Le succès populaire de la pétition contre la loi Duplomb (ce texte controversé qui ouvre la voie à l’agriculture intensive) pendant l’été – 2,1 millions de signatures, la deuxième la plus signée de l’histoire française – a donné des idées à l’extrême droite. Le 6 septembre dernier, Philippe de Villiers, fondateur du parc d’attractions du Puy du fou (Vendée), homme politique d’extrême droite deux fois candidat à l’élection présidentielle (1995 et 2007) et habitué des plateaux télés de Vincent Bolloré, a lancé une pétition pour demander un référendum sur l’immigration.
«Le peuple s’est prononcé cet été pour les oiseaux, les abeilles et les insectes avec la pétition sur la loi Duplomb. Et je me suis dit, à côté des insectes, des abeilles et des oiseaux, il y a des petits Français qui sont en train de disparaître. Alors, il faut faire la même chose, une pétition», a justifié celui qui était aussi l’un des soutiens du candidat d’extrême droite Éric Zemmour (Reconquête) à la dernière élection présidentielle. Le texte de sa pétition multiplie les références au «Grand remplacement», cette théorie complotiste et raciste sur une supposée substitution des populations blanches européennes par l’immigration (africaine).
À ce jour, la pétition rassemble… 1,9 million de pétitionnaires. Mais contrairement à celle contre la loi Duplomb, elle n’est pas hébergée sur le site de l’Assemblée nationale et l’authenticité des signatures n’est pas contrôlée.
Signer avec des robots ou l’adresse e-mail de son collègue
Pour signer la pétition contre la loi Duplomb, il faut s’authentifier sur le site gouvernemental France Connect. Ce mécanisme évite qu’une même personne signe plusieurs fois et garantit un nombre réel de signataires. Ce n’est pas le cas de la pétition anti-immigration, éditée sur un site crée par Philippe de Villiers, et qui ne dispose pas de système de vérification d’identité.
Plusieurs médias, dont Le Monde, ont fait le test. On ne peut pas signer deux fois avec la même adresse e-mail, mais il suffit d’en utiliser une autre pour parapher de nouveau. Par ailleurs, aucun e-mail de confirmation n’est envoyé pour valider la signature. Il est donc possible de faire signer n’importe qui (votre collègue, un·e inconnu·e ou, pourquoi pas, le président de la République) sans son consentement – pour peu que vous connaissiez son e-mail.
D’autres médias, comme France info, ont remarqué qu’il a fallu attendre le 16 septembre, alors que la pétition avoisinait déjà le million de signatures, pour que la plateforme se dote d’un outil de protection assurant que les signataires ne sont pas des robots.
Dernière différence avec la pétition anti-loi Duplomb, celle de Philippe de Villiers n’est pas hébergée sur le site de l’Assemblée nationale. Les pétitions qui sont sur cette plateforme officielle peuvent entrainer un débat dans l’hémicycle si elles dépassent les 500 000 signataires (comme cela va peut-être être le cas pour la pétition contre la loi Duplomb). En revanche, ce n’est pas le cas pour celles lancées sur d’autres sites. À titre de comparaison, une autre pétition en faveur d’un référendum sur l’immigration, lancée en juillet sur le site de l’Assemblée, a rassemblé près de 4 000 signatures à ce jour.
Cela n’empêche pas Pascal Praud, présentateur de «L’heure des pros» sur CNews, d’oser la comparaison sur X-Twitter, le 15 septembre : «Comment se fait-il qu’aucune des 12 antennes du service public n’ait mentionné une seule fois la pétition referendum de Philippe de Villiers qui franchit le million de signatures ? Et comment se fait-il, qu’à l’inverse, la pétition demandant l’abrogation de la loi dite Duplomb bénéficie d’un traitement important ?»
Une opération orchestrée par la machine Bolloré
Philippe de Villiers a pu compter dans son entreprise sur la force de frappe des médias propriétés du milliardaire d’extrême droite Vincent Bolloré. Le 6 septembre, le fondateur du Puy du fou était invité sur le plateau de CNews pour annoncer son initiative. Le 7, il fait la Une du Journal du dimanche (JDD). Un QR code renvoyait directement vers la pétition, comme dans le JDNews. Et vice-versa : sur le site de la pétition, une case à cocher demande le consentement des signataires pour que la plateforme transmette l’adresse e-mail utilisée au JDD et au JDNews. Signe de cette proximité, dans les mentions légales, l’adresse à laquelle est domicilié le site de la pétition est la même que celle des locaux d’Europe 1 et du JDD.
Un soutien à peine voilé sur les antennes de la galaxie Bolloré, comme CNews ou Europe 1, qui distribuent les conseils pour signer le texte. À tel point que le collectif citoyen de lutte contre la haine sur les réseaux sociaux Sleeping Giants et la députée Génération.s Sophie Taillé-Polian ont saisi l’Arcom, le gendarme de l’audiovisuel.
Le collectif reproche à CNews de ne jamais mentionner «que la pétition est issue du – et la data collectionnée par le – groupe Bolloré». La députée impute aux journalistes en plateau de ne jamais remettre en question la théorie du «Grand remplacement» et pointe qu’«appeler à signer et faire signer une pétition comme celle promue par le JDD est un acte militant, ce qui n’a rien à faire sur une chaîne TNT» mise à disposition par l’État.
L’emballement médiatique du groupe aura bien servi à Philippe de Villiers. En même temps que le lancement de la pétition, l’essayiste a annoncé la sortie de son nouveau livre, Populicide, début octobre. «On voit bien que, derrière, il y a la volonté de faire la promo de De Villiers», confiait une journaliste d’Europe 1 à France Télévisions. Le livre est d’ailleurs édité par les éditions Fayard et sera mis en vente dans les magasins Relay… deux enseignes de la galaxie Bolloré. Le signe d’une machine qui s’auto-entretient.
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