Décryptage

Pesticides, mégabassines, élevage intensif… tout savoir sur la proposition de loi Duplomb, qui débarque lundi à l’Assemblée nationale

Chape Duplomb. Approuvé au Sénat fin janvier, ce texte visant à «lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur» va être examiné par les député⸱es la semaine prochaine. Des nombreux·ses parlementaires et associations alertent sur une bombe écologique et sociale qui ne réglera pas le malaise paysan en France. Vert fait le point.
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Ce qu’il faut retenir :

🐝 Réautorisation sous conditions de plusieurs néonicotinoïdes «tueurs d’abeilles», nocifs pour la biodiversité et la santé humaine (notre article).

☠️ Fin de l’interdiction d’être à la fois conseiller et vendeur de pesticides, qui a échoué à limiter l’influence des fabricants de ces substances auprès du monde agricole selon un rapport parlementaire.

🐖 Hausse des tailles d’élevages (volaille et porcs) à partir desquelles des études d’impact environnemental sont demandées et affaiblissement des consultations publiques sur le sujet.

💦 Facilitation des projets de stockage d’eau (dont les mégabassines) et remise en cause de la protection de certaines zones humides (l’article a été supprimé en commission mais devrait être rétabli en séance publique).

👮 Reprise de mesures déjà annoncées pour «apaiser» les relations entre la police de l’environnement et le monde agricole (notre article).

🌾 D’autres articles moins polémiques : amélioration de l’assurance récoltes, technique de l’insecte stérile pour protéger les cultures, moyens de lutte contre certains insectes ravageurs.

En ce week-end de Fête de la Nature, c’est un drôle de cadeau qui est fait à l’environnement. L’Assemblée nationale s’apprête à examiner à partir de lundi, et au moins jusqu’au 3 juin, un dossier explosif pour l’écologie et l’avenir de l’agriculture française : la proposition de loi (PPL) visant à «lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur».

Mieux connu sous le nom de «PPL Duplomb» – du nom du sénateur Laurent Duplomb (Les Républicains) qui en est le co-auteur (avec son collègue centriste Franck Menonville) –, ce texte a été largement adopté fin janvier en première lecture par un Sénat dominé par la droite. Quelques mois après le controversé projet de loi d’orientation agricole du gouvernement (notre article), ces huit courts articles se veulent une réponse concrète à la crise agricole qui frappe le pays depuis janvier 2024.

Un tracteur en train de fertiliser un champ de blé. ©Unsplash

🐝 Vers un retour des néonicotinoïdes «tueurs d’abeilles»

C’est le sujet qui devrait enflammer les bancs de l’Assemblée dès ce lundi : la réintroduction de plusieurs substances néonicotinoïdes, des pesticides «tueurs d’abeilles» interdits en France depuis 2018 (mais prolongés par dérogation jusqu’en 2023, notre article). Toujours utilisés dans le reste de l’Union européenne, l’acatémipride, le sulfoxaflor et le flupyradifurone pourraient faire leur retour dans les champs français si l’article 2 est adopté.

«Les agriculteurs français n’acceptent pas cette distorsion de concurrence avec nos voisins européens», cingle le député (Les Républicains) et agriculteur franc-comtois Eric Liégeon, qui assure qu’il ne s’agit pas de rétablir l’ensemble des néonicotinoïdes. En commission des Affaires économiques (qui prépare et amende le texte avant son examen par l’ensemble des député⸱es), son camp a trouvé un compromis avec une partie du bloc central : l’acétamipride et ses compères pourront être réautorisés par décret, sur trois ans, et pour des filières en impasse technique et ayant engagé des recherches d’alternatives.

Malgré ces conditions plus strictes, le retour des néonicotinoïdes reste impensable pour la gauche et même une partie du groupe présidentiel : «Je m’oppose au retour de l’acétamipride, je vais d’ailleurs déposer un amendement de suppression», annonce à Vert la députée Sandrine Le Feur (Renaissance). «L’acétamipride dégomme tous les insectes, y compris ceux qui sont bénéfiques à l’agriculture, abonde le député écologiste Benoît Biteau. Si on continue comme ça, on n’aura plus de pollinisateurs pour produire des fruits et légumes.»

Comme nous le montrions dans cet article, l’acétamipride est bel et bien toxique pour les abeilles et l’ensemble de la biodiversité, et ses effets sur la santé humaine font monter l’inquiétude parmi la communauté scientifique. L’association Génération futures demande le retrait de cette substance dans toute l’Union européenne : «Le renouvellement de son autorisation en 2018 résulte de choix politiques qui ne sont pas fondés sur la science», pointe son chargé de plaidoyer Yohann Coulmont.

🏦 L’Anses bientôt mise sous tutelle ?

Dans le même article, d’autres paragraphes favorables aux pesticides ont été supprimés en commission, comme l’autorisation de l’épandage par drone sur certaines cultures (vignes, bananes…) qui a entre temps fait l’objet d’une proposition de loi adoptée et promulguée en avril 2025.

Le texte du Sénat souhaitait aussi mettre sous tutelle l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), qui autorise ou non la mise sur le marché des pesticides. Cette autorité scientifique pourrait se voir soumettre par le gouvernement des dossiers à examiner en priorité, à partir de l’avis d’un futur «Conseil d’orientation pour la protection des cultures», qui pourrait notamment être composé de représentant·es du monde agricole et des industries agrochimiques.

«L’Anses doit garantir la santé publique, pas répondre aux enjeux économiques de telle ou telle filière», pointe Laure Piolle, animatrice du réseau agriculture et alimentation à France nature environnement (FNE). Début mai, plus de 1200 professionnel·les de santé ont adressé une lettre ouverte aux ministres de la Santé, de l’Agriculture, du Travail et de l’Environnement pour dénoncer «la mise sous tutelle de la science». Le directeur général de l’Anses en personne, Benoît Vallet, a mis sa démission dans la balance. Bien qu’effacée de la loi Duplomb en commission, la priorisation des travaux de l’Anses pourrait être reprise par un décret du gouvernement.

📈 La trajectoire de réduction des pesticides en question

Autre article sur les pesticides, qui a cette fois été maintenu : la fin de la séparation entre le conseil et la vente de produits phytosanitaires. Ce dispositif mis en place en 2018 pour limiter l’influence des fabricants de produits phytosanitaires dans le monde agricole est «l’archétype de la fausse bonne idée» selon le député socialiste Dominique Potier : «On ne peut pas mettre un gendarme derrière chaque vendeur et chaque agriculteur».

Dans un rapport publié en 2023, ce dernier a montré que cette interdiction des conflits d’intérêts était largement contournée et contre-productive. «C’est faux, il y a évidemment un problème quand des techniciens font à la fois la vente et le conseil de produits phytosanitaires, conteste auprès de Vert Aurélie Trouvé, députée La France insoumise (LFI) et ingénieure agronome de formation. Les progrès en matière d’environnement sont si lents, il ne faut pas revenir en arrière».

Les conseils techniques sont «le nerf de la guerre pour que la France réduise son usage des phytos» estime Thomas Uthayakumar, directeur des programmes à la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH). Ce dernier appelle les député⸱es à instaurer un grand «corps de conseillers indépendant et public pour permettre aux agriculteurs de s’affranchir des pesticides».

🐖 Porcs, volaille… favoriser l’élevage intensif

Plus technique et moins connu, l’article 3 est censé «simplifier la vie des éleveurs». Il va en réalité «ouvrir les vannes de l’élevage industriel», accuse Sandy Olivar Calvo, chargée de campagne agriculture et alimentation auprès de Greenpeace. À partir d’un certain nombre de bêtes, les plus grosses installations doivent demander une autorisation auprès de la préfecture et réaliser une étude d’impact environnementale. La proposition de loi Duplomb prévoit de passer ces seuils de 40 000 à 85 000 têtes pour les volailles et de 2000 à 3000 têtes pour les porcs.

«On passe juste d’un régime d’autorisation à un régime d’enregistrement [avec des règles plus simples, NDLR] pour s’aligner sur les seuils européens», tempère Sandrine Le Feur, qui votera l’article avec le reste du groupe présidentiel. Un tel changement facilitera l’agrandissement des grosses exploitations, avec «des conséquences environnementales et sanitaires très concrètes pour les personnes qui vivent à côté», alerte Sandy Olivar Calvo.

L’article 3 prévoit aussi d’affaiblir la consultation des riverains concernant les installations d’élevages, en remplaçant les réunions publiques par de simples permanences en mairie. «On est en train de sacrifier l’environnement et la santé pour une infime minorité d’agriculteurs qui ne sont pas ceux qui ont des difficultés de revenus», déplore Elyne Etienne, responsable élevages à la FNH. Elle rappelle que moins de 3% des éleveur⸱euses font aujourd’hui partie du régime d’autorisation.

💦 Plus de retenues d’eau, moins de zones humides

Déjà facilités par la récente loi d’orientation agricole du gouvernement, les projets de stockage d’eau (dont les très critiquées mégabassines, notre articlepourraient désormais être «présumés d’intérêt général majeur» dans les zones en manque de pluie. Avec une telle mesure, les porteur·ses n’auront plus à prouver les bénéfices réels de tels ouvrages, s’inquiète Laure Piolle de FNE : «La priorité devrait être de s’adapter à la sobriété pour avoir une agriculture plus résiliente face au manque d’eau».

Autre point très critiqué par les associations, le texte initial sorti du Sénat prévoyait d’introduire une étonnante catégorie de «zones humides fortement modifiées», qui pourraient dès lors être plus facilement exploitées. «Pendant cinquante ans on a détruit ces zones, et maintenant on veut les achever, peste Laure Piolle. Quand on connaît l’ensemble des services écosystémiques qu’elles nous rendent, il faudrait plutôt essayer de les restaurer.»

Ces passages sur la gestion de la ressource en eau ont été intégralement supprimés par la commission du développement durable, où de nouveaux articles sur la protection des captages d’eau ou encore un moratoire sur les mégabassines ont été introduits par la gauche et une partie du bloc central. Il est cependant très probable que la version initiale du texte soit rétablie avec le soutien du camp présidentiel la semaine prochaine : «Quand vous avez des millions de mètres cube d’eau qui se déversent en quelques secondes puis plus rien pendant des mois, le stockage est une des réponses et on a besoin de le faciliter», défend l’ancien ministre de l’agriculture Marc Fesneau.

La mégabassine de Sainte-Soline dans le Poitou Damien MEYER / AFP

🌾Assurance pour les récoltes, insectes stériles, lutte contre les ravageurs… quelques articles plus consensuels

Les débats sur la proposition de loi Duplomb verront aussi le retour d’un sujet brûlant : la réforme de l’Office français de la biodiversité (OFB). La police de l’environnement est devenue le «bouc émissaire» de la droite et d’une partie des syndicats agricoles rappelle Sylvie Ferrer, députée LFI des Hautes-Pyrénées : «Elle est régulièrement montrée du doigt comme étant une entrave au métier d’agriculteur, alors que ses missions sur les exploitations agricoles ne représentent qu’une infime partie de leur travail».

Sur ce sujet, l’article 6 du texte ne fait que rappeler des mesures déjà mises en place ces derniers mois, comme le port d’une caméra embarquée pour limiter les tensions lors des contrôles (notre article). Des amendements sur le port d’arme visible et le respect par l’État des missions de l’OFB ont également été ajoutés en commission du Développement durable… mais risquent de ne pas survivre à l’examen en séance publique.

Quelques derniers articles moins débattus ponctuent la proposition de loi, comme une amélioration de la réforme de l’assurance pour les récoltes de 2023 (article 4) ou encore des moyens de lutte contre les foyers de ravageurs des cultures (article 8). L’article 7 prévoit aussi de développer la technique dite «de l’insecte stérile», qui se veut une alternative aux pesticides en limitant la reproduction des insectes s’attaquant aux plantes.

Dénonçant «des propositions qui constituent de véritables reculs en matière de protection de l’environnement et de bien-être animal, de la biodiversité et de la santé publique», de nombreuses associations écologistes revendiquent plus de 100 000 interpellations de député⸱es sur le site Shake ton politique. Dénonçant une «trahison» face aux quelques passages supprimés en commission, les syndicats majoritaires de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs appellent de leur côté à une «mobilisation massive» à partir de l’arrivée du texte dans l’hémicycle le 26 mai.

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