Et si le géant Shein faisait pression auprès de nos décideur·ses, pour qu’elles et ils rejettent la proposition de loi dite «anti fast fashion», en cours d’examen par le parlement ? Difficile de le savoir : la déclaration d’intérêt que l’entreprise a déposée auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) – un document qui doit faire état de toutes les activités de lobbying de Shein, et notamment des rendez-vous que ses communicants prennent avec des ministres pour les influencer – est lacunaire.

L’Observatoire des multinationales (ODM) et les Amis de la Terre France l’ont constaté, et ont saisi la HATVP pour l’alerter du problème. «On a relevé beaucoup d’incohérences dans les déclarations et il manque beaucoup de détails», explique Olivier Petitjean de l’ODM.
La déclaration, telle que consultée par Vert, fait état de sept activités de lobbying depuis le premier janvier 2024. Et la plupart sont… hors sujet. L’une évoque les actions de Shein en faveur de «l’accessibilité aux personnes malvoyantes des sites de e-commerce», une autre est en lien avec un «événement caritatif en faveur des enfants atteints de cancer». Et l’une d’entre elles concerne la création d’un atelier Shein à Paris… Des activités «qui ne relèvent manifestement pas de la représentation d’intérêts et nuisent à la compréhension par le public des activités de Shein auprès des décideurs», dénoncent les associations.
L’implication de Christophe Castaner
Certaines, cependant, sont plus à-propos : Shein mentionne tout de même ses activités de lobbying autour de la proposition de loi «visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile» – une loi encore en discussion au parlement, et qui déplait beaucoup au géant chinois, car elle prévoit de pénaliser les marques qui ont les pires pratiques environnementales et d’encourager les plus vertueuses. Mais Shein décrit ses activités de lobbying «de manière extrêmement vague et non-informative», déplorent toutefois les associations.
Certes Shein assume avoir «contribué à la réflexion autour d’une réglementation de l’impact environnemental de l’industrie textile», mais ne précise ni les méthodes de lobbying, ni les élu·es approché·es. «Ils ne citent même pas le nom de la loi sur laquelle ils font du lobbying !», s’indigne Olivier Petitjean.
L’Observatoire des multinationales et les Amis de la Terre France dénoncent par ailleurs l’opacité qui entoure le rôle qu’ont pu jouer des personnalités publiques, telles que l’ex-ministre de l’intérieur Christophe Castaner, dans les activités d’influence de la firme. Celui-ci s’est prononcé à de nombreuses reprises contre la proposition de loi «anti fast fashion» et a déjà confié aux médias avoir été embauché par Shein au travers de sa société de conseil Villanelle Conseil. Pourtant, «aucun élément sur cette prestation de conseil n’est publié dans les déclarations faites à la HATVP par Shein et Villanelle Conseil», note le communiqué des associations.
Pourquoi une telle opacité dans ses pratiques d’influence ? Contactée par Vert, l’entreprise n’a pour l’heure pas répondu. Pour Olivier Petitjean de l’Observatoire des multinationales, il s’agit avant tout pour Shein «de minimiser, ne pas montrer à quel point elle a mobilisé des moyens pour entraver loi anti fast fashion».
Les 2 et 3 juin prochains, les débats autour de cette loi reprendront au Sénat. Votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale en mars 2024, elle avait ensuite été détricotée en commission sénatoriale. Les associations alertent : «Les pressions exercées par cette multinationale, acteur majeur de la fast fashion, n’y sont sûrement pas étrangères : l’entreprise a multiplié les opérations de communication et de lobbying pour défendre son modèle de production».