«On n’a rien contre les parcs d’attraction, mais pas ici, dans ce havre de biodiversité, et pas comme ça», lance à Vert Thomas Iglesis, du Groupe national de surveillance des arbres (GNSA) de l’Ain. L’association, qui s’est illustrée ces derniers mois dans la lutte contre le projet d’A69 entre Toulouse et Castres (notre article), est venue prêter main forte au Collectif non aux dinos (Cnad) déterminé à entraver les travaux du parc d’attraction Dinopedia. Celui-ci doit voir le jour à Trévoux (Ain), dès le mois de juin 2024.
Ce vendredi 15 mars, un petit groupe s’est donné rendez-vous aux abords des Cascades pour placarder des affichettes sur les grilles qui encerclent le site de cinq hectares et demi. On peut y lire : «Ici est installée une ZAD, une Zone anti-dinos». Le triton alpestre – espèce protégée qui vit dans cette zone humide – est érigé en emblème.
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Trévoux est posée en bordure de Saône, à 25 kilomètres au nord de Lyon. L’ancienne capitale de la Principauté de Dombes est connue pour son patrimoine moyenâgeux : le château-fort et le Parlement de Dombes aimantent les touristes. Ici, pas de traces de dinosaures, assure Rodolphe Nicot. Cet archéologue de 47 ans qui vit dans la commune et «ne vote pas», s’est engagé pour la première fois dans ce combat. Pour lui, «le projet est une aberration et sent la magouille». De premières manifestations ont eu lieu en septembre 2023 et une pétition a déjà recueilli 1 233 signatures. Alors que des travaux ont commencé, le collectif veut passer à la vitesse supérieure.
Fermeture des Cascades
L’histoire commence en 2022. À l’époque, «les Cascades» est un centre aquatique à l’air libre, doté d’une grande piscine et de toboggans. Un lieu de fraîcheur pour passer les étés torrides de la région. Seulement, le site perd de l’argent : 300 000 euros chaque année. Le maire (Les Républicains) Marc Péchoux avance aussi «des problèmes récurrents de sécurité» et «un impact environnemental catastrophique», avec plus de 30 000 mètres cubes d’eau potable, 10 000 litres de chlore et la même quantité d’acide chlorhydrique utilisés.
Ni une, ni deux, l’équipe municipale décide de fermer la piscine. «On n’a pas d’avis sur le fait qu’il fallait garder ou non les Cascades, on s’oppose au parc d’attraction», précise la Trévoltienne Emilie Camus, membre du Cnad.
Début 2023, un groupe de travail est chargé de réfléchir à la reconversion du site. Philippe Lopez, le créateur de Dinopedia, contacte alors la mairie pour lui proposer d’installer l’un de ses parcs à thème sur les dinosaures. Trois autres ont déjà ouvert dans le Sud de la France dans les Pyrénées-Orientales, le Gard et la Lozère.
À Trévoux, la société veut utiliser la piscine, transformée en bassin naturel, pour faire découvrir les dinosaures marins au public, installer une cinquantaine de maquettes – à taille réelle – de dinosaures sonores en plastique et un restaurant-snack baptisé «The big Rex». L’entreprise attend 50 à 70 000 visiteur·ses chaque année, de quoi créer «une quinzaine d’emplois permanents et dix saisonniers», selon Philippe Lopez.
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Une zone humide modifiée
Problème : une partie du parc est située dans une zone humide protégée. Véritables réservoirs de biodiversité, les zones humides permettent de créer des îlots de fraîcheur et atténuent le dérèglement climatique, en stockant plus de carbone que les forêts.
Non loin, la municipalité a aménagé le parcours pédagogique de la «Petite Saône», non cédé à Dinopedia. Tritons alpestres, alytes accoucheurs, musaraignes aquatiques : les panneaux détaillent la richesse des espèces présentes. Le GNSA a aussi identifié des oiseaux présents sur la liste rouge des espèces menacées, dont le bruant zizi ou la bécassine des marais.
Selon le code de l’environnement, toute modification d’une zone humide qui impacte des espèces protégées nécessite une étude environnementale de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal). Aucun dossier n’a été déposé, nous a assuré la Dreal.
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Croisée sur place, Lurdes Marques, aide-soignante de 54 ans et riveraine qui vient s’y promener tous les soirs, ne mâche pas ses mots : «La mare aux grenouilles, les oiseaux, tout ça va partir, la beauté va partir. On sera envahi de monde et de voitures. Vous entendez les oiseaux là ? Avec les cris de dinosaures, ça va disparaître. Et tout ce plastique, des clous dans les arbres… Je suis en colère». De leur côté, des boulistes en pleine activité disent ne pas vouloir se prononcer. Même silence gêné pour le gérant du camping, voisin du parc, qui est aussi un employé communal.
«Il n’y aura pas de dinosaures dans la zone humide», jure Philippe Lopez. Le gérant de Dinopedia dit avoir retiré les reptiles à cet endroit lorsqu’il a été alerté sur son statut. Comme Vert a pu le constater, des plateformes en bois ont déjà été fixées dans les platanes de la zone humide et un bateau long de dix mètres environ a été construit dans le bois qui fait partie du site historique remarquable.
19 arbres, dont un chêne blanc de 30 mètres et un platane, devraient aussi être abattus car «contaminés à l’acide chlorhydrique» de l’ancienne piscine, selon Sébastien Lopez, assistant à la maîtrise d’ouvrage et cousin du gérant. La société a obtenu l’autorisation préalable pour travaux auprès de la mairie. «C’est idiot d’abattre des arbres, complète Philippe Lopez. Si on en coupe, ce sera seulement s’ils présentent un risque pour les visiteurs». Le GNSA demande à pouvoir mener une contre-expertise.
Philippe Lopez est apiculteur dans les Cévennes et fait de la photographie animalière. Très attaché à ses «valeurs environnementales», il considère son projet comme «beaucoup plus vertueux que l’ancienne piscine chlorée des Cascades».
«La cession est illégale»
Alors que Marc Péchoux voit en Dinopédia une chance pour sa commune, le Collectif non aux dinos reproche au maire l’absence d’information et de consultation de la population. Aucun appel d’offre n’a été réalisé ; ce projet, ni aucun projet concurrent, n’a été présenté aux habitant·es.
«J’affirme fortement que la cession est illégale et j’affirme fortement qu’il n’y a pas eu d’autorisation d’urbanisme alors que c’est une obligation légale», martèle l’avocat des élus d’opposition, Nathanaël Duffit Menard. Il pointe le «magma juridique» qui entoure la cession des terrains communaux à la SCI de Philippe Lopez, opérée entre novembre et décembre 2023. La commune a validé une location-vente sur 12 ans à hauteur de 100 000 euros d’annuités. Pour l’avocat, cela revient à avoir accordé un prêt à taux zéro sur 12 ans, soit une «aide économique» qui aurait nécessité, selon lui, une autorisation de la communauté de communes – dont Marc Péchoux est également le président.
«C’est de l’argent public, il faut montrer que ça sert l’intérêt général», dit-il. Il a déposé un recours auprès du tribunal administratif, au nom des sept conseillers municipaux de l’opposition, pour faire annuler la cession. La décision est attendue courant 2025. Le parc, lui, sera exploité par la SARL de Philippe Lopez.
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Autre point de crispation : les travaux ont commencé courant février, soit avant d’avoir obtenu le permis d’aménager pourtant obligatoire dans l’installation de tout parc à thème de plus de deux hectares. La demande de permis a été déposée le 13 mars. S’il reconnait que «des travaux préparatoires ont commencé», le maire n’a pas dressé de procès-verbal pour constater une éventuelle infraction. L’avocat annonce que des plaintes vont être déposées auprès de la préfecture de l’Ain. Contactée, celle-ci n’a pas répondu à nos questions.
Pour ajouter à ce maelstrom, une partie de la parcelle se trouve sur un site patrimonial remarquable. L’architecte des bâtiments de France (ABF) aurait dû donner son accord sur les aménagements prévus. «Le site est visible depuis le château, souligne Emilie Camus. Nous, les habitants, dès qu’on doit changer nos tuiles, nos stores ou nos fenêtres, les ABF se prononcent, ce sont de grosses contraintes et des frais. Là, monsieur Lopez va mettre des dinosaures géants en plastique».
«La manière dont ils mettent en œuvre le projet est une violence en soi envers les citoyens qui demandent de la consultation», regrette Thomas Iglesis, du GNSA Ain. «Et une violence vis-à-vis de la nature, car il n’y a pas d’enquête publique ni d’étude d’impact, lui emboîte le pas Sheila Tynan. Tout est fait à l’envers pour gagner du temps à moindre coût, avec une bonne dose de greenwashing».
Le Collectif non aux dinos appelle à une manifestation «familiale» et «joyeuse» samedi 23 mars à 15h30. Il est soutenu par France Nature environnement (FNE), les Soulèvements de la Terre et le GNSA.
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