Reportage

«Elles ont pris une claque avec la chaleur» : face à la canicule, les vaches souffrent et les éleveurs cherchent à s’adapter

Lait calé. Avec les fortes chaleurs qui frappent la France depuis le 8 août, les vaches sont en stress et produisent moins de lait. Systèmes de ventilation, récupérateurs d’eau, gestion différente des troupeaux… Vert est parti en reportage dans le Doubs, dans deux fermes laitières qui tentent de s’adapter à la nouvelle donne climatique.
  • Par

Comme chaque matin et chaque soir depuis qu’il a repris la ferme familiale il y a 25 ans, Michaël Dromard emmène une partie de ses 270 vaches à la traite. Le lait collecté sera ensuite emmené à la fruitière locale pour être transformé en fromage, le célèbre comté. Mais ces derniers jours, les montbéliardes ne produisent plus autant de lait : «Ça a bien baissé à partir de lundi [11 août, il y a une semaine, NDLR], on voit qu’elles ont pris un claque avec la chaleur», observe l’éleveur basé à Ouvans (Doubs).

Michaël Dromard vient régulièrement s’assurer que ses veaux se portent bien. © Esteban Grépinet/Vert

Ce dernier nous montre le petit tableau affiché près du réservoir à lait, où sont inscrites les quantités de ce précieux liquide obtenues chaque jour : du dimanche au lundi – jour où le département du Doubs est passé en alerte orange canicule – plus de 100 litres ont été perdus (sur un total d’environ 2 500 litres par jour). Les chiffres continuent à diminuer les jours suivant, avant de se stabiliser.

Ventilateurs, récupérateurs d’eau et isolation thermique

Les vaches ayant la particularité de ne pas transpirer, elles évacuent moins bien la chaleur : «Elles entrent en stress quand la température dépasse les 25°C», explique Michaël Dromard. Et donc, sont moins productives : un rapport de l’Institut de l’élevage datant de 2021 souligne que la chaleur modifie le métabolisme et le comportement des vaches, conduisant à une perte de lait «loin d’être négligeable» à l’échelle d’un troupeau, ainsi qu’à des impacts sur la composition du lait ou encore sur le bien-être des animaux.

Dans la ferme Dromard, de grands ventilateurs accompagnés de brumisateurs sont activés pour tenter de rafraîchir les 270 vaches de l’exploitation. © Esteban Grépinet/Vert

«Je n’aime pas les laisser dehors quand il fait chaud comme en ce moment, elles se mettent en paquet et risquent de se blesser», confirme l’agriculteur franc-comtois, l’air grave. Avec la canicule, les mouches se multiplient, piquent et dérangent les animaux. Ces derniers peuvent aussi subir des coups de soleil sur les mamelles, rendant la traite quotidienne douloureuse : «C’est comme si on vous appuyait sur une plaie ouverte».

Ces derniers jours, Michaël Dromard et ses quatre associés rentrent les bêtes en début d’après-midi pour les protéger des heures les plus chaudes : «C’est pour leur bien-être, assure l’éleveur comtois. Je peux ouvrir la porte, elles ne sortiront pas !»

Dans le grand hangar qui les accueille, six ventilateurs et brumisateurs vrombissent régulièrement : ils ont été installés il y a dix ans pour rendre les chaleurs estivales plus supportables. Le toit du bâtiment a également été rénové avec des panneaux isolants, pour être plus frais l’été et mieux garder la chaleur pendant l’hiver.

Pour économiser l’eau, un système de récupération de l’eau de pluie a été installé sur le toit de la ferme Dromard. © Esteban Grépinet/Vert

Comme de plus en plus d’exploitations dans la région, la ferme Dromard a également installé deux systèmes de récupération de l’eau de pluie : les gouttes qui tombent sur les toits des bâtiments ruissellent dans des chéneaux, puis sont conduites dans deux grands cuves souterraines, où elles pourront ensuite être traitées avant d’être utilisées pour le nettoyage de la salle de traite. Une manière de réduire la facture d’eau potable, mais aussi de sécuriser l’approvisionnement de cette ressource précieuse.

«C’était encore vert il y a quinze jours, maintenant l’herbe est toute jaune»

Autre solution quand il fait chaud : modifier la nourriture des animaux, par exemple en leur donnant des plants de maïs fraichement coupés. Mais le cahier des charges de la filière comté limite cet apport «en vert» à 75 jours dans l’année. Le reste du temps, il faut donner aux vaches du foin ou les faire pâturer, quand les champs ne sont pas grillés par la chaleur : «C’était encore vert il y a quinze jours, maintenant l’herbe est toute jaune», souffle Michaël Dromard en pointant les pâtures en contrebas de sa ferme.

Avec le manque d’eau – cette année, le Doubs est passé en vigilance sécheresse dès avril -, les fortes chaleurs réduisent la ressource en herbe pour les bêtes. Si la situation varie selon l’altitude, certaines pratiques agricoles peuvent limiter la casse. Garder plus de haies et d’arbres, favoriser la matière organique dans les sols, limiter la fréquence de fauche… C’est ce que tentent depuis plusieurs années Laurence Lyonnais et Mehdi Meslob pour la quarantaine de vaches qu’il et elle élèvent à quelques kilomètres de là, à Saint-Juan.

«C’était encore vert il y a quinze jours, maintenant l’herbe est toute jaune», explique Michaël Dromard devant ses pâturages. © Esteban Grépinet/Vert

Pourtant situés plus bas en altitude, sur les premiers plateaux du Doubs, leurs pâturages arrivent, selon les deux associé·es, à garder assez d’eau pour rester verts malgré les fortes chaleurs des derniers jours. Il et elle essayent également d’adapter leur calendrier aux conditions climatiques : «On sort les animaux plus tôt dans l’année, en mars, pour profiter des premières pousses et optimiser l’herbe disponible».

Quant aux solutions de court terme face à la canicule, elles sont globalement les mêmes : les animaux sont gardés la journée à l’ombre dans l’«écurie» (le nom donné à l’étable des vaches dans la région), qui a été reconstruite avec un bardage en bois laissant passer l’air. Des brumisateurs ont également été installés en salle de traite lors de la dernière vague de chaleur fin juin, aussitôt plébiscités par les vaches, qui s’agglutinent à l’entrée lorsque ces derniers sont déclenchés pour démarrer la traite du soir.

Laurence Lyonnais, agricultrice à Saint-Juan et porte-parole de la Confédération paysanne locale, a installé en juin dernier des brumisateurs dans la salle de traite des vaches. © Esteban Grépinet/Vert

L’an prochain, l’exploitation espère élargir ce système de rafraichissement à l’ensemble du bâtiment d’élevage, et s’offrir un important récupérateur d’eau de pluie. «Ce qui nous bloque, c’est la capacité d’investissement», regrette Laurence Lyonnais, qui souligne que ces installations sont coûteuses et les dossiers de demandes d’aides pas forcément adaptés aux petites fermes.

«La limitation de la taille des fermes est aussi une manière de s’adapter au changement climatique»

Elles deviennent pourtant cruciales à l’heure du changement climatique, qui fait craindre à Laurence Lyonnais des conflits à venir sur le partage de l’eau. Également porte-parole locale de la Confédération paysanne, dont elle porte un t-shirt jaune pétant, l’agricultrice prône la «robustesse» des fermes, un concept qu’elle oppose à la «performance» : «On ne peut pas maintenir ces deux caps à la fois, tout l’enjeu aujourd’hui est d’avoir les systèmes les plus robustes pour faire tampon face aux aléas climatiques».

Ce qui peut passer par plus de productions différentes : la ferme de Saint-Juan, qui élève aussi des cochons, produit des fruits et légumes ainsi que ses propres céréales, pour se diversifier et tenter de dépendre le moins possible d’achats extérieurs en alimentation des bêtes. Et suppose aussi de tenter de nouvelles pratiques : «J’ai fait cinq ans de lycée agricole en étant d’origine arabe, alors faire différent je sais ce que c’est», cingle Mehdi Meslob derrière sa barbe finement taillée.

Il propose aussitôt une piste : «réduire le nombre d’animaux improductifs». C’est-à-dire, garder moins de veaux destinés au renouvellement du troupeau (une vache laitière met bas chaque année), donc en vendre plus pour faire de la viande. Une manière de réduire les quantités d’eau et de nourriture nécessaires pour la ferme, mais qui risque de rendre les animaux moins productifs, du fait du jeu d’un moindre brassage génétique.

Pour Laurence Lyonnais, «tout l’enjeu aujourd’hui est d’avoir les systèmes les plus robustes pour faire tampon face aux aléas climatiques». © Esteban Grépinet/Vert

Des stratégies qui soulèvent aussi la question de la réduction du nombre d’animaux (la taille moyenne d’un troupeau laitier en France est de 62 bêtes, mais ce chiffre diminue dans les régions fromagères), estime Laurence Lyonnais : «La limitation de la taille des fermes est aussi une manière de s’adapter au changement climatique. Plus on est dans la proximité, plus on peut gérer les choses avec finesse».

Une conception avec laquelle Michaël Dromard n’est pas d’accord. Pour lui, «la solution c’est l’extensif, il faut adapter son cheptel aux surfaces». Entendre : si les ressources alimentaires viennent à manquer, il faut agrandir l’exploitation agricole pour en avoir plus. Non-syndiqué (il a autrefois fait partie de la branche locale de la FNSEA), l’éleveur juge qu’il peut aussi s’adapter en réduisant ses surfaces de céréales afin de faire plus de fourrage pour les vaches.

Michaël Dromard note aussi que le changement climatique peut intensifier les pluies, comme au printemps 2024, favorisant la pousse de l’herbe : «Il y aura des années où on aura plus de fourrage et où on pourra le stocker pour les années suivantes, peut-être que c’est ça la solution ?»

Dans le chaos actuel, plus de 12 500 personnes ont fait le choix de soutenir Vert avec un don mensuel, pour construire la relève médiatique à nos côtés. Grâce à ce soutien massif, nous allons pouvoir continuer notre travail dans l’indépendance absolue.

Alors que l’objectif de contenir le réchauffement à moins de 1,5°C est un échec, les scientifiques le martèlent : chaque dixième de degré supplémentaire compte. Dans le contexte médiatique que nous connaissons, chaque nouveau membre du Club compte. Chaque soutien en plus, c’est plus de force, de bonnes informations, de bonnes nouvelles et un pas de plus vers une société plus écologique et solidaire.

C’est pourquoi nous voulons désormais atteindre les 13 000 membres du Club. Ces membres supplémentaires nous permettront de nous consolider, alors que la période est plus incertaine que jamais, d’informer encore plus de monde, avec du contenu de meilleure qualité.

Rejoignez les milliers de membres du Club de Vert sans perdre une seconde et faisons la différence ensemble.