1/ Artificialiser : c’est quoi le problème ?
En France, comme ailleurs, la transformation des espaces agricoles, naturels et forestiers en zones artificialisées fait des ravages, mais les conséquences sur l’environnement et les humain·es sont assez peu connues. En voici une liste non exhaustive.
Perte de biodiversité : Le sol est l’un des plus grands réservoirs de biodiversité de la planète. Un gramme de sol contient entre 100 000 et un million d’espèces différentes. Sans surprise, noyer tout cela sous le béton est devenu la cause première de l’effondrement de la biodiversité dans le monde.
Perte de souveraineté alimentaire : En France, l’artificialisation concerne surtout d’ex-terres agricoles (à 70%), car elles sont moins bien protégées par le droit que les espaces naturels et forestiers. Les surfaces agricoles ont ainsi perdu 30% de leur surface depuis 1950 (aussi du fait de l’accroissement des forêts). C’est autant d’espace en moins pour produire de la nourriture.
Réchauffement climatique : À l’état naturel, le sol stocke du carbone dans des proportions colossales. On estime ainsi que 20% des émissions françaises de gaz à effet de serre sont captées chaque année par les sols et forêts françaises. Mais une fois artificialisé, un sol n’absorbe plus de CO2, voire, il en relâche, participant ainsi au réchauffement climatique.
Îlots de chaleur et inondations : Un sol artificialisé n’absorbe plus l’eau de pluie. En ville, les conséquences sont déjà visibles avec des inondations amplifiées lors des fortes pluies. Valence, en Espagne, vient d’en faire la tragique expérience. En plus, les sols bétonnés retiennent la chaleur – contrairement aux végétaux qui rafraîchissent l’atmosphère -, favorisant l’apparition d’îlots de chaleur (augmentation localisée des températures).
Baisse de la qualité de vie : L’artificialisation, lorsqu’elle est synonyme d’étalement des villes, implique que les habitant·es dépensent plus de temps et d’énergie dans les transports, les rendant plus dépendant·es de leur voiture individuelle. Selon le ministère de la transition écologique, les distances parcourues en voiture sont 1,5 plus importantes pour les habitant·es des périphéries que pour celles et ceux des centres-villes.
2/ En France, qui artificialise ?
En France métropolitaine, près de 10% des sols (5 millions d’hectares) sont aujourd’hui artificialisés. Cela peut paraître peu, mais cette surface a augmenté de 70% depuis les années 1980, alors que dans le même temps la population a cru de «seulement» 19%.
Le rythme d’artificialisation a certes ralenti ces dernières années (voir graphique ci-dessous), mais il reste vertigineux, avec plus de 20 000 hectares (200 kilomètres carrés – km²) engloutis chaque année. C’est à peu près la surface d’une ville comme Marseille, ou d’un département comme la Seine-Saint-Denis. En continuant à ce rythme, une surface supplémentaire équivalente au Luxembourg succombera sous le béton d’ici à 2030, alerte France Stratégie.
S’il est tentant de pointer du doigt les vastes entrepôts logistiques qui champignonnent ici et là, c’est bien l’habitat (individuel) qui consomme le plus d’espace (66%), loin devant les activités économiques (24%).
Oubliez aussi le mythe de la mégalopole en hypercroissance, car la consommation d’espaces est majoritairement le fait de communes dites «détendues», voire en perte d’habitant·es. Les zones rurales en particulier représentent 65% de la consommation d’espaces (2014-2020) pour seulement 20,8% des nouvelles arrivées, pointe le Cerema. En clair, pendant que les (petits) bourgs se meurent, les zones pavillonnaires étendent leurs tentacules en périphérie.
3/ Le «Zéro artificialisation nette», c’est quoi (en théorie) ?
En France, la consommation de terres est une préoccupation de longue date. Dès 2010, la loi de modernisation agricole visait une baisse de la consommation des espaces agricoles de 50% à horizon 2020 (en vain).
Mais «c’est la Convention citoyenne pour le climat qui a donné l’ultime élan en 2020», retrace Thomas Uthayakumar, porte-parole de la Fondation pour la nature et l’Homme (FNH). Après avoir disséqué pendant huit mois les émissions de gaz à effet de serre du pays, ces 150 Français·es tiré·es au sort avaient proposé d’ancrer dans la loi un objectif de «zéro artificialisation nette» à horizon 2050. La mesure est une des rares à avoir été reprise presque «sans filtre» dans la loi Climat et résilience d’août 2021.
Concrètement, un premier objectif intermédiaire prévoit de diviser par deux la consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers entre 2021 et 2031 (en prenant la période 2011–2020 comme référence). Passée cette date, l’artificialisation devra être progressivement ramenée à zéro «net», c’est à dire que l’artificialisation de nouveaux espaces sera conditionnée à la renaturation d’espaces artificialisés dans des proportions égales.
4/ Le ZAN, ça donne quoi (en pratique) ?
Si le plan a l’air simple d’un point de vue mathématique, la mise en œuvre du «net» s’annonce beaucoup plus complexe en pratique. D’une part, parce que la détermination de ce qu’est une surface correctement «renaturée» fait débat. D’ailleurs, les chiffres de la renaturation n’existent pas en France. Le Cerema, qui recense l’artificialisation pour le compte de l’État, n’a pas encore les outils pour la mesurer.
D’autre part, parce que le processus même de reconstitution d’un écosystème naturel est ardu. Selon l’association Terre de liens, «il n’est pas impossible, mais il est très long, et les coûts sont estimés entre 90 et 300 euros par mètre carré de terre». À ces prix, la renaturation des 20 000 hectares artificialisés chaque année en France coûterait entre 18 et 60 milliards d’euros. «L’idée de compenser l’artificialisation est techniquement et financièrement presque impossible», conclut l’association.
La priorité doit donc être de limiter l’artificialisation et de recycler les espaces déjà artificialisés. A priori, il y a de quoi faire : en 2020, la France comptait trois millions de logements vacants (8% du parc) et entre 90 000 et 150 000 hectares de friches industrielles, selon le portail de l’artificialisation des sols. Les chiffres concernant les friches commerciales et administratives sont inconnus.
5/ Pourquoi tout le monde veut la peau du ZAN ?
Trois ans après son adoption, le ZAN sème la fronde. Les grandes figures politiques tapent dessus à bras raccourcis : de Laurent Wauquiez (Les Républicains) qui le juge «ruralicide» et «dangereux» à Gabriel Attal (Renaissance) qui «assume de vouloir continuer à permettre le développement de la maison individuelle en France». Pendant ce temps, les élu·es locaux·les refusent de l’appliquer. Dans une enquête de l’Association des maires de France, plus de 86% déclarent n’avoir jamais suspendu une demande d’autorisation d’urbanisme compromettant l’atteinte du ZAN.
Pour leur défense, c’est tout un imaginaire qui nécessite d’être bouleversé. Une large majorité de Français·es rêvent d’habiter une maison avec jardin. Dans ce contexte, quoi de plus instinctif pour un·e élu·e que de lancer la construction de lotissements pour attirer des ménages ? «Notre travail dans les années à venir va être de rendre la densité désirable», confiait à Vert Franck Boutté, ingénieur et grand prix de l’urbanisme 2022.
Les solutions existent pour développer une «densité joyeuse», mais leur mise en œuvre «réclame plus de moyens humains et financiers, alors que les dotations des collectivités sont en baisse», défend Auréline Doreau du Réseau Cler, qui fédère des associations, collectivités et entreprises engagées pour la transition écologique. Aujourd’hui, même la fiscalité est favorable à l’artificialisation : pour une commune, les espaces artificialisés sont plus rémunérateurs que les espaces naturels ou agricoles, car ils permettent de lever des impôts (taxe foncière, taxe sur les surfaces commerciales, etc.).
6/ La mise à mort du ZAN
Faute d’être assorti d’outils pour accompagner les collectivités, le ZAN enchaîne les coups durs. «À force d’assouplissements et de dérogations, l’objectif est en train de devenir une coquille vide», craint Thomas Uthayakumar.
En juillet 2023, l’adoption d’une loi visant «à accompagner les élus locaux dans l’application du ZAN» a accordé à chaque commune le droit d’artificialiser au moins un hectare supplémentaire d’ici à 2031, quels que soient ses besoins réels. Une «garantie communale» destinée à calmer la grogne des maires, qui entraînera potentiellement l’artificialisation de 36 000 hectares supplémentaires.
La même loi prévoit l’artificialisation de 12 500 hectares supplémentaires pour la réalisation de 424 «projets d’envergure nationale ou européenne». Parmi eux, on trouve la Ligne à grande vitesse (LGV) Lyon-Turin, le centre d’enfouissement des déchets nucléaires Cigéo à Bure (Meuse), des usines ou encore des prisons.
Plus récemment, le Sénat a adopté le projet de loi de simplification de la vie économique, qui prévoit l’exclusion pure et simple des projets industriels de l’objectif ZAN. Si l’Assemblée nationale valide le texte dans les mêmes termes, plusieurs milliers d’hectares seraient artificialisées chaque année sans être comptabilisés comme tels.
Enfin, même le premier ministre Michel Barnier a dit vouloir faire «évoluer» la réglementation ZAN, cette fois pour «revitaliser la construction de logements». Dans ce contexte, pas facile de rester ZAN.
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