Lorsque Ania, star de télé-réalité reconvertie dans l’influence, présente une tenue à sa communauté de quatre millions d’abonné·es sur Tiktok et 350 000 sur Instagram, les réactions affluent. Certain·es followers réclament même les références des vêtements pour se les offrir.
Ça tombe bien, Ania a pensé à tout : celles-ci sont déjà indiquées en légende de son post. Et pour cause, il s’agit d’une publication rémunérée dans le cadre d’un partenariat avec la marque américaine d’ultra-fast fashion Fashion Nova. En biographie de ses comptes sur les réseaux sociaux, Ania se présente même comme «ambassadrice» de l’entreprise. Depuis avril 2025, elle l’a ainsi mise en avant dans 19 publications sur ses différents réseaux.
@justt__aniaa ❤️🔥
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Parmi ces publications, une courte vidéo pour présenter un ensemble en crochet, que nous retrouvons sur le site de Fashion Nova sous l’appellation «Fruit Sensation», au prix de 52,95 euros. Un montant non définitif, compte tenu des codes promo proposés en permanence sur le site. Dans la fiche de présentation du produit, plusieurs éléments interpellent. La composition est bien indiquée, mais elle est médiocre : uniquement de l’acrylique et du polyester, deux matériaux polluants, dérivés du pétrole. Quant au lieu de fabrication, seule la mention imported (importé, en français) est indiquée. Nous n’en saurons pas plus. Un exemple typique de ce que l’on peut trouver sur le site.
L’entreprise créée en 2006 par l’Américain Richard Saghian – qui en est toujours l’unique détenteur – a émergé en 2017, avant Shein, lorsqu’elle a été présentée par certains médias comme une marque pionnière de la fast fashion. Cette mode «rapide» se caractérise par une production sur un temps très court et par la mise en ligne de dizaines de nouveaux produits chaque jour, proposés à des prix très bas.
Aujourd’hui, Fashion Nova est entré dans la catégorie supérieure, celle de l’ultra-fast fashion (avec un temps de production encore plus court, davantage de nouvelles références et des prix cassés), même si elle a fini par être éclipsée par le succès du géant du domaine, Shein.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, plus de 80 000 articles pour femmes, hommes et enfants sont proposés sur le site de Fashion Nova. D’après Forbes, la marque réalise plus de deux milliards de dollars (environ 1,7 milliard d’euros) de ventes par an : des chiffres étourdissants au service d’une mode peu chère, instantanée, de qualité médiocre – et donc jetable. Sur son site, ne cherchez pas la page concernant les engagements de la marque en matière de responsabilité sociale et environnementale : elle n’existe pas. Impossible de savoir dans quelles conditions les articles sont fabriqués.
La France comme nouveau marché
Malgré ce succès commercial international, la marque est encore méconnue en France. Mais elle semble en avoir fait une cible stratégique. Fashion Nova tire profit d’une situation dans laquelle les critiques se tournent quasi exclusivement sur Shein.
«Lorsque nous avons commencé à travailler sur le projet de loi anti-fast fashion à l’été 2023, nous avions clairement Shein et Temu [autre géant chinois du e-commerce, NDLR] en ligne de mire. Nous n’avions pas Fashion Nova en tête», reconnaît la rapporteure de la proposition de loi «visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile», la députée (Horizons) Anne-Cécile Violland. Ce texte, adopté à l’Assemblée nationale en mars 2024, puis au Sénat – dans une version différente de celle de l’Assemblée – en juin 2025, doit encore être débattu entre député·es et sénateur·ices en commission mixte paritaire. La convocation de cette commission sera décidée par le gouvernement et dépend donc de la stabilité politique. La perspective d’une adoption définitive semble encore lointaine.
Au vu du nombre de produits mis en ligne chaque jour par Fashion Nova, la marque américaine devrait être concernée par la loi anti-fast fashion lorsqu’elle entrera en vigueur. Celle-ci prévoit notamment d’interdire la publicité de l’ultra-fast fashion sur les réseaux sociaux.
En attendant, Fashion Nova recourt plus que jamais aux recettes qui ont fait son succès : la publicité massive à l’aide de collaborations avec des influenceur·ses. Sur sa page dédiée à l’influence, la marque américaine dit rechercher des profils «talentueux et créatifs» ou «passionnés de mode» et prêt·es à devenir des «Fashion Nova babes» – des «Filles de Fashion Nova», en français.
Ainsi, depuis le mois d’avril 2025, une cinquantaine d’influenceur·ses français·es de premier rang, presque systématiquement issu·es du monde de la télé-réalité, ont pris part au programme «Fashion Nova ambassadors». Entre leurs communautés sur Instagram et sur Tiktok, elles et ils en font la promotion auprès de plus de 60 millions d’abonné·es.
Un public mal informé et une loi en péril
Parmi ces stars des réseaux sociaux, beaucoup sont représenté·es par l’agente Magali Berdah au sein de son agence historique Shauna Events et chez Sublime Talents, lancée en 2018. Cette personnalité médiatique a réalisé des vidéos pour défendre Shein face à la loi anti-fast fashion, quitte à faire polémique. En parallèle, elle s’est rendue aux États-Unis pour créer des contenus promotionnels à destination de Fashion Nova.
Auprès des internautes, les collaborations avec Shein ne passent plus. En revanche, elles et ils ne voient rien à redire concernant les publicités avec son équivalent américain. On peut s’en rendre compte en s’intéressant aux influenceur·ses qui promeuvent les deux marques. Cet été, Manon Tanti a travaillé avec Shein puis, peu de temps après, avec Fashion Nova. Dans la première publication, les commentaires la rappellent à l’ordre et appellent au boycott du géant chinois ; rien de tout cela pour la seconde, où elle est même encensée pour le choix de sa tenue. De toute évidence, les consommateur·ices n’associent pas Fashion Nova à de l’ultra-fast fashion. À l’inverse, Shein en est devenu l’exemple type.
Un effet pervers que la députée Anne-Cécile Violland n’accepte pas : «Nous avons communiqué sur Shein, mais il faut que nous fassions la même chose avec Fashion Nova. Nous devons faire monter le sujet.»
Contacté·es, ni Fashion Nova, ni Magali Berdah, ni aucun·e des 50 influenceur·ses n’a répondu à nos sollicitations.
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