Vingt-six internautes trépignent d’impatience, ce mardi matin. Connecté·es sur la plateforme Dailymotion, propriété du milliardaire d’extrême droite Vincent Bolloré, elles et ils attendent le lancement de la chaîne «CNews prime»… nouvelle étoile de la galaxie Bolloré.
Dans quelques minutes, à 9 heures, le slogan «Il y a tant de choses à dire et à montrer» laissera sa place sur l’écran au premier sujet de la petite sœur de CNews, chaîne d’info en continu réactionnaire. Quel sera-t-il ? Une analyse politique du présentateur star Pascal Praud ? Une interview de la journaliste Sonia Mabrouk ? Ou une sortie climatosceptique d’un éditorialiste comme Michel Onfray ?
Ça y est. Le slogan et le logo disparaissent, place aux premières images et au premier bandeau : «2027 : J. Bardella vainqueur dans tous les scénarios». Le présentateur embraye : «Selon un sondage Odoxa, Jordan Bardella est donné vainqueur au second tour de la présidentielle dans tous les cas de figure.» En plateau, un journaliste renchérit : «Il y indéniablement un engouement autour de la candidature» du président du Rassemblement national.

La naissance de cette nouvelle chaîne a été révélée par Les Jours le 14 novembre. Le média d’investigation – qui suit de près l’empire médiatique de Vincent Bolloré – décrit «une déclinaison de la chaîne principale» qui devrait être «dévolue au live». Ce n’est pas la première du genre. La chaîne d’info BFMTV (CMA Média) a fait la même chose il y a un an avec BFM2. Ce mardi matin, CNews prime était disponible sur Dailymotion et sur la box de l’opérateur Free. Orange, SFR et Bouygues Telecom ont aussi annoncé son arrivée.
CNews bis
Sans surprise, CNews prime fait du CNews. L’immense majorité des contenus diffusés ce mardi sont des rediffusions de la chaîne principale : c’est le cas de la séquence sur Jordan Bardella. On retrouve donc les sujets favoris de la sphère Bolloré. Les deuxième et troisième sujets abordent une prétendue «offensive islamiste contre la France». Vient ensuite un édito contre l’audiovisuel public, où l’on dénonce «l’idéologie des médias publics, qui penchent à gauche».
Pour CNews, l’intérêt peut être double. La nouvelle chaîne, diffusée sur internet, sera moins contrainte par l’obligation de pluralisme des opinions politiques que la chaîne mère. Contrairement à cette dernière, elle n’est pas liée par une convention à l’Arcom, le gendarme de l’audiovisuel, et donc pas obligée de transmettre ses temps de parole chaque trimestre. Elle pourra plus facilement donner la parole à l’extrême droite sans avoir à diffuser des discours de personnalités de gauche, la nuit, pour faire la balance – comme le fait CNews.

Et cela se sent dans la succession des sujets diffusés ce mardi sur CNews prime. À 9h44, après des images de la manifestation du 22 novembre du collectif féministe Nous Toutes, la chaîne retransmet la parole d’Alice Cordier, directrice du groupuscule xénophobe Némésis.
Non-spécialistes en plateau
Après l’excitation du début, on commence à s’ennuyer sévère devant notre écran. Plusieurs sujets sont diffusés en boucle. On a déjà vu le passage sur Jordan Bardella trois fois… Soudain, à 10h09, Pascal Praud apparaît pour la première fois. Le présentateur star est dans son exercice préféré : l’édito – une séquence dans laquelle il donne son opinion sur un sujet. Praud, dans son style caractéristique, alterne entre sa feuille et la caméra, qu’il fixe par-dessus ses lunettes, toujours posées au bout de son nez. Son sujet du matin ? La volonté d’Emmanuel Macron de transformer le service national universel (SNU). La séquence était en direct sur CNews une heure avant, en entame de l’émission «L’heure des pros».
Deuxième petit évènement : à 10h28, la chaîne retransmet son premier «live». Une captation en direct de la ministre de la culture Rachida Dati et de son homologue à l’éducation nationale, Édouard Geffray. Elle et il doivent annoncer des mesures sur «l’éducation au cinéma» dans un lycée du Val-de-Marne.
La première séquence est laborieuse. C’est le début de la visite ministérielle, les élèves se présentent les uns après les autres… mais on ne les voit pas à l’image. Apparemment, le caméraman a un problème technique. Pendant quelques instants, on l’entend parler branchements avec son collègue en chuchotant, ce qui couvre la voix des élèves à l’antenne. Puis, la salle et le direct plongent dans le noir, le temps de la diffusion d’une vidéo dans le lycée. Après un temps qui parait infiniment long, on revient sur le plateau de «L’heure des pros».

Pascal Praud et ses chroniqueur·ses débattent sur le service militaire, la déclaration d’Emmanuel Macron et la guerre en Ukraine. «Je ne suis pas un grand spécialiste du sujet», concède un invité. «Personne ne l’est», reprend Praud. Ce qui n’empêche pas à chacun de donner son analyse.
À midi, alors qu’on entend Philippe de Villiers, tête de gondole de l’extrême droite et à l’origine de la pétition anti-immigration, une petite cinquantaine d’internautes suivent le direct. Elles et ils sont motivé·es : certains sujets reviennent pour la cinquième ou sixième fois, déjà. Pas sûr, finalement – comme le promettait le slogan –, qu’il y ait «tant de choses à montrer».