«Bonjour monsieur, police municipale !» Badge tricolore, casque bleu et freins à disque, un agent met sa béquille au pied de la tour Pey-Berland, monument iconique de Bordeaux (Gironde). Il interpelle un usager de trottinette qui vient de griller un feu avec ses écouteurs. Fière d’afficher une hausse du trafic vélo de 43% depuis 2019, la majorité Les Écologistes élue dans la cité girondine revendique aussi une mesure moins habituelle de la part des écolos : la création d’une «brigade VTT» en 2023. «Première brique de la police de proximité», précise Marc Etcheverry, adjoint en charge de la sécurité.
Élu maire en 2020 à la surprise générale dans ce bastion tenu par la droite depuis 73 ans, le juriste pénaliste Pierre Hurmic avait affiché la couleur pendant la campagne : «Je veux plus de bleu [des policiers, NDLR] dans les rues.» Depuis cinq ans, son équipe a décliné la sécurité publique dans de nouvelles nuances : brigade anti-incivilité, brigade de soirée, brigade cynophile… La brigade équestre qui devait auparavant venir de Saint-André-de-Cubzac (Gironde) a même été rapprochée du centre : «Nous avons trouvé des écuries au nord de Bordeaux qui permettent des sorties de terrain plus longues pour des unités qui font forte impression, détaille Delphine Jamet, adjointe au maire chargée de l’administration générale. Et puis, c’est mieux pour le bien-être des chevaux.»

Au départ envisagée dans ses dimensions de prévention et de médiation, l’action pour la sécurité publique de la mairie écologiste de Bordeaux a progressivement émergé comme un sujet de discorde, au fil de mesures plus coercitives : campagne de recrutement d’agent·es, armement en pistolets automatiques d’une brigade et déploiement de la vidéosurveillance. «Trop peu, trop tard», reproche l’opposition de droite, qui juge le programme «angélique». Les critiques de gauche dénoncent une «rupture totale avec ses engagements». La campagne des municipales 2026 de mars prochain à peine débutée, les prétendant·es à la mairie ont sorti les gyrophares.
De 130 à 187 policiers municipaux
«Nous ne sommes pas dans le “tout sécuritaire”. Je n’ai jamais entendu Pierre Hurmic parler de sécurité sans médiation et prévention, se défend Marc Etcheverry. L’écologie politique prend les problèmes à la racine.» La présence sur le terrain constitue la principale matérialisation de cette approche.
La question des effectifs est une revendication historique de la police bordelaise. En 2018, le maire Nicolas Florian avait vu son projet de police de proximité bloqué par la grève des syndicats. Ils lui reprochaient de ne pas ouvrir de postes dédiés à cette nouvelle unité. La nouvelle municipalité a évité les écueils du passé. Elle a recruté dix agent·es par an et l’effectif de la police municipale est passé de 130 (en 2020) à 187 personnes.
La formation s’est aussi imposée dans la démarche de prévention. La mairie a mis en place une école interne employant trois agent·es formateur·ices : gestion des conflits, utilisation du matériel, prise en charge des personnes à la rue… «Nous avons également formé les agents d’accueil à répondre calmement, à faire face aux problèmes de santé mentale… La sécurité, c’est un continuum, développe Delphine Jamet. Nous coordonnons la médiation avec de nombreuses organisations, des travailleurs sociaux, pour avoir du monde dans l’espace public car c’est ce que demandent les gens.»
Une nouvelle brigade de 60 agents armés
En 2024, une attaque au couteau mortelle sur les quais de la Garonne et de mauvais chiffres parvenus du ministère de l’intérieur braquent le débat : «Bordeaux est la première grande ville pour les cambriolages, les vols avec violence et les agressions, égrène Géraldine Amoureux, co-directrice de campagne de Nathalie Delattre (Parti radical, centre droit), candidate sur la liste Bordeaux Ensemble pour 2026. Nous évoquons le sujet à chaque conseil municipal depuis 2020, sans retour sur nos propositions…»
La majorité met le sujet en débat aux conseils municipaux du printemps à l’automne 2024, tandis que Pierre Hurmic consulte les syndicats de police, les expert·es en sécurité et les maires d’autres grandes villes. Il décide finalement de créer une «brigade d’appui et de sécurisation» de 60 agent·es doté·es d’armes de poing. «En arrivant au Palais Rohan [le siège de la mairie de Bordeaux, NDLR], le maire a découvert des dossiers qu’il n’avait pas en tête comme conseiller municipal, concède Marc Etcheverry. Il a sans cesse pesé son éthique de conviction contre l’éthique de responsabilité.» Les membres de l’équipe municipale aiment citer cette formule de Jacques Ellul. Penseur écologiste et chrétien bordelais, maître à penser de Pierre Hurmic, il a théorisé «l’éthique de la responsabilité» comme la posture des gens de foi quand les circonstances les contraignent.
D’autres épreuves se sont matérialisées dans les quelques mètres de la rue Élie-Gintrac : points de deal de crack, jeux d’argent, bagarres… En 2020, le quartier a vu se créer un collectif pour réinvestir l’espace afin de le pacifier. En coordination avec les riverain·es, la mairie souhaite expérimenter ici une approche de la sécurisation par l’urbanisme : installation de nouveaux commerces, lutte contre les dents creuses (ces espaces non construits entre deux bâtiments) et verdissement de l’espace. «C’est un travail sur le long terme, admet Marc Etcheverry. Nous approchons aussi la lutte contre le trafic par un travail social à la prévention de l’entrée des jeunes dans la consommation ou les réseaux. C’est un sujet complexe qui appartient d’abord à la police nationale.»
Bataille sur l’extinction des éclairages nocturnes
Pour obtenir le concours de la police nationale à sa politique, la majorité a dû négocier trois ans avec l’État. Validé par le ministre de l’intérieur en juin 2024, le contrat de sécurité intégré (CSI) a ajouté aux moyens de la ville 40 policiers nationaux, 30 policiers municipaux, 20 caméras de vidéosurveillance cofinancées par an et un nouveau commissariat. Soumis au vote du conseil municipal le 9 juillet, il a été adopté avec les voix de la droite et rejeté par les membres de l’opposition de gauche Bordeaux en lutte.
«La mairie préfère gaspiller 400 000 euros dans des caméras de vidéosurveillance au lieu de s’attaquer à la cause principale de la violence qui est la misère : il y a plus de 12 000 logements vacants et elle n’use pas de son droit de préemption», proteste l’élue de ce groupe et Gilet jaune Myriam Eckert. Candidat déclaré de La France insoumise, Nordine Raymond appelle au désarmement de la police : «La police municipale dispose déjà d’armes non létales qui peuvent s’avérer mortelles, plaide-t-il. Monsieur Hurmic fait la course à l’échalote sécuritaire : si la violence recule, comme il le dit, pourquoi recruter ? En prenant en charge ce dossier, il amène l’État à se désengager.»
Opposant le mieux positionné dans les sondages, le macroniste Thomas Cazenave propose un «plan Marshall de la sécurité», avec le doublement des effectifs de police municipale. «Ce que je reproche à Pierre Hurmic, c’est de ne pas avoir pris les mesures qui s’imposent : recrutement, vidéoprotection sur les points de deal, liste auprès de Vert le candidat Renaissance. L’extinction de l’éclairage public va contre cette priorité : s’il s’agit de faire des économies, nous proposons de remplacer 2 000 points lumineux par an par des LED, comme à Toulouse», en Haute-Garonne.

Mesure prise en 2023 en pleine crise des prix de l’énergie, l’extinction sélective de l’éclairage public, défendue par la mairie pour des raisons de santé et de biodiversité, est attaquée par les oppositions qui la voient comme un vecteur d’insécurité, «notamment pour les jeunes femmes la nuit», souligne le candidat insoumis.
D’un côté comme de l’autre, les challengers diagnostiquent que le sujet de la sécurité a montré les limites de l’écologisme municipal de Pierre Hurmic : trop sécuritaire pour la gauche, pas assez pour la droite. Dans le dernier sondage Opinionway, l’écologiste menait dans les intentions de vote au premier tour, avec 34%. Soit exactement le même score qu’au premier tour des dernières municipales.