Enquête

Violences racistes : que s’est-il vraiment passé au festival écolo Les Résistantes ?

Malgré la promesse de réunir «toutes les luttes», le festival Les Résistantes, qui s’est tenu du 7 au 10 août dans l’Orne, a été émaillé de violences racistes, que nous ont racontées plusieurs participant·es. L'organisation dit avoir entendu «la colère légitime des victimes» et promet des mesures pour mieux prendre en compte les luttes antiracistes lors des prochaines éditions. Décryptage.
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«Nous qui venons, à l’origine, des luttes écologistes, il nous a semblé pertinent d’essayer de rassembler le plus largement possible les différents combats». Tels étaient les mots de Victor Vauquois, co-organisateur des Résistantes, à quelques heures de l’ouverture du festival éponyme, jeudi 7 août, à Saint-Hilaire-de-Briouze (Orne).

Pensé comme une grand-messe des luttes locales, l’événement a rassemblé 10 000 militant·es dans le bocage ornais (notre article) entre le 7 et le 10 août. Deux ans après une première édition dans le Larzac, la principale association organisatrice, Terres de Lutte, souhaitait donner la place à une plus grande variété de combats.

Des membres des collectifs Coaadep, Vietnam Dioxine et de l’Observatoire Terre-Monde, lors de la table ronde sur le colonialisme chimique, au festival Les Résistantes, vendredi 8 août. © Capture d’écran Instagram du Coaadep

Conférences et rencontres sur les luttes paysannes, écologistes, féministes, antiracistes… Des combats pluriels, présentés pendant quatre jours, qui étaient censés permettre de créer des synergies et de «structurer un réseau d’entraide entre militant·es.»

Mais à l’heure du bilan, la rencontre apparaît moins joyeuse. Comme l’ont rapporté nos confrères de Reporterre, une trentaine de militant·es racisé·es ont exprimé leur colère lors de la cérémonie de clôture, dénonçant des violences racistes subies pendant l’évènement. Vert a enquêté pour tenter de comprendre ce qu’il s’était passé.

«On nous a parlé comme à des gosses»

Tout a commencé en coulisses, jeudi 7 août, lorsque des membres du Coaadep, le Collectif des ouvrier·es agricoles et des ayants-droit empoisonné·es par les pesticides des Antilles, se présentent aux portes du festival. «Nous intervenions le lendemain lors d’une table ronde sur le colonialisme chimique», précise à Vert Lilith, membre de cette organisation, qui lutte pour faire reconnaître les souffrances causées par le chlordécone aux ouvrier·es agricoles des bananeraies antillaises (notre article sur ce pesticide).

Chacha (à gauche) et Lilith (à droite), membres du Collectif des ouvrier·es agricoles et des ayants-droit empoisonné·es par les pesticides des Antilles (Coaadep). © Coaadep

«Nous sommes arrivées en partie à pied, car nous participons en parallèle à une marche pour dénoncer le scandale du chlordécone. Nous avons choisi de faire un détour spécialement pour le festival et avons été très mal accueillies.» Selon elle, l’installation du collectif sur un emplacement à proximité de son matériel et de ses chiens «a pris 2h30». «Une personne de l’organisation des Résistantes, avec beaucoup de mépris et de dédain, a d’abord voulu nous mettre sur un camp réservé aux personnes à mobilité réduite, ajoute-t-elle. Un autre nous a hurlé dessus en nous disant qu’on dérangeait.»

Une fois installé·es, ces militant·es racisé·es ont essuyé remontrances et rappels à l’ordre. «On nous a parlé comme à des gosses. Ce sont toujours des attaques, c’est fatigant et insultant. D’autant que certains de nos camarades, non-afro, n’ont eu aucun problème pour s’installer», fustige Chacha, membre du Coaadep. Une situation «inadmissible», condamne Almamy Kanoute, représentant du collectif de l’Assemblée des quartiers qui lutte pour faire entendre leur voix dans l’arène politique, présent sur place.

«On ne peut pas juste nommer des chapiteaux Thomas Sankara ou Aimé Césaire et penser bien faire»

Le lendemain, à quelques minutes d’intervenir sur le festival, des membres du collectif sont interpellé·es par un bénévole en charge de leur parking. «Il nous a dit que nous n’avions rien à faire là, bien qu’étant en possession, à notre camion, d’un papier stipulant le contraire», raconte Lilith.

De quoi lui faire perdre patience. «J’ai hurlé “Stop !”. Aussitôt, le monsieur a appelé la sécurité pour une situation dangereuse. Et là, tout à coup, alors que nous pensions être dans une safe place, nous avons compris que ce n’était pas le cas.»

À cet épisode ont succédé des échanges tendus avec le public lors de la table ronde «Pesticides : le colonialisme chimique», où le Coaadep intervenait avec le collectif Vietnam Dioxine, qui lutte pour la reconnaissance officielle des effets de l’agent orange sur les populations lors de la guerre du Vietnam (notre article), et l’Observatoire Terre-Monde, qui met en avant la diversité des enjeux écologiques dans les territoires d’Outre-mer. «On vient ici pour raconter nos histoires, nos parcours et le vécu de nos peuples. Directement, on nous balance “oui, mais en métropole, il se passe cela”. Nous ne sommes pas fermés à l’entendre, mais ce n’était pas le sujet. C’est bien que des festivals se présentent comme antiracistes et anticoloniaux, mais dès qu’il faut écouter le discours de gens qui ont vécu la colonisation, tout est ramené à ce qu’il se passe ici.»

«Nous nous sommes effondrées au sol et avons beaucoup pleuré. Nous ne sommes pas des bouts de scotch qu’il faut mettre parce que c’est la mode»

Des échanges «hors-sol», confirmés par Rémi-Kenzo Pagès, journaliste indépendant, membre de l’Association des journalistes antiracistes et racisé·es (AJAR), qui a assisté à la table ronde. «La première intervention dans le public était hors sujet, confie-t-il. C’était une remarque très longue pour dire : “Vous avez eu l’agent orange, le chlordécone, mais nous, on a la loi Duplomb”. Les niveaux dans les pesticides n’étaient pas les mêmes. On est dans un contexte de guerre pour l’agent orange. Le parallèle n’était pas pertinent.»

Des paroles du public sous-entendent, selon Lilith, que les intervenant·es de la table ronde «sont les représentants du Sud global» alors que toutes les intervenantes sont françaises. Elle décide alors, avec une autre militante, de quitter les débats. «Nous nous sommes effondrées au sol et avons beaucoup pleuré. Nous ne sommes pas des bouts de scotch qu’il faut mettre parce que c’est la mode.»

Contactée par d’autres collectifs antiracistes, Lilith a souhaité qu’une action soit entreprise à la clôture du festival. «On ne peut pas juste nommer des chapiteaux Thomas Sankara ou Aimé Césaire et penser bien faire.»

«Une colère légitime», selon l’organisation des Résistantes

Victor Vauquois, membre de Terres de Lutte, reconnaît «une colère légitime», alors que l’organisation a constaté «des remarques, des comportements déplacés et des insultes».

Des violences qu’ont également subies plusieurs autres collectifs. En témoigne Gaëtan Zhang, fondateur de l’association Génération Panasiatique, qui œuvre à mobiliser la jeunesse des communautés asiatiques sur les questions de justice sociale et de luttes décoloniales et antiracistes : «En se déplaçant dans le festival, une personne du collectif a entendu quelqu’un dire qu’il n’aimait pas les Chinois. Quand la personne du collectif est allée lui parler, il a changé de propos et a dit qu’il aimait bien les personnes vietnamiennes.»

Autre exemple : «Lors de la table ronde sur l’extrême droite en ruralité, les gens disaient qu’ils voyaient peu de racisme et que voter pour le Rassemblement national, ce n’était pas un vote raciste, poursuit-il. Quelqu’un d’autre s’est écrié qu’on ne parlait jamais du racisme anti-blanc. C’est très violent.»

S’il n’a pas été témoin de violences racistes directes, Almamy Kanoute, de l’Assemblée des quartiers, reconnaît qu’il «y a des regards qui ne mentent pas : des regards méprisants, ou de personnes surprises par notre présence.»

Plusieurs incidents ont aussi été rapportés lorsque des «militant·es concerné·es se sont rendu·es à la base soin». Cet espace, qui se veut inclusif et bienveillant, avait pour but de recueillir la parole des personnes «victimes d’oppressions, notamment racistes, et de violences sexistes et sexuelles», indiquait Andy, une bénévole en charge de la base, lors de notre passage sur place.

La tente des merveilles, la base soin du festival Les Résistantes, où ont été recueillis les témoignages des victimes de violences racistes. © Clément Gousseau/Vert

«Cette prise de parole, c’est un cadeau pour mieux travailler ensemble»

Se réjouissant de «l’engouement autour du festival et de la diversité des luttes représentées», Andy avait reconnu craindre «une multiplication des incidents». Pour rappel, 10 000 personnes ont assisté cette année aux Résistantes. Des personnes venues des luttes écologistes et en majorité blanches, y compris chez les organisateur·ices.

C’est ce point qui a particulièrement cristallisé les tensions chez le groupe de militant·es intervenu·es en clôture du festival. «Le problème des luttes écologistes, c’est que c’est un milieu d’entre-soi et de personnes blanches qui a du mal à se remettre en question», abonde Lilith, du Coaadep.

Deux jours plus tard, Victor Vauquois reconnaît que «cette prise de parole nous a mis dans l’inconfort, mais c’est une sorte de cadeau pour mieux travailler ensemble, espère-t-il, reprenant ainsi les mots prononcés en clôture par les militant·es sur scène. Cela a interpellé tout le monde, avec de nombreuses discussions.»

Ces échanges devraient aboutir à la mise en place de «mesures pour mieux prendre en compte les luttes antiracistes» lors des prochaines éditions. Terres de Lutte, le principal collectif organisateur, souhaite néanmoins «prendre le temps d’analyser les événements survenus ce week-end», précise Victor Vauquois. Dans un communiqué paru mercredi 13 août, l’organisation promet de travailler pour «se montrer à la hauteur des critiques sur le racisme dans nos mouvements».

«Les militant·es antiracistes nous ont conseillé différentes choses, notamment au niveau de la formation, pour améliorer leur prise en charge, leur accueil, leur intégration et mieux comprendre leur combat.» Le journaliste Rémi-Kenzo Pagès suggère notamment, «la présence régulière des personnes parlant de racisme dans toutes les tables rondes, ne plus cantonner les tables rondes antiracistes le matin à 9h au fin fond du festival, ne pas créer une séparation entre militants écologistes et antiracistes.»

Un racisme plus large dans le mouvement écologiste ?

Le combat est en réalité plus large et interroge sur la place du racisme, de manière systémique, dans le mouvement écologiste. «Une certaine réalité dans le milieu militant, les groupes politiques, et les collectifs, est que la majorité blanche est assez hypocrite et manque d’intérêt. On ne dit pas que vous êtes responsables du racisme systémique, mais de vos questions et de vos propos.», rappelle Almamy Kanoute.

«Arrêtez de parler en notre nom ou à notre place. Si vous le faites sans nous, vous êtes contre nous»

Le militant de poursuivre, «on a fait le constat amer que, dans le cadre d’un festival écolo, il existe encore des parasites, et aussi dans des groupes politiques dits de gauche. Cela nous oblige à continuer à être méfiants et à être sur nos gardes.»

Et de lancer un message : «C’est bien beau de nous solliciter pour évoquer des sujets sensibles, mais si c’est juste pour entendre nos récits, et ne pas agir à nos côtés et nous prouver qu’on est dans une vraie logique de solidarité, ce n’est pas la peine. Nous sommes les experts des sujets qui nous concernent directement. Arrêtez de parler en notre nom ou à notre place. Si vous le faites sans nous, vous êtes contre nous.»

Un discours auquel adhère Gaëtan Zhang, de Génération Panasiatique : «Les personnes blanches doivent faire des efforts pour comprendre notre vécu, nos luttes et surtout agir à nos côtés.» Reste à voir les effets de ces appels au changement, lors des prochaines éditions des Résistantes.

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