controverse

«Une bonne action en faveur des animaux ne permet pas de tenir des propos racistes» : le délicat hommage à Brigitte Bardot dans les sphères écologistes et animalistes

Animal à l’aise. Défenseure infatigable de la cause animale, l'actrice qui s'est éteinte ce dimanche 28 décembre laisse aussi derrière elle un héritage plus sombre, imprégné de saillies racistes et de proximités avec l'extrême droite. Sa disparition ravive des lignes de fracture entre différentes visions du rapport aux vivant·es.
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Peut-on rendre hommage à une figure emblématique de la protection des animaux, tout en passant sous silence sa haine des minorités et ses condamnations judiciaires ? La question divise les milieux écologistes et animalistes depuis la disparition de Brigitte Bardot, annoncée ce dimanche 28 décembre.

Fervente défenseure des animaux, Brigitte Bardot laisse aussi le souvenir amer d’une dérive vers la haine des minorités. © Valery Hache/AFP

Comme le résume très justement le journal Libération, la star française avait «trois faces». D’abord, celle de l’actrice (et chanteuse) de légende, qui s’est faite connaître dans le cinéma d’après-guerre par son incarnation de jeunes femmes libres et émancipées. Ensuite, celle de la militante passionnée des animaux, un combat qu’elle a porté de la fin de sa courte carrière artistique à son dernier souffle : défense des bébés phoques, création d’une fondation à son nom pour la protection de la faune, critiques contre la chasse ou l’abattage sans étourdissement…

Enfin, celle d’une personne «marginale et réactionnaire» – comme elle se décrivait elle-même – qui a dérivé au fil du temps vers une haine profonde des minorités : musulman·nes, homosexuel·les, migrant·es, handicapé·es… Condamnée à plusieurs reprises pour propos racistes et injures publiques, Brigitte Bardot était également une proche de la famille Le Pen et a soutenu plusieurs candidat·es d’extrême droite à différentes élections.

Hugo Clément de nouveau au cœur des critiques

Cette dernière face, la plus obscure, est souvent oubliée des multiples hommages rendus depuis ce dimanche à la star française. Figure des milieux écologistes et lui aussi grand défenseur de la cause animale, le journaliste Hugo Clément n’a par exemple retenu que la femme qui a «consacré [sa] vie aux animaux» : «La manière dont l’humanité traite les autres êtres vivants te révoltait et tu utilisais chaque gramme de ta notoriété pour tenter d’améliorer un peu leur sort», a-t-il salué sur les réseaux sociaux, partageant une des célèbres photos de l’actrice enlaçant un phoque.

«D’extrême droite et condamnée en justice pour injures raciales mais elle aimait les bébés phoques donc c’est ok», lui a ironiquement répondu sur les réseaux sociaux Clément Sénéchal, «influenceur anticapitaliste» et ancien porte-parole de Greenpeace France.

L’hommage d’Hugo Clément a également attiré les foudres de la militante Claire Nouvian, qui l’a interpelé dans un long post sur Instagram : «N’avez-vous pas honte de célébrer ainsi une personne qui stigmatise et infériorise les femmes victimes de violences sexuelles, les musulmans, les homosexuels ?» La fondatrice de l’association de défense de l’océan Bloom a également accusé le journaliste de pousser un «agenda de normalisation et de banalisation de l’extrême droite». En avril 2023, Hugo Clément avait déjà été sous le feu des critiques pour avoir assumé débattre avec le président du Rassemblement national (RN) Jordan Bardella lors d’une soirée organisée par le journal d’extrême droite Valeurs Actuelles… sous condition que l’hebdomadaire fasse un don à la fondation de Brigitte Bardot.

Concernant ces réactions partagées à la disparition de Brigitte Bardot, le géographe et spécialiste de l’écologie politique Antoine Dubiau estime auprès de Vert qu’«il y a une dissociation entre son image publique de figure pionnière de l’animalisme et la résonance réelle qu’elle a dans les milieux qui défendent ces idées. C’est assez proche d’Hugo Clément, qui a la même image : pour les non-écologistes, il est l’écologiste par excellence; mais chez les écologistes, ce n’est pas le cas.»

Critiques et discrétions au sein du mouvement écologiste

Pour l’auteur d’Écofascismes (Edition Grevis, 2022), Brigitte Bardot est d’ailleurs loin d’être une figure écologiste : «L’écologie en elle-même est plutôt une cause qu’elle a rejetée. Elle a eu des déclarations sur le bien-être des animaux, mais pas pour l’écologie, la planète, ou d’autres formulations dans ce genre.» Si son combat pour alerter sur la souffrance animale a assurément contribué à une prise de conscience écologique de certain·es il y a cinquante ans, sa conception du rapport aux vivant·es fait l’impasse sur des enjeux plus profonds : causes économiques des destructions environnementales, justice climatique, inégalités sociales…

De Greenpeace à France Nature Environnement (FNE) en passant par Alternatiba : de nombreuses organisations écologistes se sont d’ailleurs pour l’instant abstenues de toute réaction à la disparition de Brigitte Bardot. Sur Instagram, le mouvement de désobéissance civile Extinction Rebellion a rappelé «qu’il n’y a pas de “compensation écologique”» : «Une bonne action en faveur des animaux ne permet pas de tenir des propos racistes.»

Cas particulier, celui d’Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Ancien compagnon et éternel ami de Brigitte Bardot, ce dernier a préféré partager les dernières volontés que lui a confiées l’actrice : «Que les chasseurs baissent les armes, que le foie gras reste dans les frigos, que les arènes soient désertées, et que les chevaux ne finissent plus dans une assiette».

«Nous aurions préféré qu’elle soit investie pour l’ensemble des animaux, humains et non-humains»

Plus qu’une «écologiste», Brigitte Bardot était donc plutôt une défenseure des animaux – et, bien souvent, des plus attachants (phoques, chiens, chèvres…). «Une force de la nature» et «une vraie biocentriste» pour le capitaine Paul Watson, lui aussi fréquemment accusé de placer la défense des animaux avant celle des minorités humaines (notre article). Dans son long hommage à l’actrice, le fondateur de l’ONG Sea Shepherd a loué sa «gentillesse», son «courage» et son «amour féroce pour les animaux»… sans jamais faire référence à sa haine raciale.

Dans cette bataille de mots et d’idées, d’autres défenseur·es de la cause animale montrent plus de réserves concernant l’héritage de «BB». «Son action avait un caractère exceptionnel par l’ampleur de son investissement, sa notoriété, sa fortune, et le quasi-isolement dans lequel elle a mené ce combat au début. Mais elle a aussi eu des propos haineux qui sont indéfendables», témoigne auprès de Vert Brigitte Gothière, co-fondatrice et porte-parole de L214 éthique et animaux. Raison pour laquelle «côté L214, on s’est toujours tenus à distance de la fondation Brigitte Bardot», explique-t-elle. «Nous aurions préféré qu’elle soit investie pour l’ensemble des animaux, humains et non-humains.»

S’appuyant sur les travaux de la sociologue Kaoutar Harchi, le spécialiste de l’écofascisme Antoine Dubiau estime que le cas de Brigitte Bardot incarne un «animalisme d’extrême droite» : «Il y a une imbrication de son racisme et de son animalisme dans une seule et même posture qu’elle a porté dans l’espace public. Elle va à la fois défendre les animaux en disant que ce sont des êtres vivants torturés, et de l’autre côté elle va complètement animaliser des personnes racisées ou anciennement colonisées avec tout un vocabulaire dévalorisant de l’animalité.» Dans une lettre ouverte au préfet de La Réunion datant de 2019, Brigitte Bardot dénonçait par exemple «la barbarie que les Réunionnais exercent sur les animaux». «Les autochtones ont gardé leurs gènes de sauvages», avait-elle également écrit – des propos qui lui ont valu une condamnation judiciaire.

Côté politique, la pluie d’hommages rendus à l’actrice par l’extrême droite – d’Éric Zemmour à Marine Le Pen en passant par Éric Ciotti – a contrasté avec le silence de la plupart des figures des partis de gauche et écologistes. Le député insoumis et animaliste convaincu Aymeric Caron a tenté de saluer une «pionnière de la défense des animaux»… tout en préférant «[laisser] de côté les déclarations polémiques» pour le moment.

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