesneau [ministre de l’Agriculture, NDLR] a bien montré que son objectif était de changer le droit. Il s’agirait notamment de simplifier encore les démarches pour les mégabassines, là où c’est aujourd’hui bien encadré.
Les mégabassines ne sont clairement pas au profit d’un projet de territoire. Ce n’est pas pour les petits maraîchers, mais pour des grosses structures, avec du blé destiné à l’exportation et non pas à assurer la bouffe à la cantine ou l’approvisionnement des marchés du coin. La priorité, ce serait peut-être lutter contre le surendettement des agriculteurs et le taux de suicide, ou construire la sortie des pesticides dont on subit tous les effets, et eux les premiers.
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