Chapiteaux à perte de vue, longues tables en bois et pancartes colorées. Le temps d’un week-end, les vaches ont délaissé leur plancher à Saint-Hilaire-de-Briouze (Orne). Une dizaine de milliers de militant·es a investi les terres certifiées bio de cette petite commune normande.
Du 7 au 10 août, l’association Terres de Luttes, spécialisée dans les actions inter-luttes, y co-organisait la seconde édition du festival Les Résistantes. Objectif : «rassembler la sphère militante et structurer un réseau d’entraide», détaille Victor Vauquois, co-organisateur et membre de l’association.
L’œil avisé, ce chef d’orchestre a tenu à élargir le spectre des revendications représentées cette année, deux ans après un premier jet dans le Larzac. Sous le soleil normand, militant·es paysan·nes, féministes, écologistes et antiracistes se sont de fait rencontré·es. Une grand-messe des luttes locales, où 10 000 personnes ont convergé, revitalisées par la récente vague populaire contre la loi Duplomb.
L’occasion de trinquer à la censure partielle du texte de loi par le Conseil constitutionnel (notre article). De réfléchir, aussi, à un nouvel imaginaire, alors que la programmation de ces quatre jours a démontré l’étendue des combats restant à mener.
Opposition aux projets polluants, lutte contre les idées d’extrême droite, gestion de la ressource en eau ou encore place du féminisme en zone rurale… Un florilège de sujets, rassemblés autour d’une question centrale : comment mieux outiller les luttes ? Au fil des conférences et des rencontres, plusieurs solutions ont émergé, basées avant tout sur la création de collectifs.
Un «véritable succès», selon Victor Vauquois. Le festival a affiché complet bien avant d’ouvrir ses portes. «Cela donne du baume au cœur», reconnaît-il, en replaçant son chapeau de paille sur sa tête. «On a reçu beaucoup de messages de gens déçus de ne pas pouvoir venir.»
Un champ de bataille victorieux
Et ce d’autant que ce millésime 2025 s’est tenu à quelques kilomètres d’une terre de lutte locale : l’opposition du Collectif 924, co-organisateur du festival, à la construction d’une 2×2 voies entre Briouze et Sevrai, portée par le Conseil Départemental de l’Orne.
Ce projet, controversé sur le plan environnemental, est présenté par le Département comme «un moyen de désenclaver l’Orne». En contrepartie, champs, haies bocagères et zones humides seront transformés pour laisser passer la route, contre la bagatelle de 80 millions d’euros.
Ici, difficile de ne pas le savoir. Des parkings aux écocups, la mention du combat du Collectif 924 s’affiche partout. L’organisation a d’ailleurs connu sa plus grande victoire en juin, lorsque le tribunal administratif de Caen (Calvados) a annulé l’autorisation environnementale pour la mise en 2×2 voies de la D924.
Un coup d’arrêt au projet dont se délecte Muriel Graindorge, co-présidente du collectif. «On ne pouvait pas rêver meilleures circonstances pour lancer le festival», se réjouit-elle, en se protégeant du soleil sous un barnum blanc.
Tout un symbole, car «le tissu militant est très puissant dans le département», explique Victor Vauquois. Et l’occasion «d’être pris au sérieux», pour Muriel Graindorge. «Avec ce festival, nous voulons montrer que nous ne sommes pas qu’une poignée de réfractaires.»
Du côté du Département de l’Orne, où l’annonce de la tenue du festival aurait été accueillie «froidement», d’après les organisateur·ices, on fait grise mine. Marie-Françoise Frouel, présidente de la commission du développement durable et des routes, indique que «le festival ne changera aucunement la positionnement du Département.» Ajoutant, dans un éclat de rire, «ne pas compter s’y rendre».
«C’est très important de savoir que des batailles se gagnent»
Qu’importe, pour les militant·es réuni·es en nombre en ce début de soirée devant la scène Thomas Sankara. Ce week-end, Saint-Hilaire-de-Briouze est une fête.
Attentifs, toutes et tous écoutent les organisateur·ices présenter cette seconde édition. Jusqu’à ce que la liesse s’empare de la foule, lorsque sur la scène, des représentant·es du Collectif 924 s’époumonent dans le micro : «On a gagné !»
Une victoire, en référence au rejet du projet de 2×2 voies, rapidement secondée par l’annonce de la censure partielle de la loi Duplomb.
Sur le site du festival, où les conférences et les concerts s’enchaînent, Hélène Ilbert, de la coalition Déroute des routes, ne cache pas sa joie. «Pour être contente, ça, oui, je suis contente», indique-t-elle, sourire aux lèvres. «C’est très important de savoir que des batailles se gagnent.»
Dans les artères poussiéreuses du festival, une certaine euphorie se fait ressentir. Un instant de répit, paradoxalement, pour Marie et Bastien, un couple breton venu avec leurs enfants aux Résistantes. «On a tellement l’impression de perdre du terrain sur les questions sociales et écologiques que cette fois-ci, cela fait vraiment du bien.»
Une partie loin d’être terminée
Loin du tumulte de la foule, Nicolas et Pierre, deux locaux de l’étape, se réjouissent de «cet esprit de fête». Mais gare aux espoirs douchés, alerte Pierre Marie, occupé à peindre des pancartes sous le barnum d’en face. «La loi Duplomb n’est qu’une petite chose monstrueuse dans une vague de choses très monstrueuses», avertit ce père de famille du Perche, un pinceau dans la main.
Observant d’un bon œil «les gens plus nombreux à s’indigner», il appelle à créer d’autres rencontres et à ouvrir la voie à un travail collectif des différentes luttes. En plein dans le mile des objectifs de Terres de Lutte. «On gagnera du temps à travailler ensemble», abonde Victor Vauquois.
Car la partie est loin d’être terminée. Sur le plan local, le collectif 924 devra affronter un recours du Département contre l’annulation de l’autorisation environnementale de la 2×2 voies. Et parmi les nombreux sujets écologistes, la censure partielle de la loi Duplomb est vécue par certaines organisations comme une victoire en demi-teinte (notre article).
«Ce qui est certain, c’est que c’est à nous, militants, de construire un nouveau narratif, pour que le bon sens change de camp», pose Muriel Graindorge. La seconde manche peut commencer.