Fort de ses 1,4 million d’abonné·es sur Instagram et de plusieurs émissions à succès, le journaliste Hugo Clément est un porte-parole influent de la cause écolo. Mais ces derniers mois, il a souvent créé la polémique en s’accointant avec l’extrême droite. Au prétexte de porter la bonne parole à un public le plus large possible, il a taillé la bavette avec Jordan Bardella lors d’une soirée organisée par Valeurs Actuelles, appelé à la formation d’un gouvernement «qui regrouperait toutes les sensibilités» (RN compris) ou remercié pour son soutien à Paul Watson un maire RN ouvertement antisémite et xénophobe.
Parmi les écolos, beaucoup sont gêné·es. Même le très diplomate Cyril Dion a tenu à faire une mise au point lors de sa dernière chronique à la Terre au Carré sur France inter. Pour mieux comprendre pourquoi ça gratte autant, Vert a décidé de passer les arguments d’Hugo Clément à la loupe, avec l’aide d’Albin Wagener enseignant-chercheur en analyse de discours et communication à l’Université Catholique de Lille et Antoine Dubiau, assistant-doctorant en géographie à l’Université de Genève et auteur en 2023 du livre Écofascismes (éditions Grévis).
Lorsqu’il est critiqué pour ses mains tendues à l’extrême droite, Hugo Clément se désole du «sectarisme de certains écolos» et défend l’idée que «l’écologie appartient à tout le monde». Qu’en pensez-vous ?
Albin Wagener : En accusant ses détracteurs de «sectarisme», Hugo Clément se place du côté de la tolérance, de l’ouverture. Il prône une vision maximaliste en disant bien que «l’écologie appartient à tout le monde». Si on suit sa logique, c’est donc par tolérance et ouverture qu’il se dit favorable à l’extrême droite au gouvernement, à la condition qu’elle accepte de prendre l’écologie au sérieux, bien sûr. On sait pourtant que le programme du RN est basé sur l’exclusion (de certaines populations) et la fermeture (des frontières, notamment). De même, c’est par tolérance qu’il remercie le sulfureux maire de Fréjus David Rachline pour son soutien à Paul Watson. Bref, c’est par tolérance qu’il cautionne le manque absolu de tolérance de l’extrême droite. Cocasse, non ?
Antoine Dubiau : Dire que l’écologie appartient à tout le monde est un truisme, une évidence. C’est justement le propre de tous les sujets de société d’appartenir à tout le monde. Comme l’éducation, la santé ou la justice, l’écologie nous concerne tous, mais à des degrés différents. Ces différences se retrouvent dans la façon de contribuer au problème et/ou de le subir. De même, il y a des propositions pour le résoudre qui sont antagonistes : c’est ça qui fait que l’écologie est une question politique. Toutes les familles politiques reconnaissent qu’il existe un problème écologique (même si certaines le minimisent), mais les réponses qu’elles y apportent sont très différentes.
Hugo Clément dit souvent que l’écologie «doit dépasser les clivages habituels», «qu’on a besoin de tout le monde» ou encore que «se réunir sur cette cause ne veut pas dire qu’on partage les mêmes idées sur le reste». C’est une façon de dire que l’écologie est apolitique et doit être au-dessus de tout. A-t-il raison ?
Antoine Dubiau : L’apolitique n’existe pas. À partir du moment où les partis opposent des réponses antagonistes aux problèmes environnementaux, c’est bien que c’est politique. L’écologie d’Hugo Clément n’est donc pas apolitique, elle est dépolitisée. Elle ne dit pas quels sont les intérêts à protéger ou attaquer pour avancer, elle gomme les conflits plutôt que de les nommer. Ce qui se passe quand on fait ça, c’est qu’on consolide les rapports de pouvoir déjà en place et qu’in fine le système n’est pas du tout bouleversé. C’est étonnant d’ailleurs, car Hugo Clément, tout comme Paul Watson qu’il défend, se présente comme quelqu’un de radical, alors que son positionnement est extrêmement consensuel.
Albin Wagener : On peut mettre l’écologie au-dessus de tout dans son discours, mais c’est une erreur de la placer au-dessus de tout dans la pratique. D’abord parce qu’on ne peut pas ignorer les liens étroits entre changement climatique et inégalités en tout genre (les femmes, les pauvres et les personnes racisées sont les premières victimes du changement climatique). Ensuite, parce qu’on ne doit pas régler des problèmes environnementaux en exacerbant d’autres (créer une taxe qui génère de l’inégalité par exemple). En clair, il est dangereux de vouloir faire de l’écologie à n’importe quel prix.
Hugo Clément n’est-il pas tout simplement pragmatique, en se disant que c’est déjà l’extrême droite qui dicte l’agenda politique, et qu’elle pourrait bientôt s’emparer du pouvoir ? Donc autant faire en sorte qu’elle soit sensibilisée à l’écologie…
Albin Wagener : Aujourd’hui, on a suffisamment de recul pour savoir que l’extrême droite ne se convertira jamais à la cause écologique. Le bilan du RN à l’Assemblée ou son programme pour les législatives sont limpides de ce point de vue. Un coup d’œil à l’étranger le confirme. Depuis qu’elle est au pouvoir en Italie, Georgia Meloni a mis la transition écologique à l’arrêt.
Antoine Dubiau : Demandons-nous à qui a profité le débat entre Hugo Clément et Jordan Bardella, le président du RN. C’est un fait, l’extrême droite doit se positionner sur l’écologie, car c’est une préoccupation qui monte, y compris chez ses électeurs. Pour l’instant, elle est vraiment en défaut de légitimité sur ces sujets, parce qu’elle a des années de retard dessus. Quand une figure centrale et dominante du mouvement écolo comme Hugo Clément lui tend la main, c’est du pain béni. Certes, ce dernier a contredit Jordan Bardella lors de leur débat, mais ce qu’on retient, c’est que le RN s’intéresse désormais à la question et qu’il est prêt à en débattre.
Hugo Clément dit qu’il veut parler aux 13 millions d’électeurs du RN…
Albin Wagener : Il a raison, c’est impératif. Mais pour cela, il faut justement relier les problématiques écologistes à des préoccupations quotidiennes : coût de l’énergie, du transport, qui doit payer et qui doit être aidé ? Pour l’instant, Hugo Clément parle avec les leaders RN plutôt qu’avec leurs électeurs. Et en faisant cela, il participe à la stratégie de normalisation du parti. En félicitant David Rachline, pourtant connu pour ses dérapages antisémites et xénophobes, il le rend fréquentable.
Antoine Dubiau : Parler d’écologie devant les électeurs d’extrême droite peut effectivement les sensibiliser à l’écologie, mais une écologie d’extrême droite – raciste, misogyne, homophobe, transphobe. Entendons-nous bien, l’écologie est historiquement de gauche, mais pas intrinsèquement de gauche. Ce qui veut dire que l’extrême droite peut tout à fait – et d’ailleurs, elle le fait – développer sa propre réflexion autour de ce sujet. Il existe déjà un corpus idéologique, l’écofascisme, qui pose comme origine à la crise environnementale et écologique le fait d’avoir coupé les racines des populations locales avec leur environnement et leur territoire (par les migrations, notamment). Jordan Bardella y puise amplement quand il dit que «le meilleur allié de l’écologie, c’est la frontière». Il faut ouvrir les yeux sur la possibilité que cette vision de l’écologie se propage très largement dans le débat public. En clair, veut-on d’un RN plus écolo ?
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