Reportage

«On n’a pas vu ça depuis la réforme des retraites !» : en Gironde, le projet d’usine à saumons mobilise ses opposants

Saumon fumeux. Présenté comme pourvoyeur d’emplois, le projet d’usine à saumons du Verdon-sur-Mer (Gironde) inquiète par ses rejets d'eaux usées qui pourraient dégrader la qualité de l’estuaire. Une pollution qui risque de menacer le tourisme et la pêche, gros employeurs locaux. Plusieurs manifestations d'opposant·es ont eu lieu ce week-end, Vert y était.
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Sur les bords de la très chic avenue Aristide-Briand de Royan (Charente-Maritime), un cortège à nageoires et tentacules s’avance au cri de «No poissaran !». Sur le trottoir, une sexagénaire aborde les flâneurs et flâneuses, ce samedi 29 novembre, avec un flyer bordé de rouge représentant la vue d’architecte d’un site industriel en bord de mer : «C’est un projet d’usine à saumon : ils vont être élevés dans des bacs en béton dégueulasses, explique-t-elle en brandissant son papier. Depuis que j’ai appris ça, je n’en mange plus !» Prévue de l’autre côté de l’estuaire de la Gironde, au Verdon-sur-Mer (Gironde), l’usine à saumons a mobilisé un peu plus de 250 personnes dans la ville côtière sous les pancartes «Protégeons notre estuaire». «Pour Royan, c’est beaucoup : on n’a pas vu ça depuis la réforme des retraites !», s’enthousiasme l’une des organisatrices.

De l’autre côté de l’estuaire de la Gironde, la ville de Royan s’est mobilisée comme de nombreuses autres communes qui craignent pour la qualité de l’eau. © Sylvain Lapoix/Vert

Le dossier qui remue l’estuaire depuis 2022 a reçu le feu vert des autorités préfectorales le 28 novembre dernier et s’apprête à passer au stade de l’enquête publique. Financée par le fonds singapourien 8F Asset Management, l’entreprise Pure Salmon prévoit d’implanter une usine piscicole d’une capacité de 10 000 tonnes de saumons par an sur 14 hectares d’un terminal portuaire appartenant au Grand port maritime de Bordeaux (GPMB). Un projet inédit par sa taille, face auquel les habitant·es sont partagé·es entre la promesse de 250 emplois directs dans une zone en mal d’employeurs et les dégradations environnementales que pourrait provoquer le site.

6 500 mètres cubes d’eaux usées par jour dans l’estuaire

Sur la rive droite de l’estuaire, côté Charente-Maritime, l’opposition domine du côté citoyen comme du côté politique : 15 communes consultées car «limitrophes par le fleuve» ont voté des vœux contre le Plan local d’urbanisme. «Un estuaire a deux rives. Ce qui se passe sur l’une peut avoir des incidences sur l’autre», clame au micro et sans écharpe Patrick Marengo, maire Les Républicains de Royan. L’usine à saumons rejetterait dans la Gironde 6 500 mètres cubes d’eaux usées par jour. Les opposant·es craignent qu’elles contiennent des résidus de nourriture, des déjections de poissons ou des produits vétérinaires. Dans la cité balnéaire et ses voisines de plage, les préoccupations écologiques rejoignent les craintes économiques.

En lunettes noires aux côtés de son fils de 8 ans, un quadragénaire royannais confirme : «J’ai tenu un hôtel pendant 15 ans à La Palmyre [ville voisine, NDLR] : dès qu’il y a une pollution, il y a baisse de fréquentation, assure-t-il. Ici, le tourisme c’est 75% de l’emploi : à part les administrations et les Ehpad, il n’y a que ça !» Bordée de cinq plages, la ville de Royan a connu des retraits du label Pavillon Bleu, certifiant la qualité des eaux de baignade – notamment pour la très chic plage de Pointailhac, au pied du casino Barrière.

«Si le tourisme est impacté, les jeunes partiront. Vous savez combien on a de 15-29 ans sur 19 000 habitants ? Moins de 2 000 ! Lâche Marc, septuagénaire royannais au bonnet noir tiré sur ses cheveux blancs, encarté au Parti communiste français. Ce qui m’a interpellé dans ce dossier, c’est le fait qu’on allait piller les côtes africaines pour nourrir ces saumons : il faut faire preuve de solidarité mondiale.»

Contacté par Vert, la filiale française de Pure Salmon assure par écrit qu’«aucun poisson sauvage n’est capturé pour produire ce saumon», déclarant sourcer le fourrage dans l’usine française de Skretting, à Fontaine-les-Vervins (Aisne).

Un argument qui peine à convaincre dans le cortège. «On va piller les sardinelles de la côte ouest de l’Afrique, qui sont la base du régime alimentaire dans des pays comme le Sénégal, pour manger des canapés dans des pince-fesses !, tempête le député écologiste et agriculteur Benoît Biteau. C’est l’exact inverse de la souveraineté alimentaire !»

Vider des saumons pour le Smic

Ce dernier argument figure en bonne place chez les défenseur·ses du projet. Quatrième consommatrice mondiale de saumon, la France en importe une grande partie. «Le projet Pure Salmon suscite déjà un fort engouement économique, comme en témoignent les prises de commandes en amont émanant de groupes agroalimentaires ainsi que d’acteurs de la grande et moyenne distribution», vante l’entreprise.

Ce 29 novembre, à Soulac-sur-Mer (Gironde), en marge d’une manifestation parallèle contre le projet d’usine à saumons, les gens du coin mordent à cet hameçon : «Je pense que l’écologie doit être regardée d’un point de vue macro : si cette saumonerie ouvre en 2028, les règles seront plus drastiques que celles des usines en Norvège, plaide Manu, le patron du café-brasserie La Dame de cœur. Autrement, ça se fera ailleurs : que ça soit au Portugal ou ici, ça ne change rien.»

Une partie de la manifestation a traversé le bac reliant Royan au Verdon-sur-Mer pour rejoindre une manifestation organisée côté Gironde. © Sylvain Lapoix/Vert

De café en café, l’emploi remonte à la surface des préoccupations. Quand une cliente attablée soupire que l’usine ne créera pas «pas plus de 25 postes», le patron s’emballe : «Aujourd’hui, pour avoir un crédit pour une maison, les jeunes Soulacais sont obligés de partir.»

Dans cette ville qui réunit 3 000 habitant·es le long d’une plage prisée du Médoc, la fermeture du casino l’été dernier et celle d’une classe de primaire ont marqué les esprits. L’entreprise Pure Salmon promet 250 emplois directs. «250 foyers !», insiste Manu, dont 100 pour l’élevage, 110 pour la transformation.

Les opposant·es relèvent cependant la faible qualité des promesses : plus de la moitié seront des emplois non qualifiés et plus d’un quart niveau BTS/DUT. «Je connais personne dans le Médoc qui viendra vider des saumons pour un Smic !», assure Maya, une retraitée de Soulac. «De toute façon, tout sera automatisé», plaide un autre sceptique.

«Il y a 20 ans, on est tous partis à Bordeaux avec les copains pour trouver du boulot, soupire sur le zinc Bertrand, un Soulacais de 40 ans revenu depuis travailler comme paysagiste. À l’époque, il y avait eu un projet de port méthanier qui a été abandonné. Le saumon, je trouve ça moins clivant.»

Des rejets dans une zone de reproduction de poissons

Les déboires des projets successifs du Grand port maritime de Bordeaux laissent un grand scepticisme dans le Médoc. «Je souhaite que ça se fasse mais je reste très prudent, répond à Vert le maire du Verdon-sur-Mer. 250 emplois, ça reste à démontrer : j’ai déjà eu à traiter un dossier de ce type, c’est parti au Conseil d’État, ça a pris cinq ou six ans !» Contactée, l’autorité portuaire n’a pas souhaité répondre.

Pure Salmon évalue à 6 500 mètres cubes les volumes d’eau rejetés dans l’estuaire. © Sylvain Lapoix/Vert

Mais les effets environnementaux menacent ici aussi des emplois. Debout sur des caisses bleues siglées «Criée de Royan» disposées devant la mairie de Soulac, Pierre – pêcheur au Verdon – rappelle que la zone où l’eau sera rejetée voit frayer le maigre, pêche traditionnelle de l’estuaire, mais aussi l’anguille européenne, l’esturgeon européen ou l’alose, trois espèces protégées.

«Les saumons transmettent des maladies aux poissons sauvages, l’élevage hermétique est un mythe, clame à son tour sur l’estrade de Soulac Esther Dufaure, porte-parole de l’ONG Seastemik, opposée à la pisciculture industrielle. Lors de la dernière vague de contrôle en Norvège, 90% des élevages étaient en infraction : trop d’azote, trop de phosphore, trop de produits chimiques… L’argument de l’emploi est un leurre, il faut regarder où est le travail dans la pêche : de Bayonne à La Rochelle, c’est 8 000 emplois.»

Après avoir obtenu la mise à disposition d’une salle pour une réunion d’information dans le Médoc (ce qui leur était refusé depuis 2022), les organisations impliquées appellent désormais les opposant·es à se manifester en masse dans les cahiers de l’enquête publique qui se tiendra du 15 décembre au 19 janvier. En préparation d’un référé administratif et plaidant pour un moratoire, Esther Dufaure développe la mobilisation comme une lutte globale : «Des projets ont été rejetés aux États-Unis dans la région des Grands Lacs : la victoire est possible.»

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