Entretien

«La transparence n’est ni un luxe ni une option» : la députée à la tête de la commission développement durable Sandrine Le Feur en guerre contre Shein

Commission impossible. Face aux refus répétés de Shein de se présenter devant la commission du développement durable de l’Assemblée nationale, sa présidente, la députée Sandrine Le Feur, fustige une attitude «irrespectueuse» vis-à-vis du Parlement et a engagé une procédure judiciaire. Elle détaille à Vert les raisons de son opposition à ce symbole ultime de l'ultra-fast fashion.
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Que de rendez-vous pour la marque d’ultra-fast fashion Shein cette semaine ! Mardi, les représentants français de la firme étaient attendus à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale pour s’expliquer sur les pratiques environnementales de l’entreprise. Une audition reprogrammée… pour la troisième fois, après des refus de se présenter aux précédentes convocations.

Vendredi, c’est au tribunal judiciaire de Paris qu’ils sont convoqués pour savoir si la plateforme sera suspendue en France. L’État a demandé cette suspension après la découverte sur le site de la vente de produits illégaux, notamment des poupées sexuelles à caractère pédopornographique.

La présidente de la commission développement durable de l’Assemblée nationale, Sandrine Le Feur, a saisi la procureure de la République à l’encontre de Shein. © Agathe Huard

Après que la marque a de nouveau décidé mardi de ne pas se rendre à la commission d’enquête, sa présidente, la députée (Ensemble pour la République) de la 4ème circonscription du Finistère Sandrine Le Feur, a saisi la procureure de la République. Elle est remontée à cause des pratiques de Shein qu’elle juge «irrespectueuses».

Mardi, les représentants français de Shein ont refusé pour la troisième fois de se rendre à l’Assemblée nationale pour être auditionnés. Quels sont leurs arguments ?

Ils ont de multiples excuses. Le groupe affirme qu’il accepte d’être auditionné mais demande un report afin d’attendre la décision du tribunal judiciaire de Paris sur sa suspension réclamée par l’État en raison de la commercialisation de produits interdits. Il invoque une trop grande proximité entre le travail parlementaire et la procédure judiciaire en cours.

Mais c’est une fausse excuse. Les parlementaires respectent la séparation des pouvoirs. On connait les règles et on reste vigilant à ne pas poser de questions qui sont en lien avec l’enquête. Dans tous les cas, même si un député souhaitait poser une question relative à cette enquête, Shein ne serait pas obligée de répondre. Il y a déjà eu des personnes auditionnées en commission d’enquête alors même qu’une enquête judiciaire était en cours, et cela n’a jamais posé le moindre problème.

«Shein, Temu et Aliexpress ne démocratisent pas la mode mais la diabolisent.»

Ils disent aussi que je ne suis pas objective puisque je me suis prononcée dans la presse avec d’autres députés de la commission contre Shein et son modèle. Ce n’est pas une raison valable pour ne pas venir. Les députés auditionnent des personnes avec lesquelles ils sont parfois d’accord, et parfois pas. Je ne suis pas là pour applaudir la marque des deux mains ; je suis là pour leur demander des comptes sur leurs pratiques, notamment environnementales – puisque nous sommes dans la commission du développement durable. Mais, visiblement, ils sont gênés de répondre à ces questions.

À l’issue de cette audition écourtée, vous avez décidé de saisir la procureure de la République pour non-respect du fonctionnement des assemblées parlementaires. Quelles sont les sanctions possibles ?

Si la procureure nous donne raison, c’est 7 500 euros d’amende : c’est donc avant tout une sanction symbolique. Je tiens quand même à aller jusqu’au bout de cette action parce qu’on ne peut pas laisser impunies des entreprises qui ne viennent pas devant la représentation nationale. Ce n’est pas normal. Il s’agit d’irrespect envers le Parlement. La transparence n’est ni un luxe ni une option.

Le 23 novembre, avec 82 autres députés, vous avez signé un texte dans La Tribune Dimanche pour demander l’interdiction de Shein en France. Pourquoi cette action vous semble-t-elle nécessaire ?

Avec cette tribune, je souhaitais surtout montrer que je ne cautionne pas ce modèle d’ultra-fast fashion et que je n’en veux pas en France. Shein n’est pas la seule marque visée, il y a toutes les autres plateformes comme Temu ou Aliexpress. Elles ne démocratisent pas la mode mais la diabolisent. C’est donc important que les députés aient une parole claire et simple, pour que nos concitoyens intègrent le fait qu’il existe des alternatives pour s’habiller correctement, même lorsqu’on a un petit porte-monnaie. Par exemple, en France, on a un grand vivier de seconde main et de ressourceries qui font vivre les territoires.

Même si c’est réputé pour être peu cher, ces vêtements et objets vendus sur ces sites ne durent pas dans le temps, sont de mauvaises qualités et, surtout, sont dangereux pour notre santé. Pour être à bas coût, les enseignes ne respectent pas les normes environnementales et de sécurité. Des batteries ont déjà pris feu et des polluants éternels ont été retrouvés dans des bijoux ! Si Shein venait à la commission de développement durable, elle aurait l’opportunité de s’expliquer sur ses pratiques environnementales.

Justement, le tribunal judiciaire de Paris rendra vendredi sa décision sur la demande de l’État de suspendre Shein. Le gouvernement préconise une interdiction de trois mois. Est-ce suffisant ?

Évidemment, je préférerais une interdiction définitive. Mais je respecte le tribunal, qui ne s’exprime d’ailleurs pas sur les mêmes sujets que la commission d’enquête du développement durable. La justice s’intéresse à la vente de produits illégaux sur le site de Shein, comme des poupées sexuelles à caractère pédopornographique et des armes à feu, et non aux questions environnementales.

Si le site est bloqué pour trois mois et qu’il ouvre de nouveau, il faudra que nos agents, notamment ceux de la Répression des fraudes [la DGCCRF, NDLR], renforcent les contrôles. Je sais bien qu’au vu des milliers de colis qui arrivent chaque jour en France, il est impossible de tout contrôler. Mais, en tant qu’agricultrice biologique [Sandrine Le Feur est agricultrice à Pleyber-Christ, dans le Finistère, NDLR], on contrôle certaines de mes caisses de légumes. S’il y en a une qui ne respecte pas les normes, c’est tout mon lot qui est refusé. C’est de cette façon que ça fonctionne et cela devrait également être le cas à plus grande échelle pour Shein.

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