Les casques et les chasubles fluorescents sont de sortie. Les mines ébahies, aussi. Ce 8 octobre, agrippé·es à leur vélo, les enfants du centre social des États-Unis, dans le 8ème arrondissement de Lyon (Rhône), voient débarquer Grégory Doucet. Le maire (Les Écologistes) de la troisième ville de France est entouré d’une flopée d’élu·es à bicyclette. Arrivé au pouvoir en 2020, lors de la «vague verte» qui avait vu la victoire de nombre d’écologistes, l’édile a pris l’habitude d’utiliser le vélo électrique pour ses déplacements institutionnels dans la capitale des Gaules.

Ce jour-là, en compagnie des enfants et de Bruno Bernard, son homologue écologiste à la tête de la métropole de Lyon, il inaugure un tronçon de la Voie lyonnaise (VL) 2. Ce réseau express vélo, qui compte 12 pistes cyclables sécurisées, était une promesse de campagne des deux hommes. Loin d’être finalisées, ces Voies lyonnaises doivent permettre de traverser de part en part la métropole et ses 58 communes. Le tout en proposant un maximum de pistes séparées du trafic motorisé et des espaces piétons, ainsi qu’une signalétique et un revêtement adaptés.
C’est un symbole de la politique menée par le duo Doucet-Bernard en faveur des mobilités actives (marche, vélo…). Mais les travaux et l’exaspération qu’ils suscitent font la Une de certains médias locaux depuis deux ans. Fin 2024, face à la grogne et aux contraintes budgétaires, certaines portions de pistes cyclables ont été reportées. De quoi susciter d’autres critiques, de la part de défenseur·ses de la petite reine comme l’association La Ville à Vélo.

Sur la VL 2, ce 8 octobre, les polémiques semblent bien loin. Les enfants pédalent le long du boulevard des États-Unis, sous le regard amusé des badauds. Grégory Doucet s’en félicite : «Ces voies lyonnaises permettent de faire du vélo en toute sécurité, à tous les âges.» Mais Lyon est-elle vraiment devenue une ville cyclable ?
L’une des grandes villes les plus cyclables
Valentin Lungenstrass estime qu’il «reste encore du travail». L’adjoint de Grégory Doucet délégué aux mobilités reconnaît notamment la persistance de carrefours dangereux. Selon le dernier baromètre de la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB), la commune est quatrième au classement des villes françaises de plus de 100 000 habitant·es où il fait bon rouler à vélo. Elle était sixième en 2021 : c’est la meilleure progression parmi les grandes villes entre 2021 et 2025. «De nouvelles métropoles émergent et s’y mettent à fond, comme Lyon, qui frôle désormais le podium, ou Clermont-Ferrand, que l’on n’attendait pas sur ce terrain», expliquait à Vert Étienne Demur, coprésident de la FUB, en septembre dernier.
«C’est une vraie fierté car on a beaucoup investi sur ce sujet», rebondit Valentin Lungenstrass, chiffres à l’appui. Depuis 2019, soit un an avant l’arrivée au pouvoir des écologistes à la tête de la ville et de la métropole, le trafic à vélo a augmenté de 58% sur le territoire métropolitain. Côté aménagements cyclables, Lyon a gagné une centaine de kilomètres en cinq ans, dont environ 80 grâce au réseau des Voies lyonnaises. Ces pistes prennent inévitablement de la place à la voiture. «Promouvoir les alternatives à la voiture individuelle, forcément, ça se fait en partie à ses dépens, c’est un fait», assume l’élu.

Un discours qui agace les opposant·es centristes et de droite, que l’ancien président de l’Olympique lyonnais Jean-Michel Aulas a réussi à rassembler derrière lui. Candidat à la mairie de Lyon, le médiatique homme d’affaires et figure du ballon rond est le principal obstacle à la réélection de Grégory Doucet. Il n’a pas répondu en personne à nos questions.
«Le vélo n’a pas vocation à devenir un instrument de guerre contre la voiture»
Auprès de Vert, les équipes de son mouvement, Cœur Lyonnais, détaillent leur vision : «Nous ne critiquons pas le vélo, mais l’idéologie qui entoure ces questions. Le vélo n’a pas vocation à devenir un symbole politique, encore moins un instrument de guerre contre la voiture.» Selon Cœur Lyonnais, il est possible de développer la bicyclette sans prendre de place à l’automobile, «à condition d’être intelligent dans la planification. De très nombreux cyclistes, tout en étant attachés – à raison – à leur mode de déplacement quotidien, reconnaissent parfaitement le bien-fondé de cette logique d’apaisement intelligent.»
Cette théorie va à l’encontre de celle de Frédéric Héran, économiste des transports et auteur de Le retour de la bicyclette, une histoire des déplacements urbains en Europe, de 1817 à 2050 (2014, La Découverte). Selon lui, il est impossible de relancer un mode de transport indépendamment des autres. «Dans le retour du vélo, ce ne sont pas les aménagements cyclables en tant que tels qui sont décisifs. La clé, c’est de modérer la circulation automobile en réduisant le trafic et la vitesse. C’est la thèse que je démontre dans mon livre.»
À Lyon, en parallèle de la multiplication d’aménagements cyclables, la généralisation de la «ville 30» a été mise en œuvre depuis le 30 mars 2022. Du jour au lendemain, 84% des rues sont passées à 30 kilomètres-heure (km/h) – au lieu de 50 km/h dans la plupart des cas. «C’est un changement majeur. Il y a eu des réticences au moment de l’annonce, mais le sujet ne revient quasiment plus aujourd’hui», se félicite Valentin Lungenstrass.

Pour l’association La Ville à Vélo, la vitesse limitée à 30 km/h est «un facteur important de sécurisation des piétons et des cyclistes». Sa coprésidente, Frédérique Bienvenüe, salue auprès de Vert les nombreux efforts de l’exécutif écologiste en faveur des mobilités actives. «Sur le plan purement factuel du nombre de kilomètres d’aménagements et de places de stationnement, ça a bien progressé. On est plutôt satisfaits», affirme-t-elle.
Stop ou encore ?
À l’approche des élections municipales, l’association pro-vélo adoucit son discours, un an après avoir critiqué les reports de construction de certaines pistes cyclables. «Tout ce qui était prévu n’a pas été fait mais, à l’échelle des projets urbains, ce n’est pas inattendu. On s’est rendu compte qu’un mandat, c’était court : entre les temps de concertations et les travaux», observe Frédérique Bienvenüe. De là à plaider pour un second mandat écologiste ? La coprésidente ne se mouille pas. L’association rédige un plaidoyer en faveur des mobilités vélo et marche à destination de l’ensemble des candidat·es, et compte organiser un débat courant février 2026 – un mois avant les élections.
Pour Valentin Lungenstrass, qui sera de nouveau sur la liste de Grégory Doucet, le vélo sera au cœur des élections municipales et métropolitaines à venir. Avec une question simple : «Stop ou encore» ? «Il est évident que le développement des Voies lyonnaises ne se poursuivra pas de la même manière, voire pas du tout, si la droite remportait la mairie», pronostique-t-il.

Les équipes de Cœur Lyonnais annoncent déjà leur méthode : «La première mesure très concrète sera de faire une pause dans les projets à venir. Il faut réévaluer de manière rigoureuse les aménagements prévus.» Et pour ceux déjà terminés ? «Certains aménagements ont été faits dans la précipitation […] Là où ils posent un problème, par exemple pour les livraisons, les commerces, les personnes âgées ou les secours, nous les réaménagerons», précisent-elles. La faisabilité de cette option dépendra aussi du résultat des élections métropolitaines, organisées en même temps que les municipales.
Reste un sujet sur lequel les deux camps pourraient s’entendre : faire du vélo un moteur économique local. De chaque côté, on promet d’encourager la filière vélo, aujourd’hui créatrice d’emplois à Lyon. «Nous soutiendrons les acteurs locaux : réparateurs, fabricants, services de livraison et start-up de la mobilité douce», avance Cœur Lyonnais. Valentin Lungenstrass se réjouit de compter déjà environ 120 entreprises locales en lien avec le vélo sur le territoire. Le tiers-lieu Grand Plateau, avec ses plus de 35 structures résidentes dédiées aux professionnel·les du vélo et soutenu par la métropole de Lyon depuis son lancement en 2022, est un bon exemple de ce dynamisme local.