Décryptage

Néonicotinoïdes : les pesticides « tueurs d’abeilles » font leur retour dans les cultures de betteraves à sucre

La consultation publique au sujet de l'arrêté réintroduisant les néonicotinoïdes s'est achevée ce dimanche, ouvrant la voie à leur réintroduction. Les associations tentent toujours d'empêcher leur retour dans les cultures de betteraves à sucre.
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Il y a de quoi être amer. Sauf coup de théâtre, les pro­duc­teurs de bet­ter­aves à sucre seront bien­tôt autorisés, comme en 2021, à semer des graines enrobées de ces sub­stances des­tinées à lut­ter con­tre le puceron vert, vecteur du virus de la jau­nisse.

Qual­i­fié de « tueur d’abeilles », ce type de pes­ti­cides avait pour­tant été inter­dit en 2018, en rai­son de sa tox­i­c­ité pour l’ensem­ble du vivant. L’an dernier, les néon­i­coti­noïdes avaient été réin­tro­duits de manière déroga­toire à l’is­sue d’une sai­son 2020 où la jau­nisse s’é­tait ajoutée à la sécher­esse, occa­sion­nant près de 30% de pertes de ren­de­ment.

Les pro­duc­teurs de bet­ter­ave sucrière plantent des semences enrobées de néon­i­coti­noïdes, pour tuer le puceron vecteur du virus de la jau­nisse. Pol­lu­ant ain­si les sols pen­dant des années. © René Schaub­hut

Or, cette année, si l’on s’at­tend à des con­di­tions météorologiques favor­ables au puceron vert, des prélève­ments réal­isés sur dif­férentes plantes ne lais­sent appa­raître que des traces infimes de l’un des qua­tre virus à l’o­rig­ine de la jau­nisse : 7 cas posi­tifs sur 267 prélève­ments en 2021, con­tre 117 sur 170 en 2020. L’ar­rêté soumis à con­sul­ta­tion jusqu’à hier prévoit pour­tant de réau­toris­er l’emploi des néon­i­coti­noïdes pen­dant 120 jours pour la cam­pagne de semis 2022.

Jeu­di, dans une let­tre ouverte adressée au pre­mier min­istre, huit asso­ci­a­tions et syn­di­cats — dont Agir pour l’en­vi­ron­nement et la Con­fédéra­tion paysanne — ont réclamé l’an­nu­la­tion de cette nou­velle déro­ga­tion. Les organ­i­sa­tions rap­pel­lent qu’à l’été dernier, l’Ans­es avait iden­ti­fié 22 alter­na­tives aux néon­i­coti­noïdes, dont cer­taines util­is­ables immé­di­ate­ment (Vert). Elles s’émeu­vent aus­si de l’usage sys­té­ma­tique­ment préven­tif des pes­ti­cides et non curatif, au cas par cas.

Les sig­nataires regret­tent de n’en­trevoir « aucun signe d’une ultime tra­jec­toire de sor­tie défini­tive de l’usage déroga­toire ». Par­mi leurs sug­ges­tions : la « mise en place de haies et mosaïque paysagère comme habi­tats des aux­il­i­aires de cul­tures, béné­fique non pas seule­ment à la régu­la­tion des pucerons, mais égale­ment à la restau­ra­tion de la bio­di­ver­sité, la régu­la­tion des autres ravageurs des cul­tures » ; la « restric­tion de la déro­ga­tion aux zones dans lesquelles la pres­sion virale sem­ble devoir être la plus forte » ; ou encore, une « baisse du dosage des pro­duits employés pour­rait aus­si être mise en œuvre, ou des semis mixtes semences traitées et non traitées ».

Il appa­raît d’au­tant plus impor­tant de met­tre rapi­de­ment en œuvre des solu­tions alter­na­tives la loi votée fin 2020 ne per­met des déro­ga­tions que jusqu’à la fin 2023.

Autre argu­ment dis­cutable présen­té par le min­istère de l’a­gri­cul­ture pour jus­ti­fi­er le renou­velle­ment de la déro­ga­tion : la fil­ière « demeure économique­ment frag­ile ». Or celle-ci a notam­ment été frap­pée par la fin des quo­tas européens sur le sucre en 2018, qui ont fait s’ef­fon­dr­er les prix de vente des pro­duc­teurs français.

En out­re, en 2021, les cul­tures de bet­ter­ave à sucre ont moins pâti de la jau­nisse que d’in­ci­dents lié à la présences de pro­duits non-con­formes dans cer­tains her­bi­cides – comme le Mar­quis (La France agri­cole). Des « inci­dents de phy­to­tox­i­c­ité » qui ont souil­lé près de 15 000 hectares, vouant plus de 1,2 mil­lion de tonnes de bet­ter­aves à la destruc­tion ou à la trans­for­ma­tion en car­bu­rant, selon les don­nées présen­tées au con­seil de sur­veil­lance par le min­istère de l’agriculture aux­quelles le Monde a eu accès.