Hêtre ou ne plus être. À cause du changement climatique, le hêtre commun pourrait disparaitre de nombreuses forêts françaises d’ici 2050. Pour tenter de sauver cette essence, l’Office national des forêts mise sur la «migration assistée», qui consiste à replanter ces arbres dans des régions au climat plus favorable. Mais le chemin des sylviculteur·ices est semé d’embûches.
De la Sainte-Baume provençale aux collines martyrisées de Verdun, le hêtre a entamé il y a treize ans une grande «migration assistée». Le projet Giono de l’Office national des forêts (ONF) espère sauver cette essence menacée par le changement climatique.
S’il est baptisé ainsi, c’est en hommage à Jean Giono, l’auteur de L’homme qui plantait des arbres, une nouvelle qui raconte comment un berger solitaire redonne vie à une montagne en plantant des milliers d’arbres. Et aussi parce que l’écrivain avait fait la bataille de Verdun. Dès l’été 2011, les glands de chênes et faînes de hêtres remarquables, ont été récoltés en Provence, dans la Sarthe, l’Allier ou les Deux-Sèvres. Et la Meuse a été choisie comme terre d’accueil pour son climat, moins sec, et ses hivers relativement doux. Mais aussi parce que certaines essences locales, comme l’épicéa, commencent à souffrir, attaquées par les scolytes (notre article).
Entre le mémorial de Verdun et l’ossuaire de Douaumont, les jeunes pousses émergent du brouillard. On distingue les hêtres à leur robe rousse d’automne, au côté du dégradé de verts des broussailles alentour. Élevés deux ans en pépinière, plantés en 2013, les plus hardis ont dépassé trois mètres. «Ce qui est essentiel, explique la généticienne Brigitte Musch, c’est le taux de survie. Ici on atteint plus de 90%», alors qu’une plantation est considérée comme réussie à partir de 80%.
«Ça marche, se réjouit-elle, les yeux brillants. Il faut rester prudent, ils n’ont qu’une dizaine d’années», ils peuvent encore «crever d’un coup de gel» ou être «étouffés» par une clématite [une plante grimpante à grandes fleurs, NDLR] trop envahissante. L’ONF contrôle régulièrement leur croissance, état sanitaire, résistance face au gibier… Le verdict final tombera à la fin des années 2060.
Les reines de forêts bientôt déchues ?
Mais déjà, les jeunes feuillus ont passé les premières épreuves, s’enracinant dans un sol pauvre, calcaire, tassé par les bombardements, resté longtemps plein de métal et de substances toxiques. «Ici, sont tombés en moyenne six obus par mètre carré. On était en pleine ligne de front en 1916. C’était tellement cabossé qu’il a fallu niveler à la pelle mécanique pour pouvoir circuler», explique Milène Mahut, chargée de sylviculture à l’agence locale de l’ONF.
La forêt a été largement replantée après la Première Guerre mondiale : d’abord avec des résineux – les graines de pins faisaient partie des dommages de guerre payés par l’Allemagne – puis en feuillus, notamment hêtres et chênes sessiles. Cette plantation expérimentale de hêtres, sur moins d’un hectare, est le fruit d’un pari : celui de la «migration des gènes» d’arbres, en danger de mort dans un sud devenu trop sec, vers le nord du pays.
«Tout a commencé en 2011 à Manosque», la ville de l’écrivain Jean Giono dans les Alpes-de-Haute-Provence, lors d’une réunion de l’ONF, se souvient Brigitte Musch, initiatrice du projet et coordinatrice des ressources génétiques forestières à l’Office. C’est l’époque où les forestiers, qui constatent déjà le dépérissement des massifs, découvrent la méthode d’analogie climatique : celle-ci permet d’agréger les données des experts du climat de l’ONU et les caractéristiques des essences, pour visualiser sur des cartes les futures aires de répartition des arbres.
Ces cartes montrent comment le climat, jusqu’ici favorable au chêne ou au hêtre, va jouer contre ces espèces reines des forêts françaises dès 2050. C’est surtout pour le hêtre commun que le constat est alarmant : cet arbre majestueux, déployant jusqu’à 40 mètres sa couronne ombragée et pouvant vivre plusieurs siècles, pourrait disparaître de nombreuses régions françaises.
500 ans pour faire 100 kilomètres
L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui appelle à utiliser «avec précaution» la migration assistée comme outil de gestion sylvicole, reconnaît une situation «difficile». «Les chênes ou les hêtres migrent [naturellement, NDLR] de 100 kilomètres sur une période de plus de 500 ans», rappelle l’UICN. Soit dix fois moins vite que la vitesse à laquelle change le climat, juge l’ONF.
Autrice d’une thèse sur la recolonisation de l’Europe par le chêne et le hêtre après la dernière glaciation, il y a quelque 10 000 ans, Brigitte Musch puise dans ses recherches : «C’est important de voir comment l’arbre recolonise pour pouvoir le mimer. Il pousse sur des cailloux battus par le vent, apporte de la biodiversité, peut être invasif».
«Face au changement climatique, il n’y a pas de solution unique, la migration assistée en est une», estime la généticienne. Sur la parcelle, Milène Mahut voit grandir le hêtre comme «une promesse de renaissance», un «espoir»pour cette terre malmenée.
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