Décryptage

Pénalités, interdiction de la publicité : que contient la proposition de loi anti-fast fashion, adoptée par le Sénat ce mardi ?

Haute coup dur. Adoptée en mars 2024 à l’Assemblée nationale, la proposition de loi visant à réduire «l’impact environnemental de l’industrie textile» a été adoptée par le Sénat ce mardi. Le texte, plus ambitieux que prévu, pourrait faire de la France le premier pays à encadrer les pratiques de la fast fashion. Mais il doit encore passer en commission mixte paritaire dans les prochaines semaines.
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Ce qu’il faut retenir :

👉 Le texte introduit une définition légale de «l’ultra-fast fashion», qui repose sur : le volume de production, la vitesse de renouvellement des collections, la faible incitation à réparer les produits ou encore la durée de vie des vêtements.

👉 Il prévoit l’introduction d’une taxe pour tous les produits qui relèvent de la fast fashion – et pas uniquement de l’ultra-fast fashion.

👉 Il interdit la publicité pour tous les acteurs relevant de l’ultra-fast fashion, y compris les collaborations avec des influenceur·ses.

La France sera-t-elle le premier pays à légiférer contre la fast fashion et ses pratiques environnementales destructrices ? Ce mardi, le Sénat a adopté à la quasi-unanimité (par 337 voix contre 1) la proposition de loi (PPL) «visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile».

Plus connue sous le nom de «loi anti-fast fashion», cette proposition avait été adoptée il y a plus d’un an par l’Assemblée nationale. Elle entend répondre à un enjeu majeur : la nécessaire décarbonation du secteur textile, qui représente environ 10% des émissions mondiales de gaz à effet de serre – davantage que l’ensemble des vols mondiaux et du transport maritime international.

Une montagne de déchets vestimentaires dans le désert d’Atacama (Chili), en 2022. Sur place, les associations dénoncent la responsabilité des géants de la fast fashion. © Eko/Flickr

Et elle est «plus ambitieuse que prévu», s’est réjouie en amont du vote Flore Berlingen, cofondatrice de l’Observatoire du principe pollueur-payeur et coordinatrice du plaidoyer En Mode Climat : «On a eu très peur qu’elle soit complètement vidée de sa substance, mais la mobilisation citoyenne a payé.»

Le texte, qui électrise le secteur de la mode depuis quelques mois, a beaucoup évolué depuis son adoption par l’Assemblée nationale l’an dernier. Porté par la députée (Horizons) Anne-Cécile Violland, il prévoyait, à l’origine, de s’attaquer à une plus large part de l’industrie textile, y compris les grandes marques comme H&M, Zara ou Kiabi.

Mais lors de son passage en commission développement durable, en mars dernier, il a été largement détricoté par les sénateur·ices, qui préféraient cibler plus spécifiquement les plateformes chinoises telles que Shein et Temu, et épargner les enseignes françaises.

Lors de l’examen en séance plénière au Sénat, les 2 et 3 juin derniers, plusieurs dispositions clés ont toutefois été rétablies. Dans sa version actuelle, le texte repose sur trois axes majeurs.

🎓 Une définition légale de la fast fashion

L’article premier de la proposition de loi instaure une définition de la fast fashion. Ou plutôt, de la «mode ultra-express». Cette distinction entre fast fashion et ultra fast fashion est restée dans la dernière version du texte. «Je ne veux pas toucher d’un centime à une entreprise comme Decathlon ou Kiabi», avait revendiqué la rapporteure du texte Sylvie Valente Le Hir auprès du média spécialisé dans la seconde main CM-CM en avril dernier. D’après elle, des marques comme Zara et H&M participent à «dynamiser nos centres-villes».

Dans la future loi, l’ultra-fast fashion est définie par : des «pratiques industrielles et commerciales» marquées par une «diminution de la durée de vie» des vêtements, un «nombre élevé de références», ou encore une «faible incitation à réparer» les produits. Les seuils seront définis plus précisément par décret, précise le texte.

Les entreprises qui relèveront de cette définition seront tenues d’afficher sur leurs plateformes des «messages encourageant la sobriété, le réemploi, la réparation, la réutilisation et le recyclage des produits». Et devront «sensibiliser» les consommateur·ices sur «l’impact environnemental» de ces vêtements.

💶 Des pénalités pour les plus polluants

Pour «responsabiliser» les producteurs, la loi prévoit un système de bonus-malus : les plateformes devront payer des «éco-contributions» pour chaque produit qui relève de la fast fashion. La loi s’appuie pour ça sur l’indice de durabilité d’un produit – un composant de l’affichage environnemental, cet écoscore récemment validé par la Commission européenne.

Le montant des pénalités financières sera d’au moins cinq euros par article en 2025, puis de dix euros en 2030 (elles resteront plafonnées à 50% du prix du produit). Les fonds collectés seront par la suite redistribués sous forme d’aides aux marques les plus vertueuses, et une partie servira à soutenir le développement de filières de collecte et de recyclage.

«La bonne nouvelle, c’est que cette nouvelle réglementation du bonus-malus permet de toucher les acteurs de la fast fashion, et pas uniquement de l’ultra fast fashion», a déclaré à Vert Pierre Condamine, chargé de campagne Surproduction aux Amis de la Terre. Dans la version précédente du texte, le critère retenu – pour définir si un vêtement devait être taxé ou pas –, reposait sur la largeur de la gamme proposée.

📵 Interdiction de la publicité

C’est sur ce point que le Sénat a le plus évolué. Après de longs débats, la chambre haute a rétabli l’interdiction totale de la publicité pour les plateformes de mode ultra-éphémère – même si la droite sénatoriale doutait de sa conformité à la Constitution.

Dans sa version précédente, le texte n’interdisait plus que les collaborations avec les influenceur·ses. Ce volet est tout de même resté : toute promotion des marques d’ultra-fast fashion – telles que définies dans le premier article – par un·e influenceur·se pourra être sanctionnée d’une amende administrative (d’une valeur maximale de 100 000 euros).

⚖️ Commission mixte paritaire : dernière étape avant l’adoption

Adopté ce mardi, le texte sera bientôt transmis à une commission mixte paritaire (CMP), chargée de trouver un compromis entre les versions votées par l’Assemblée nationale et le Sénat. «Avec un peu de chance, il retrouvera un peu plus de sa forme initiale», a confié Pierre Condamine, des Amis de la Terre.

De son côté, Flore Berlingen estime qu’«on ne peut pas tout attendre de cette loi. Mais qu’elle ferait tout de même de la France une pionnière». Pour la première fois, relève-t-elle, la définition de la fast fashion repose sur des critères commerciaux, et non plus uniquement sur la qualité des vêtements. Et de conclure : «Cette loi permettrait de sauvegarder des emplois dans ce secteur profondément en crise.»