Reportage

Dans la Drôme, le retour en grâce des haies bocagères, véritables trésors écologiques

Arrachées depuis des décennies par des agriculteurs qui les ont longtemps vues comme des obstacles, les haies ont désormais la cote grâce à leurs nombreuses vertus écologiques. Reportage dans la Drôme où des plantations viendront bientôt briser les élans du vent qui s'engouffre dans la vallée du Rhône.
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Au pied du Ver­cors enneigé, à l’est de Valence (Drôme), le vent du Nord bal­aie un champ argileux et pen­tu. Sur ce car­ré de 3000 m² s’ac­crochent châ­taig­niers et autres frênes minia­tures qui, lorsqu’ils auront un an, seront replan­tés non loin pour con­stituer des haies.

En 2020, Sarah Com­bri­chon a fait le pari du cœur : lancer sa pépinière biologique d’ar­bres. Des végé­taux « essen­tiels, sans lesquels on n’a rien », jus­ti­fie celle qui a tra­vail­lé dix ans dans une enseigne de sport à Lyon, avant de se recon­ver­tir pour « faire quelque chose d’éthique ». En ce début du mois de décem­bre, la com­mu­nauté d’ag­gloméra­tion drô­moi­se et ardé­choise Arche agg­lo vient tout juste de lui acheter 225 sureaux issus de bou­tures. La plu­part du temps, la pépiniériste repère et récolte elle-même locale­ment les graines qu’elle fera pouss­er en pleine terre, sans mécan­i­sa­tion ni irri­ga­tion con­tin­ue.

Sarah Com­bri­chon © Aurélie Del­mas / Vert

« Pour choisir les espèces, je prends en compte les dif­férentes fonc­tions des haies : brise-vent, per­me­t­tant d’amen­er des pollinisa­teurs ou plus de bio­di­ver­sité, ou bien les trois. Par exem­ple, le cornouiller san­guin peut trou­ver sa place partout », explique la néo-drô­moi­se dans un grand sourire. Le choix d’essences locales répond aus­si à des enjeux cli­ma­tiques de long terme. « On part du principe que l’ar­bre a don­né l’in­for­ma­tion à la graine », ajoute la jeune femme qui mise sur le développe­ment d’un max­i­mum d’e­spèces pour que celles qui parvien­dront à pouss­er soient le plus robuste pos­si­ble.

Celle qui se donne trois ans pour équili­br­er finan­cière­ment son pro­jet béné­ficiera sans doute d’une dynamique nou­velle autour des haies. L’Office français de la bio­di­ver­sité (OFB) en a fait sa cause en 2021 et le gou­verne­ment y a dédié 50 mil­lions d’euros du plan de relance post-Covid. Et ce, après des décen­nies de mau­vais traite­ments.

70% des haies effacées du paysage

Après-guerre, les engins agri­coles n’ont cessé de se per­fec­tion­ner et de grossir. Les par­celles agri­coles se sont adap­tées et agrandies pour laiss­er pass­er les machines, avec le sou­tien de l’E­tat. Les effets négat­ifs de ces remem­bre­ments des ter­res sur l’en­vi­ron­nement et les paysages ne seront perçus que tar­di­ve­ment. D’au­tant que la poli­tique européenne fut très longtemps défa­vor­able aux arbres et ne pro­tège les haies que depuis 2015. Résul­tat : 70% des haies se sont effacées du paysage français depuis les années 1950. « Le con­stat est nation­al. Il en reste 750 000 kilo­mètres, et on observe une éro­sion annuelle de 11 000 kilo­mètres », explique Aline Buf­fat, con­seil­lère bio­di­ver­sité et agro­foresterie à la Cham­bre d’a­gri­cul­ture de la Drôme. Un départe­ment qui, explique-t-elle, « n’a pas été épargné ».

Elle a notam­ment accom­pa­g­né Guil­laume Caty, qui béné­fi­cie cette année du pro­gramme d’aide du gou­verne­ment, bap­tisé « Plan­tons les haies ! ». Juste avant les vacances de Noël, le vitic­ul­teur, qui s’in­stalle tout juste en bio lui aus­si, a réu­ni une dizaine de proches pour planter une haie à trois étages de 380 mètres de long à la fron­tière entre deux par­celles. « C’est dom­mage parce qu’on a passé des décen­nies à détru­ire les bocages qu’on remet aujour­d’hui, il aurait mieux valu les laiss­er. On aurait gag­né du temps », sourit-il. La terre est encore gelée en ce milieu de mat­inée, mais l’équipe s’af­faire à creuser avec régu­lar­ité : un buis­son ou un arbre moyen à chaque mètre et un grand arbre tous les dix mètres.

Guil­laume Caty et ses proches © Aurélie Del­mas / Vert

Havres de biodiversité, réservoirs d’eau et de CO2, et autres vertus

« Les déserts agri­coles, ça m’en­nuie, plaide celui qui a été ouvri­er agri­cole pen­dant douze ans. J’aime bien voir des oiseaux quand je lève la tête ! Dans des haies il y a une place pour des espèces qu’on ne trou­ve plus dans de grands champs comme ici ! Sans compter les intérêts agronomiques : la bio­di­ver­sité — chou­ettes, écureuils, chauve-souris…- qui se développe déjà dans les arbres au bord de la riv­ière aura un cor­ri­dor sup­plé­men­taire pour s’é­panouir ; et l’ef­fet « anti­dérive » de pro­duits chim­iques, car j’ai des voisins en con­ven­tion­nel ».

L’an­ci­enne par­celle de céréales de près de deux hectares accueillera des pieds de rous­sane et de syrah en févri­er prochain. La haie brise-vent sera, quant à elle, com­posée de 29 espèces. « Je veux faire un peu d’api­cul­ture alors j’ai sauté sur celles qui avaient un intérêt mel­lifère comme le romarin. La plu­part sont des espèces locales, pour recevoir la faune aux­il­i­aire du coin, et il y a quelques espèces méditer­ranéennes comme le pis­tachi­er, le grenadier ou l’o­livi­er en vue du réchauf­fe­ment cli­ma­tique », détaille cet « amoureux de la nature ». Grâce aux aides, il envis­age de planter d’autres haies dans ses champs.

Guil­laume Caty (en bas à droite) plante une haie à trois étages sur son domaine. © Aurélie Del­mas / Vert

« L’idée est d’im­pulser une dynamique », développe Aline Buf­fat. Stock­age de car­bone, dépol­lu­tion de l’eau, préser­va­tion de la bio­di­ver­sité… le rôle écologique des haies est impor­tant et mul­ti­ple. Dans cette région ven­teuse, « la plu­part des arboricul­teurs plantent des haies pour éviter les chocs entre les fruits. Avoir des arbres en rup­ture de pente per­met aus­si d’éviter l’érosion. Replanter des haies per­met égale­ment d’amen­er de la fraîcheur, de met­tre à l’abri les ani­maux s’il y en a. Ensuite, en per­dant leurs feuilles, les arbres amè­nent au sol de la matière organique », liste la con­seil­lère qui a déjà accom­pa­g­né une quin­zaine d’agriculteur·rices cette année. Pour touch­er défini­tive­ment l’argent, elles et ils seront tenu·es de garder leurs haies en vie pen­dant au moins trois ans.

Mais tou·tes ne sont pas intéressé·es. « Par exem­ple, la fil­ière céréal­ière est moins encline à se mobilis­er. Par ailleurs, cer­tains agricul­teurs ont tou­jours vu leurs par­ents arracher des arbres, et, dans le Ver­cors ou les Baron­nies, les par­celles sont petites et les agricul­teurs lut­tent plutôt con­tre les arbres qui con­cur­ren­cent leurs prairies », explique Aline Buf­fat. Partage de l’eau, des nutri­ments, de la lumière… « Ils voient par­fois mal les avan­tages à court terme sachant qu’il faut atten­dre plusieurs années avant de pou­voir exploiter du bois », pour­suit-elle.

Ces résis­tances pour­raient être pro­gres­sive­ment lev­ées grâce aux retours d’ex­péri­ences d’a­gricul­teurs voisins. « Je pense que le béné­fice est plus grand que les aspects négat­ifs, répond Guil­laume Caty. Il faut appren­dre à accuser un peu de pertes parce que des chevreuils ou des oiseaux vont manger une par­tie de la récolte. Je l’ac­cepte. Je préfère tra­vailler dans un endroit entouré de forêts et laiss­er de la place à la nature ».