Décryptage

Arbres jaunis, tapis de feuilles mortes, maladies… est-ce que c’est déjà l’automne ?

Feuille déroute. Le manque d’eau et les canicules de cet été ont fait souffrir de nombreuses essences, qui ont parfois dû se séparer de leurs feuilles pour mieux se défendre. Amenés à se répéter avec le changement climatique, ces phénomènes fragilisent durablement les forêts françaises.
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Dans les rues de Paris, Lyon, Toulouse, mais aussi dans les grandes forêts du pays comme dans les petits bosquets : des arbres jaunissent et leurs feuilles tombent alors que l’été est loin d’être terminé. Un «faux automne» en plein mois d’août, qui interroge de nombreux·ses passant·es.

«Ce n’est pas normal à cette période, confirme à Vert Aurélie Gousset, chercheuse en biologie végétale à l’Université Clermont Auvergne. Les feuilles tombent généralement à l’automne, quand la durée du jour se raccourcit et que les températures diminuent». Une telle perte massive du feuillage en plein été n’est pas nouvelle pour autant, rappelle la scientifique : ce phénomène avait déjà été observé il y a trois ans en plein mois de juillet, et est amené à se répéter avec le changement climatique.

Mécanismes de défense, brûlures et maladies

«On a un double effet du manque d’eau dans les sols et des chaleurs extrêmes des dernières semaines», détaille Marc-André Selosse, biologiste au Muséum national d’histoire naturelle. Plus la température monte, plus les arbres transpirent par les feuilles, leur permettant de se refroidir. Mais face à la sécheresse qui frappe une grande partie du territoire, certaines espèces limitent cette évacuation d’eau en fermant leurs stomates – ces minuscules «portes» à la surface des feuilles qui permettent l’interaction entre l’air et la plante.

Le manque d’eau et les canicules de cet été ont fait souffrir de nombreuses essences (ici des feuilles de cerisier). © Esteban Grépinet/Vert

Quand cette première stratégie de défense ne suffit pas, l’arbre peut ensuite se séparer de ses feuilles en bloquant leur alimentation – comme il le fait à l’automne. «C’est la solution la plus extrême, détaille Aurélie Gousset. Il décide de sacrifier ses feuilles pour résoudre les problèmes de transpiration».

Si le stress en eau n’est pas trop rapide, certaines plantes peuvent retirer dans leur tronc la chlorophylle, qui permet la photosynthèse et donne sa couleur verte aux feuilles. «Elles laissent alors voir les autres pigments jaune ou orange», complète Isabelle Chuine, spécialiste du changement climatique sur les arbres au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier. La chercheuse souligne que cette réaction anormale en plein été reste méconnue tant elle est récente.

Mais ce mécanisme automnal est long et, face aux conditions extrêmes de cet été, beaucoup de feuilles se dessèchent à même les branches, complète Marc-André Selosse : «Elles brunissent directement, avec des nécroses en bloc». Sur les réseaux sociaux, l’agroclimatologue Serge Zaka a partagé de nombreuses images d’arbres ayant «littéralement brûlé» : «Sept jours seulement avec des températures records jusqu’à plus de 40°C [montrent] la limite de l’adaptation végétale. Non, ce n’est pas normal en été. L’été que nous traversons est exceptionnel.»

Comme le rappelle dans un entretien au Monde Nathalie Bréda, chercheuse à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), d’autres phénomènes indépendants des conditions climatiques peuvent aussi jouer sur les modifications du feuillage des arbres en plein été. Elle cite les attaques de chenilles sur les marronniers, qui mènent au dessèchement de leurs feuilles. À l’inverse, les fortes chaleurs peuvent aussi favoriser le développement d’autres insectes comme les scolytes, responsables d’attaques massives sur les épicéas de l’est de la France (notre article).

«Une très forte accélération de la mortalité des arbres»

Hêtres, bouleaux, sapins, saules… Les essences les moins adaptées aux fortes chaleurs sont les plus exposées à ce jaunissement et ces pertes de feuilles précoces. Pour Aurélie Gousset, les arbres impactés sont «en théorie» capables de refaire des feuilles d’ici l’automne : «C’est intéressant pour reconstituer des stocks pour l’hiver [avec la photosynthèse, les feuilles produisent des sucres qui nourrissent la plante, NDLR], mais cela leur ferait aussi utiliser beaucoup d’énergie».

D’autant que ces pertes anormales de feuilles jouent aussi sur leur santé puisqu’ils «perdent l’outil qui leur permettent de se nourrir», détaille Isabelle Chuine : «La photosynthèse s’arrête, et la plante séquestre moins de dioxyde de carbone [un des principaux gaz responsables du réchauffement climatique, NDLR]». Le manque d’eau chronique peut aussi conduire à des entrées d’air qui détériorent les vaisseaux conducteurs de l’arbre, conduisant à terme à des pertes de branches (qui ne sont plus alimentées) voire à la mort de l’arbre.

«Si les étés chauds et secs se poursuivent, la probabilité d’avoir des dépérissements massifs de forêts est importante»

Tous les arbres impactés par la sécheresse et les fortes chaleurs de ces dernières semaines ne sont pas condamnés, mais la répétition et l’intensification de ces phénomènes liés au changement climatique les fragilisent de plus en plus. «Si cela continue d’année en année, ils vont manquer de réserves, produire moins de feuilles, s’épuiser et aller vers une mort lente», avertit Isabelle Chuine. La canicule de ce mois d’août – un «épisode exceptionnel» par sa durée et son intensité, selon Météo-France – intervient après une première vague de chaleur d’ampleur au début de l’été (notre article).

«Si les étés chauds et secs se poursuivent, la probabilité d’avoir des dépérissements massifs de forêts est importante», confirme Aurélie Gousset. Et cette répétition d’événements climatiques extrêmes «s’ajoute à un effet cocktail d’autres stress, liés au microplastiques, aux pollutions azotées, au tassement des sols par les engins forestiers», liste Marc-André Selosse.

Le dernier inventaire forestier national publié en octobre 2024 met en lumière «une très forte accélération de la mortalité des arbres» en France métropolitaine, qui a doublé en l’espace de dix ans. Si les espèces végétales peuvent évoluer pour s’adapter à cette nouvelle donne, «il n’est pas certain que la vitesse d’acclimatation des arbres soit suffisante face à la rapidité de la crise climatique», alerte dans Le Monde Nathalie Bréda. Des expérimentations sont en cours partout en France pour mieux connaître et favoriser les essences les plus résistantes au bouleversement climatique qui ne fait que commencer.

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