En cette fin d’après-midi du jeudi 7 août, près de la rue de Montpensier à Paris, plusieurs drapeaux de militant·es écolos flottent dans l’air… ainsi qu’un sentiment d’appréhension. Censurera ? Censurera pas ? Les citoyen·nes et activistes qui font le pied de grue devant le siège du Conseil constitutionnel attendent la décision des «Sages» sur la controversée loi Duplomb – censée «lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur», elle acte surtout de nombreux reculs environnementaux.
Militant·es de France nature environnement (FNE) ou de l’ONG anti-élevage industriel CIWF ; porte-parole du syndicat agricole Confédération paysanne ou adhérent·es aux partis politiques Les Écologistes et L’Après : la vingtaine d’opposant·es s’est aussi rassemblée pour défendre l’agroécologie face au modèle productiviste. En plus de réintroduire des pesticides néonicotinoïdes «tueurs d’abeilles», la loi Duplomb facilite les installations d’élevages industriels et de retenues d’eau telles que les controversées mégabassines.
«Ça aurait pu être pire»
Aux alentours de 18h30, la rumeur d’une censure partielle du texte commence à courir parmi les participant·es au rassemblement. Puis, quelques minutes plus tard, le couperet tombe : le Conseil constitutionnel censure l’article de la loi qui permettait le retour des pesticides néonicotinoïdes et il entrave le développement des mégabassines (notre article). La loi sera promulguée par le président de la République une fois ces modifications faites.
«Finalement, ça n’est pas si mal ! En tout cas, ça aurait pu être pire. Les mégabassines telles que nous les connaissons aujourd’hui n’existeront plus», estime Bénédicte Hermelin, directrice générale de FNE. «Sur la question des néonicotinoïdes, c’est un vrai soulagement, note de son côté Margot Smirdec, médecin et membre de l’association Alliance santé planétaire. Notre santé dépend de notre environnement, la pollution entraine des maladies… nous devons aux patients des informations claires […]. La décision du Conseil est un soulagement, mais ça ne suffit pas.» De son côté, Thomas Gibert, maraîcher en Haute-Vienne et porte-parole national de la Confédération paysanne, évoque «une victoire en demi-teinte».
«On espère que la rentrée sera explosive»
Sur la placette qui jouxte le Conseil constitutionnel, la satisfaction de voir certains articles censurés cède progressivement à l’amertume. «On est déçus que la loi ne soit pas retoquée dans son intégralité. Elle est anachronique et ne sert aucun enjeu réel, sauf ceux des lobbies», souffle Fleur Breteau, fondatrice du collectif Cancer colère et figure médiatique de la lutte contre la loi Duplomb. En filigrane, une question demeure : quel modèle agricole veut-on vraiment ? «Nous voulons faire barrière à l’élevage intensif ; promouvoir une solution alternative, centrée sur le bien-être animal et, pour ça, changer la règlementation», revendique Estelle Guérin, ingénieure agronome et chargée de recherche sur l’élevage et le bien-être animal chez CIWF.
Aucune des personnes mobilisées ce jeudi ne compte s’arrêter là. «Pour que l’on parle vraiment du fond du sujet, des difficultés des agriculteurs, le mouvement citoyen qui est enclenché doit trouver plus d’écho», soutient Félix de Monts, de la Convention des entreprises pour le climat, faisant référence à la pétition contre la loi Duplomb qui compte plus de 2,1 millions de signatures. «C’est le début d’une longue bataille. On espère que la rentrée sera explosive : nous allons mobiliser nos alliés et poursuivre le rapport de force», promet Thomas Gibert, de la Confédération paysanne. Une détermination qui anime aussi le collectif Cancer colère et Fleur Breteau : «On reste mobilisés. Politiser le cancer, politiser les maladies : c’est efficace, ça permet d’unir les colères.»
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