Analyse

La transition de l’agriculture passera forcément par une réduction des élevages, un sujet « tabou »

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Ali­menter le débat. Afin d’accompagner au mieux les éleveurs dans la tran­si­tion, l’Etat doit réori­en­ter les investisse­ments publics et pouss­er les Français·es à con­som­mer moins de viande, selon deux études de l’Institut de l’économie pour le cli­mat (I4CE).

En 2020, l’élevage représen­tait 69 % des émis­sions de gaz à effet de serre de l’agriculture française, elle-même le deux­ième secteur le plus pol­lu­ant (19% du total en 2021). Pour attein­dre la neu­tral­ité car­bone en 2050 — ne plus émet­tre davan­tage de CO2 que ce que la végé­ta­tion et la tech­nolo­gie ne sont capa­bles d’absorber -, le bilan car­bone du secteur doit être qua­si­ment divisé par deux par rap­port à 2015. Si d’aucun·es seraient tenté·es de tout miser sur la tech­nique, «tous les scé­nar­ios de tran­si­tion mis­ent sur la baisse du chep­tel des ani­maux d’élevage pour attein­dre les objec­tifs cli­ma­tiques», tranchent les chercheur·ses de l’Institut de l’économie pour le cli­mat (I4CE) dans leur rap­port : «Tran­si­tion de l’élevage : gér­er les investisse­ments passés et repenser ceux à venir». Hélas, «le poten­tiel cumulé des leviers tech­niques per­me­t­tant d’améliorer l’efficacité des exploita­tions ne [per­met] pas à lui seul d’atteindre l’objectif glob­al de réduc­tion d’émission».

L’élevage bovin est, de très loin, la pre­mière source d’émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture, notam­ment en rai­son des rejets de méthane issus de la rumi­na­tion. © Haut-Con­seil pour le cli­mat.

Certes, la taille des chep­tels dimin­ue déjà en France depuis plusieurs années, notam­ment celui des vach­es laitières (-17 % entre 2000 et 2020). En par­al­lèle, les exploita­tions ont aug­men­té leurs ren­de­ments, chaque ani­mal pro­duisant plus. «On a cepen­dant atteint les lim­ites physiques du vivant. À l’avenir, la réduc­tion des chep­tels va néces­saire­ment se traduire par une réduc­tion des vol­umes pro­duits», explique à Vert Lucile Rogis­sard, co-autrice de l’étude. Pour autant, le sujet est encore «tabou et non assumé» au niveau des poli­tiques publiques, juge la chercheuse à l’I4CE Clau­dine Foucherot, «ce qui empêche que cette baisse du chep­tel soit plan­i­fiée et accom­pa­g­née».

Pour que cette tran­si­tion soit juste, les auteur·rices esti­ment que les aides publiques des­tinées aux exploita­tions d’élevage – un mil­liard d’euros annuels – doivent être ques­tion­nées. Au-delà du cli­mat, con­tin­uer de soutenir aveuglé­ment la fil­ière d’élevage des rumi­nants risque de con­duire à des drames humains. Cer­tains out­ils de pro­duc­tion d’élevage, du fait de leur future dis­pari­tion, vont per­dre de la valeur au fil du temps. Les bâti­ments notam­ment, très spé­cial­isés pour ce type de pro­duc­tion, risquent à terme d’être dif­fi­ciles à reven­dre. Incité·s à inve­stir toute leur vie sur leur ferme au lieu de se vers­er des revenus, les agriculteur·rices comptent beau­coup sur la revente de leur exploita­tion pour s’assurer une retraite décente.

Mais la baisse du chep­tel ne pour­ra se faire sans une réduc­tion de la con­som­ma­tion de viande, souligne un sec­ond rap­port de l’I4CE. La Stratégie nationale bas-car­bone (SNBC), feuille de route cli­ma­tique de la France, recom­mande une baisse de l’ordre de 20 % entre 2015 et 2050. Par­mi les qua­tre scé­nar­ios vers la neu­tral­ité car­bone étab­lis par l’Agence de la tran­si­tion écologique (Ademe), le plus ambitieux compte sur une réduc­tion de 70 % sur la même péri­ode. En France, la con­som­ma­tion totale ne cesse d’augmenter, notam­ment en rai­son de la crois­sance démo­graphique : elle est passée de 3,8 à 5,8 mil­lions de tonnes équiv­a­lent car­casse entre 1970 et 2021. La con­som­ma­tion indi­vidu­elle a bien bais­sé entre 1990 et 2013, mais elle stagne depuis lors, voire, repart à la hausse.

Résul­tat : même si les chep­tels bais­sent, on importe de la viande, ce qui revient au même pour le cli­mat. Pour infléchir ce mou­ve­ment, l’Institut enjoint les pou­voirs publics à être plus offen­sifs sur le sujet. Les auteur·rices sug­gèrent de con­train­dre la grande dis­tri­b­u­tion à chang­er son offre ali­men­taire, trans­former les représen­ta­tions sociales issues de la pub­lic­ité ou encore, mod­i­fi­er la fis­cal­ité via notam­ment une réforme de la TVA sur les pro­duits ali­men­taires.