Le Bazar de l’Hôtel de Ville (BHV), à Paris, n’aura jamais aussi bien porté son nom. «Honte à vous !», «Boycott BHV !» Ce mercredi, les slogans fusent dans la rue de Rivoli, où une centaine de manifestant·es, maintenu·es derrière des barrières et surveillé·es par la police, font entendre leur colère. À quelques pas, une foule de plus en plus dense attend 13 heures avec impatience. À ce moment-là, les portes du grand magasin parisien s’ouvrent. La clientèle s’engouffre vers le sixième étage, où se trouve la première boutique permanente au monde du géant de l’ultra-fast fashion Shein. Avec ses 7 000 nouvelles références par jour, elle est la marque de vêtements qui pollue le plus au monde. Entre 2021 et 2023, la firme a multiplié par deux ses émissions de gaz à effet de serre (GES), détrônant les pionniers de la fast fashion comme H&M ou Zara.
À lire aussi
Annoncé il y a un mois, ce partenariat entre la Société des grands magasins (SGM) – qui exploite le BHV – et la plateforme controversée a suscité une vague de critiques. La nouvelle ne passe toujours pas. «C’est du n’importe quoi !», s’emporte Patricia, 63 ans, à l’entrée du magasin. «La honte» : l’inscription est marquée au feutre noir sur son t-shirt blanc. Dans la matinée, ce mercredi, elle s’est faufilée dans les rayons du BHV et a interpellé Frédéric Merlin, le patron de la SGM… avant d’être exfiltrée. «On ne peut pas accepter qu’une marque qui ne respecte aucune règle s’installe en France, dénonce-t-elle. Je ne reviendrai plus !».

Depuis quelques jours, Shein est empêtrée dans de nouvelles polémiques, au-delà de son impact environnemental. Le gouvernement français vient de saisir la justice pour demander le blocage de sa plateforme de commerce en ligne, comme l’a annoncé ce mercredi le ministère de l’économie. La raison : non-conformité aux lois du pays. La Répression des fraudes (DGCCRF) avait signalé à la justice la vente sur le site de «poupées sexuelles d’apparence enfantine». Et, ce mercredi matin, le député (Les Républicains) Antoine Vermorel-Marques a affirmé y avoir découvert des armes de catégorie A : armes à feu et armes blanches.
«Une banalisation de l’ultra-fast fashion»
Avec leur haut rouge floqué d’un hérisson blanc et leur pancarte à la main, les membres de France nature environnement sont reconnaissables de loin. Pour Axèle Gibert, responsable des problématiques liées à la réduction des déchets au sein de l’organisation, il était important de venir pour sensibiliser les client·es à l’impact environnemental de Shein. Elle explique : «On assiste à une banalisation de l’ultra-fast fashion, un modèle extrêmement néfaste pour la planète, en lui accordant une place de choix au sein d’une enseigne symbole de l’excellence française.»

Masque bleu sur le visage, Erkim, 40 ans, brandit sa pancarte à bout de bras pour s’assurer que tout le monde la voit. «Travail forcé là-bas, 300 000 emplois perdus ici», peut-on lire, en référence aux accusations de conditions de travail indignes des ouvrier·es chinois·es qui fabriquent les vêtements de la marque. «Frédéric Merlin promet la création de 200 emplois avec l’arrivée de Shein au BHV, mais à force d’importer des produits de l’étranger, on détruit des emplois en France», déplore Erkim. Une douzaine de marques présentes au BHV ont déjà plié bagage en signe de contestation.
25 millions de clients en France
Soudain, les regards se lèvent et les discussions s’interrompent. Fidèle à sa réputation de provocateur, Frédéric Merlin apparaît sur le toit du BHV, téléphone à l’oreille. «Merlin le désenchanteur», crient les manifestant·es de toutes leurs forces. Le patron avait d’abord «réfléchi à arrêter» sa collaboration avec l’enseigne de fast fashion, comme il l’a indiqué au micro de RTL, mardi. Mais il s’est ravisé, pleinement confiant dans la qualité des produits de la marque. Il dénonce même une certaine hypocrisie, puisque Shein compte plus de 25 millions de client·es en France.

La file d’attente à rallonge le démontre, l’arrivée de la plateforme d’ultra-fast fashion à Paris était attendue. Les personnes interrogées ce mercredi condamnent fermement les récentes révélations concernant Shein. Toutefois, «tellement de marques connaissent des polémiques que, en tant que consommatrice, je suis perdue. On ne peut pas tout boycotter», estime Sanaa. La jeune femme n’a jamais acheté sur le site chinois, mais a décidé de venir par curiosité. Elle juge que «Shein n’est pas pire que les autres». Beaucoup sont attiré·es par les prix cassés proposés par la marque. C’est le cas d’Abou, 25 ans, qui commande régulièrement sur le site et qui s’apprête à entrer pour la première fois dans le BHV, habituellement trop cher pour son porte-monnaie. «Avec un magasin physique, je vais pouvoir essayer les vêtements sans avoir à attendre la livraison», se réjouit-il.
Au bout d’une demi-heure, les premier·es client·es ressortent du bâtiment avec des sacs en papier bien garnis. Certain·es, visiblement content·es de leurs emplettes, détaillent leurs achats sur le trottoir. D’autres repartent déçu·es. «Trop cher», «Pas assez de choix», lancent ces personnes avant de s’éloigner. Cinq boutiques Shein ouvriront progressivement à Dijon (Côte-d’Or), Reims (Marne), Grenoble (Isère), Angers (Maine-et-Loire) et Limoges (Haute-Vienne). Reste à savoir quel accueil elles recevront.
À lire aussi
-
Mode jetable : Fashion Nova, le géant américain de l’ultra-fast fashion débarque en France dans l’ombre de Shein et Temu
Fashion faut pas. C’était l’une des marques pionnières de la fast fashion, mais elle s’est fait éclipser par les géants Shein et Temu. Ces derniers temps, alors que la lumière et les critiques sont ailleurs, Fashion Nova se rapproche d’influenceuses pour s’imposer sur le marché français. Une stratégie coup de poing au service d’une mode jetable et polluante. -
Emmaüs croule sous les dons de vêtements de fast fashion : «Cette baisse de qualité menace notre avenir»
Fashion faut pas. La plateforme de fast fashion Shein est l'enseigne de mode dans laquelle les Français·es ont le plus dépensé en 2024, a révélé l’application de shopping Joko, mardi. Résultat, les associations caritatives sont saturées par les dons d’habits de mauvaise qualité. Entretien avec le délégué général d'Emmaüs France.