Entretien

Laurence Marandola, Confédération paysanne : «L’accord avec le Mercosur est un non-sens dans un contexte de dérèglement climatique»

Mercosur de rien. La Confédération paysanne manifeste partout en France en opposition à un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le marché commun de l'Amérique du Sud (Mercosur). Laurence Marandola, porte-parole du syndicat agricole, explique à Vert les risques environnementaux et sociaux que fait peser l’accord sur les paysannes et paysans.
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Avec la Coordination européenne Via Campesina, la Confédération paysanne a relancé la semaine dernière ses manifestations contre le traité de libre-échange en cours de négociations entre l’Union européenne et le Mercosur. Que reprochez-vous à cet accord ?

La mobilisation de la Confédération contre le traité avec le Mercosur a commencé il y a vingt ans. Nous combattons tous les accords de libre-échange, parce qu’ils mettent en concurrence les paysannes et les paysans du monde entier. Ils tirent les prix vers le bas, au détriment des revenus des agriculteurs et c’est un non-sens dans un contexte de dérèglement climatique.

Sur le traité avec le Mercosur, il y a une accélération du processus en ce moment, même si les négociations n’ont jamais cessées, et ce, en toute opacité. Vu l’échéance du G20 et celle du sommet du Mercosur qui se tiendra début décembre, nous avons voulu être davantage visibles sur ce sujet. Depuis une dizaine de jours, nous menons des actions partout en France.

Laurence Marandola. © Margot Desmons/Vert

La première, c’est «limousine contre vache limousine», bagnole contre bovin ! Nous sommes allés chez des concessionnaires en proposant de troquer des vaches ou des moutons contre des voitures pour montrer l’absurdité du traité. Puisque l’essence même de l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur, c’est que l’Europe puisse exporter avec des préférences tarifaires et douanières des produits industriels, des voitures, mais aussi beaucoup de chimie, des services… En retour, le Mercosur accède à des marchés européens pour ses produits agroalimentaires : de la viande bovine, de la volaille, du sucre, de l’éthanol, du miel etc.

Nous sommes aussi allés dans des ports, comme à Rouen (Seine-Maritime), pour montrer que c’est là que s’opèrent les exportations de certains de nos produits et l’importation massive, par exemple du soja, qui arrive déjà en Europe avec zéro droit de douane, et qui a poussé à l’industrialisation de l’élevage en Europe.

Quels seraient les impacts de ce traité en France ?

Un accord de libre-échange revient à dire qu’il faut être plus compétitif et gagner des parts de marché. Cela signifie produire seulement des denrées sur lesquelles nous avons des vrais avantages comparatifs et donc abandonner, c’est déjà le cas, des territoires ou des filières parce que nous n’avons plus d’avantage comparatif.

La filière de la production ovine, par exemple, a diminué de moitié depuis une vingtaine d’années, lorsque nous avons souscrits aux accords de libre-échange sur la viande de mouton avec la Nouvelle-Zélande. Ils ont amené des gigots qui coûtent la moitié de ceux que nous produisons en France. Les paysannes et paysans ovins disparaissent de nos campagnes, des femmes et des hommes ont fait faillite. C’est la conséquence de choix politiques et d’une logique commerciale ultra-libérale.

«On retrouvera dans nos assiettes et celles de nos enfants des produits phytosanitaires, des antibiotiques dans les volailles, des hormones de croissance…»

Les accords de libre-échange sont aussi un facteur d’accélération de destruction de l’environnement et d’abaissement des normes sanitaires et environnementales. Ils poussent à lever les contraintes qui existent sur l’usage des produits vétérinaires, des pesticides et des OGM.

L’immense majorité du maïs produit en Amérique du Sud pour nourrir les bêtes est OGM. L’Argentine, il faut le redire, c’est le premier pays au monde qui a légalisé pour l’alimentation humaine, du blé OGM. On retrouvera dans nos assiettes et celles de nos enfants des produits phytosanitaires, des antibiotiques dans les volailles, des hormones de croissance utilisées sur les bovins…

Et quelles seraient les conséquences du traité en Amérique du Sud, dans les pays concernés ?

Au Brésil, l’extension des cultures de soja et de l’élevage bovin se fait directement sur la forêt amazonienne. Ce n’est pas un scoop, on a une très grande part de responsabilité, nous, pays du Nord, à continuer à importer des produits qui détruisent la forêt. Nous faisons du commerce sur le dos des populations indigènes et des communautés paysannes qui ont des territoires en forêt. En Amérique du Sud, la Coordination latino-américaine des organisations paysannes et la Via Campesina européenne, dont la Confédération paysanne fait partie, ont signé un accord conjoint l’an dernier pour dénoncer cet accord.

Mardi prochain, un débat suivi d’un vote se tiendra à l’Assemblée nationale sur le traité avec le Mercosur. Qu’est-ce que la Confédération paysanne attend de la France pour empêcher cet accord ?

Nous, ce que l’on demande à la France depuis toujours, c’est une opposition ferme et définitive à ce traité. Ça n’a jamais été le cas. Nous avons eu les promesses du président l’hiver dernier, quand les paysans étaient déjà dans la rue. La présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, s’était aussi engagée à stopper les négociations – mais elles n’ont jamais cessées.

La position de la France, c’est d’être contre cet accord «en l’état». Cela veut dire qu’elle est prête à le signer un jour. Le tout est de savoir quand : quand l’opposition aura faibli ; quand, en Europe aussi, on aura ré-autorisé des pesticides – ou des OGM ; rabaissé le droit du travail, pour permettre des meilleures conditions de concurrence ? C’est scandaleux.

«Il y a une liquidation totale des paysannes et des paysans en France depuis une soixantaine d’années.»

La Confédération paysanne demande que les États membres, dont la France, fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour retirer le mandat de négociation à la Commission européenne. Ce mandat signifie que l’on confie à cette institution, non élue, une carte blanche pour négocier ce qu’elle veut à travers le monde dont l’accord UE-Mercosur.

Que le gouvernement propose un débat à l’Assemblée, ce n’est qu’une étape et elle ne sera pas suffisante pour arrêter le traité. Le ratifier contre l’opinion majoritaire risque d’entacher la crédibilité de ce qu’est l’Europe comme espace démocratique.

Comment faire du commerce international respectueux des paysans et paysannes ?

Le commerce doit respecter les principes de la souveraineté alimentaire. Ce concept a été dévoyé mais à l’origine, il a été posé par la Via Campesina, et a été adopté par l’ONU en 1996. C’est le droit des peuples et des États à choisir démocratiquement ce qu’ils veulent produire, ce qu’ils veulent manger, sans dumping [produire des prix artificiellement bas, NDLR] par rapport aux autres pays.

Pour cela, le commerce doit se baser sur des règles équitables qui permettent une juste rémunération des paysannes et paysans, et une alimentation de qualité accessible à tous. Les prix de nos produits doivent couvrir nos charges, notre rémunération et notre protection sociale. Cela s’obtient grâce à la régulation des marchés, aux protections douanières, aux stocks publics pour éviter la spéculation. Bref, en ne laissant pas rentrer des produits très en dessous de ce que l’on produit. Il faut rétablir des mécanismes de régulation.

Est-ce que pour la Confédération paysanne, cette mobilisation contre le Mercosur est aussi l’occasion de remettre sur la table des revendications portées lors des mobilisations à l’hiver dernier ?

Oui complètement. Il y a une liquidation totale des paysannes et des paysans en France depuis une soixantaine d’années. Nous étions encore un million de paysans au début des années 1990. Un million. Aujourd’hui, nous sommes moins de 400 000. Et tout le monde table sur le fait que nous serons 250 000 dans quinze ans. Or, la cause profonde, c’est celle du manque de revenus et de politiques publiques.

«C’est la course à l’échalote entre la FNSEA et les Jeunes agriculteurs d’un côté, et la Coordination rurale de l’autre.»

Lhiver dernier, nous demandions des prix minimum garantis. Emmanuel Macron a promis des prix planchers. La mesure, visiblement, a été enterrée. Cette proposition-là, la Confédération continuera à la porter, parce que 20% des agriculteurs et agricultrices vivent sous le seuil de pauvreté.

Comment avez-vous accueilli les récentes mobilisations de la Fédération nationale des syndicats agricoles (FNSEA) et des Jeunes agriculteurs (JA) contre le traité avec le Mercosur ?

Il n’y a historiquement pas de dialogue entre les syndicats. S’il semble que tout le monde pour le moment soit un peu contre l’accord avec le Mercosur, la FNSEA le dit clairement sur les plateaux : ils sont contre «en l’état», mais sont d’accord avec les accords de libre-échange qui permettent d’exporter. Leurs revendications profondes consistent entre autres à ré-autoriser des pesticides et empêcher l’Office français de la biodiversité (OFB) de faire son travail. Alors que sur le terrain, la préoccupation principale des agriculteurs, quelle que soit leur appartenance syndicale, c’est d’abord de vivre de leur métier.

Les élections professionnelles en janvier prochain ont-elles attisées la mobilisation, avec l’enjeu, pour les syndicats, de convaincre les agriculteurs et agricultrices de voter pour eux aux différentes chambres d’agriculture ?

C’est la course à l’échalote entre la FNSEA et les JA d’un côté, et la Coordination rurale (CR) de l’autre. Nous, nous ne jouons volontairement pas dans la même cour de mobilisation. Dans le système de représentation des syndicats aux chambres d’agriculture, il n’y a pas de proportionnelle, il y a une prime majoritaire de 50% pour le premier arrivé. Ce système favorise la FNSEA : alors qu’ils ont obtenu 55% des voix en s’alliant aux JA aux dernières élections, ils sont à la tête de 95% des chambres d’agriculture. La CR avait fait 21% et la Confédération 20%. La Confédération paysanne, avec les syndicats minoritaires, se bat pour une proportionnelle intégrale.

Aujourd’hui, il se pourrait que la FNSEA passe sous la barre des 50%, qui lui assure la tête des chambres d’agriculture en janvier prochain. Ce serait quand même une forme de séisme pour un syndicat hégémonique, où tout est fait pour lui. Nous verrons bien ce qui se passera aux élections. Les résultats sont début février. Quel syndicat montera ? Je pense que nous sommes encore loin de le savoir.