Fashion faut pas. La plateforme de fast fashion Shein est l’enseigne de mode dans laquelle les Français·es ont le plus dépensé en 2024, a révélé l’application de shopping Joko, mardi. Résultat, les associations caritatives sont saturées par les dons d’habits de mauvaise qualité. Entretien avec le délégué général d’Emmaüs France.
Shein a détrôné Vinted et Kiabi. Le site de vente en ligne d’habits de seconde main et la marque à petits prix ont marqué le pas. Les client·es ont davantage dépensé dans l’enseigne chinoise d’ultra fast fashion durant l’année 2024, sur l’application de shopping Joko, a révélé celle-ci mardi. La plateforme s’appuie sur 700 000 transactions bancaires réalisées par son application. Elle dresse le constat d’une explosion des ventes de la marque connue pour vendre des habits de piètre qualité, à prix réduit.
À peine portés, leurs propriétaires en font parfois don aux associations caritatives comme Emmaüs, la Croix-Rouge ou le Secours populaire. Celles-ci croulent sous l’afflux de textiles difficilement réutilisables et ne savent pas quoi en faire. Si bien que certaines bornes de collecte de vêtements usagés ont dû être retirées depuis l’été dernier. Et certains centres de récupération d’habits sont noyés sous les stocks.
Le Mouvement Emmaüs compte près de 200 structures ayant une activité textile. En 2022, elles en ont récupéré près de 120 000 tonnes, soit 60% du textile collecté en France. Vert a interrogé Tarek Daher, délégué général d’Emmaüs France à ce propos.
Quel est l’impact de la fast fashion sur la qualité et la quantité des dons d’habits à Emmaüs ?
Les impacts de la fast fashion se sont fait sentir avant l’arrivée de marques d’ultra fast fashion comme Shein. Nous observons depuis plusieurs années une augmentation de la quantité de dons, liée à l’arrivée massive de cette mode jetable qui incite à renouveler sa garde-robe plus fréquemment. En 2022, 3,3 milliards de vêtements ont été vendus en France, soit 48 pièces par personne [contre 2,8 milliards en 2021, selon l’éco-organisme Refashion, NDLR] !

En parallèle, on observe une baisse de la qualité de ce qui nous parvient, qui s’explique par une baisse de la qualité du vêtement lui-même. Il est mal conçu, et se réemploie donc moins bien. Cela vient aussi d’un moindre attachement émotionnel au vêtement : la «valeur» d’une pièce de fast fashion est faible, même si le vêtement est en bon état. Les vêtements Shein n’intéressent pas les clients au même titre que les autres articles, d’autant qu’ils sont déjà très répandus sur le marché…
Que fait Emmaüs des habits de trop mauvaise qualité pour être vendus ?
Nous avons une gestion de bout en bout : nous collectons des dons, en boutique ou via des conteneurs textiles comme ceux du Relais (membre du Mouvement), dont nous extrayons les vêtements réemployables de qualité, pour les proposer dans nos boutiques. Cette part représente 5% en moyenne des dons reçus. Pour les 95% restants, qui sont des textiles non réemployables, ceux-ci sont remis à nos centres Emmaüs/Le Relais, pour être triés et envoyés vers les exutoires adaptés, selon leur état.
Si le vêtement est encore de bonne qualité, et qu’il peut connaître une seconde vie en tant que vêtement, il partira en réutilisation à l’international (50%). S’il est trop abimé/taché, alors on s’intéresse à la matière qui le compose : il est soit envoyé au recyclage (35%), soit à l’incinération (10%). Parmi les débouchés de recyclage, le Mouvement Emmaüs a été précurseur pour développer le métisse, un isolant thermoacoustique fabriqué à partir de jeans usagés.
L’arrivée de la plateforme de revente d’habits en ligne Vinted a-t-elle aussi eu un impact sur la qualité des vêtements reçus ?
Oui, les plateformes comme Vinted détournent les dons de qualité. Contrairement aux structures Emmaüs, ces acteurs ne traitent que la partie lucrativement intéressante, alors que nous gérons toutes les qualités de vêtements qui nous arrivent.
Le fait qu’une part croissante du textile de qualité nous échappe fragilise notre modèle économique, car nos structures se financent sur les ventes de produits réemployables. Et contrairement à Vinted, le Mouvement Emmaüs porte des actions de solidarité grâce à cette activité de réemploi que nous pratiquons depuis longtemps. Nous sommes donc inquiets de l’impact de cette baisse de qualité, qui menace notre avenir.
Ce type de plateformes est pensé pour inciter à toujours plus consommer, en accélérant l’achat et la revente. Loin de favoriser une mode plus responsable, les outils comme Vinted peuvent être des accélérateurs de fast fashion. Ces pratiques s’observent aussi chez les marques qui proposent de la reprise de pièces réemployables de bonne qualité, en échange de bons d’achat valables sur le neuf ! Bien que la seconde main soit mise en avant, ces pratiques peu vertueuses ne questionnent absolument pas notre consommation.
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