Reportage

«Zone anti-dinos» : dans l’Ain, l’installation d’un parc de dinosaures géants près d’une zone humide ne passe pas

Raptor ou à raison. Au cœur d’une bourgade au patrimoine historique remarquable du Val de Saône (Ain), la société Dinopedia compte ouvrir un parc d’attraction sur le thème des dinosaures, en juin prochain. Des habitant·es veulent faire cesser les travaux et prévoient une manifestation samedi 23 mars.
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«On n’a rien con­tre les parcs d’attraction, mais pas ici, dans ce havre de bio­di­ver­sité, et pas comme ça», lance à Vert Thomas Igle­sis, du Groupe nation­al de sur­veil­lance des arbres (GNSA) de l’Ain. L’association, qui s’est illus­trée ces derniers mois dans la lutte con­tre le pro­jet d’A69 entre Toulouse et Cas­tres (notre arti­cle), est venue prêter main forte au Col­lec­tif non aux dinos (Cnad) déter­miné à entraver les travaux du parc d’attraction Dino­pe­dia. Celui-ci doit voir le jour à Trévoux (Ain), dès le mois de juin 2024.

Ce ven­dre­di 15 mars, un petit groupe s’est don­né ren­dez-vous aux abor­ds des Cas­cades pour plac­arder des affichettes sur les grilles qui encer­clent le site de cinq hectares et demi. On peut y lire : «Ici est instal­lée une ZAD, une Zone anti-dinos». Le tri­ton alpestre — espèce pro­tégée qui vit dans cette zone humide — est érigé en emblème.

Sheila Tynan a créé le groupe Face­book du Col­lec­tif non aux dinos qui regroupe 350 per­son­nes. Ici, l’infirmière plac­arde des affichettes sur les grilles qui entourent l’ancien site des Cas­cades, à Trévoux (Ain) © Juli­ette Quef / Vert

Trévoux est posée en bor­dure de Saône, à 25 kilo­mètres au nord de Lyon. L’ancienne cap­i­tale de la Prin­ci­pauté de Dombes est con­nue pour son pat­ri­moine moyenâgeux : le château-fort et le Par­lement de Dombes aiman­tent les touristes. Ici, pas de traces de dinosaures, assure Rodolphe Nicot. Cet archéo­logue de 47 ans qui vit dans la com­mune et «ne vote pas», s’est engagé pour la pre­mière fois dans ce com­bat. Pour lui, «le pro­jet est une aber­ra­tion et sent la magouille». De pre­mières man­i­fes­ta­tions ont eu lieu en sep­tem­bre 2023 et une péti­tion a déjà recueil­li 1 233 sig­na­tures. Alors que des travaux ont com­mencé, le col­lec­tif veut pass­er à la vitesse supérieure.

Fermeture des Cascades

L’histoire com­mence en 2022. À l’époque, «les Cas­cades» est un cen­tre aqua­tique à l’air libre, doté d’une grande piscine et de tobog­gans. Un lieu de fraîcheur pour pass­er les étés tor­rides de la région. Seule­ment, le site perd de l’argent : 300 000 euros chaque année. Le maire (Les Répub­li­cains) Marc Péchoux avance aus­si «des prob­lèmes récur­rents de sécu­rité» et «un impact envi­ron­nemen­tal cat­a­strophique», avec plus de 30 000 mètres cubes d’eau potable, 10 000 litres de chlore et la même quan­tité d’acide chlorhy­drique util­isés.

Ni une, ni deux, l’équipe munic­i­pale décide de fer­mer la piscine. «On n’a pas d’avis sur le fait qu’il fal­lait garder ou non les Cas­cades, on s’oppose au parc d’attraction», pré­cise la Tré­vol­ti­enne Emi­lie Camus, mem­bre du Cnad.

Début 2023, un groupe de tra­vail est chargé de réfléchir à la recon­ver­sion du site. Philippe Lopez, le créa­teur de Dino­pe­dia, con­tacte alors la mairie pour lui pro­pos­er d’installer l’un de ses parcs à thème sur les dinosaures. Trois autres ont déjà ouvert dans le Sud de la France dans les Pyrénées-Ori­en­tales, le Gard et la Lozère.

À Trévoux, la société veut utilis­er la piscine, trans­for­mée en bassin naturel, pour faire décou­vrir les dinosaures marins au pub­lic, installer une cinquan­taine de maque­ttes — à taille réelle — de dinosaures sonores en plas­tique et un restau­rant-snack bap­tisé «The big Rex». L’entreprise attend 50 à 70 000 visiteur·ses chaque année, de quoi créer «une quin­zaine d’emplois per­ma­nents et dix saison­niers», selon Philippe Lopez.

Cap­ture d’écran de la vidéo de présen­ta­tion du pro­jet aux habitant·es de Trévoux pour répon­dre aux cri­tiques du pro­jet, datant du 1er novem­bre 2023 © Mairie de Trévoux

Une zone humide modifiée

Prob­lème : une par­tie du parc est située dans une zone humide pro­tégée. Véri­ta­bles réser­voirs de bio­di­ver­sité, les zones humides per­me­t­tent de créer des îlots de fraîcheur et atténu­ent le dérè­gle­ment cli­ma­tique, en stock­ant plus de car­bone que les forêts.

Non loin, la munic­i­pal­ité a amé­nagé le par­cours péd­a­gogique de la «Petite Saône», non cédé à Dino­pe­dia. Tri­tons alpestres, alytes accoucheurs, musaraignes aqua­tiques : les pan­neaux détail­lent la richesse des espèces présentes. Le GNSA a aus­si iden­ti­fié des oiseaux présents sur la liste rouge des espèces men­acées, dont le bru­ant zizi ou la bécas­sine des marais.

Selon le code de l’environnement, toute mod­i­fi­ca­tion d’une zone humide qui impacte des espèces pro­tégées néces­site une étude envi­ron­nemen­tale de la Direc­tion régionale de l’en­vi­ron­nement, de l’amé­nage­ment et du loge­ment (Dreal). Aucun dossier n’a été déposé, nous a assuré la Dreal.

La zone humide de la Petite Saône à dix mètres de la zone humide investie par Dino­pe­dia, à Trévoux le 15 mars © Juli­ette Quef / Vert

Croisée sur place, Lur­des Mar­ques, aide-soignante de 54 ans et riveraine qui vient s’y promen­er tous les soirs, ne mâche pas ses mots : «La mare aux grenouilles, les oiseaux, tout ça va par­tir, la beauté va par­tir. On sera envahi de monde et de voitures. Vous enten­dez les oiseaux là ? Avec les cris de dinosaures, ça va dis­paraître. Et tout ce plas­tique, des clous dans les arbres… Je suis en colère». De leur côté, des boulistes en pleine activ­ité dis­ent ne pas vouloir se pronon­cer. Même silence gêné pour le gérant du camp­ing, voisin du parc, qui est aus­si un employé com­mu­nal.

«Il n’y aura pas de dinosaures dans la zone humide», jure Philippe Lopez. Le gérant de Dino­pe­dia dit avoir retiré les rep­tiles à cet endroit lorsqu’il a été alerté sur son statut. Comme Vert a pu le con­stater, des plate­formes en bois ont déjà été fixées dans les pla­tanes de la zone humide et un bateau long de dix mètres env­i­ron a été con­stru­it dans le bois qui fait par­tie du site his­torique remar­quable.

19 arbres, dont un chêne blanc de 30 mètres et un pla­tane, devraient aus­si être abat­tus car «con­t­a­m­inés à l’acide chlorhy­drique» de l’ancienne piscine, selon Sébastien Lopez, assis­tant à la maîtrise d’ouvrage et cousin du gérant. La société a obtenu l’autorisation préal­able pour travaux auprès de la mairie. «C’est idiot d’abattre des arbres, com­plète Philippe Lopez. Si on en coupe, ce sera seule­ment s’ils présen­tent un risque pour les vis­i­teurs». Le GNSA demande à pou­voir men­er une con­tre-exper­tise.

Philippe Lopez est apicul­teur dans les Cévennes et fait de la pho­togra­phie ani­mal­ière. Très attaché à ses «valeurs envi­ron­nemen­tales», il con­sid­ère son pro­jet comme «beau­coup plus vertueux que l’ancienne piscine chlorée des Cas­cades».

«La cession est illégale»

Alors que Marc Péchoux voit en Dinopé­dia une chance pour sa com­mune, le Col­lec­tif non aux dinos reproche au maire l’absence d’information et de con­sul­ta­tion de la pop­u­la­tion. Aucun appel d’offre n’a été réal­isé ; ce pro­jet, ni aucun pro­jet con­cur­rent, n’a été présen­té aux habitant·es.

«J’affirme forte­ment que la ces­sion est illé­gale et j’affirme forte­ment qu’il n’y a pas eu d’autorisation d’urbanisme alors que c’est une oblig­a­tion légale», martèle l’avocat des élus d’opposition, Nathanaël Duf­fit Menard. Il pointe le «mag­ma juridique» qui entoure la ces­sion des ter­rains com­mu­naux à la SCI de Philippe Lopez, opérée entre novem­bre et décem­bre 2023. La com­mune a validé une loca­tion-vente sur 12 ans à hau­teur de 100 000 euros d’annuités. Pour l’avocat, cela revient à avoir accordé un prêt à taux zéro sur 12 ans, soit une «aide économique» qui aurait néces­sité, selon lui, une autori­sa­tion de la com­mu­nauté de com­munes — dont Marc Péchoux est égale­ment le prési­dent.

«C’est de l’argent pub­lic, il faut mon­tr­er que ça sert l’intérêt général», dit-il. Il a déposé un recours auprès du tri­bunal admin­is­tratif, au nom des sept con­seillers munic­i­paux de l’opposition, pour faire annuler la ces­sion. La déci­sion est atten­due courant 2025. Le parc, lui, sera exploité par la SARL de Philippe Lopez.

Le Col­lec­tif non aux dinos, rejoint par le GNSA, observe les travaux déjà opérés sur le site où doit être ouvert le parc Dino­pe­dia. © Juli­ette Quef/Vert

Autre point de crispa­tion : les travaux ont com­mencé courant févri­er, soit avant d’avoir obtenu le per­mis d’aménager pour­tant oblig­a­toire dans l’installation de tout parc à thème de plus de deux hectares. La demande de per­mis a été déposée le 13 mars. S’il recon­nait que «des travaux pré­para­toires ont com­mencé», le maire n’a pas dressé de procès-ver­bal pour con­stater une éventuelle infrac­tion. L’avocat annonce que des plaintes vont être déposées auprès de la pré­fec­ture de l’Ain. Con­tac­tée, celle-ci n’a pas répon­du à nos ques­tions.

Pour ajouter à ce mael­strom, une par­tie de la par­celle se trou­ve sur un site pat­ri­mo­ni­al remar­quable. L’architecte des bâti­ments de France (ABF) aurait dû don­ner son accord sur les amé­nage­ments prévus. «Le site est vis­i­ble depuis le château, souligne Emi­lie Camus. Nous, les habi­tants, dès qu’on doit chang­er nos tuiles, nos stores ou nos fenêtres, les ABF se pronon­cent, ce sont de gross­es con­traintes et des frais. Là, mon­sieur Lopez va met­tre des dinosaures géants en plas­tique».

«La manière dont ils met­tent en œuvre le pro­jet est une vio­lence en soi envers les citoyens qui deman­dent de la con­sul­ta­tion», regrette Thomas Igle­sis, du GNSA Ain. «Et une vio­lence vis-à-vis de la nature, car il n’y a pas d’enquête publique ni d’étude d’impact, lui emboîte le pas Sheila Tynan. Tout est fait à l’envers pour gag­n­er du temps à moin­dre coût, avec une bonne dose de green­wash­ing».

Le Col­lec­tif non aux dinos appelle à une man­i­fes­ta­tion «famil­iale» et «joyeuse» same­di 23 mars à 15h30. Il est soutenu par France Nature envi­ron­nement (FNE), les Soulève­ments de la Terre et le GNSA.