Décryptage

Manger moins de viande et de sucre renforcerait la résilience alimentaire de l’Europe face à la guerre en Ukraine

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Du blé à se faire. Alors que le « gre­nier » de l’Union européenne (UE) est sous le feu russe, le change­ment de nos régimes ali­men­taires pour­rait réduire notre dépen­dance aux impor­ta­tions en prove­nance de ces deux pays et con­tenir l’envolée mon­di­ale des prix.

Déjà mis à mal par la pandémie de Covid et les sécher­ess­es à répéti­tion, le sys­tème ali­men­taire européen a subi un véri­ta­ble choc avec l’invasion russe en Ukraine en févri­er dernier. Deux pays qui four­nis­saient de vastes quan­tités de den­rées — blé, maïs, orge, colza, graines de tour­nesol -, d’engrais azotés (dont la Russie est, de loin, le pre­mier expor­ta­teur — FAO) et d’énergie. De quoi faire s’envoler les prix agri­coles à l’échelle mon­di­ale.

Dans la région de Zapor­i­jjia (Ukraine), un sol­dat russe par­ticipe à la destruc­tion d’un champ de blé pour empêch­er la récolte, en juil­let 2022. © Dmytro Smolyenko/NurPhoto via AFP

En mars 2022, l’UE a annon­cé un plan de 500 mil­lions d’euros pour soutenir les agriculteur·rices les plus touché·es par cette envolée. Dans une let­tre ouverte, plus de 300 sci­en­tifiques avaient alors réclamé un change­ment de poli­tique agri­cole : « la sécu­rité ali­men­taire européenne n’est pas men­acée par la crise ukraini­enne [mais] par une crise anci­enne due à de mau­vais régimes ali­men­taires, avec une con­som­ma­tion de céréales raf­finées et de pro­duits ani­maux bien supérieure aux recom­man­da­tions des guides nutri­tion­nels nationaux ».

Les auteur·rices d’une étude parue lun­di dans Nature food ont déter­miné que l’adoption général­isée d’un régime ali­men­taire sain dans l’Union européenne et au Roy­aume-Uni per­me­t­trait de réduire la dépen­dance et d’augmenter la résilience ali­men­taire du con­ti­nent. Elles et ils ont pris pour référence le « régime pour une san­té plané­taire » pro­mu par la com­mis­sion EAT/Lancet, du nom de la célèbre revue sci­en­tifique. Celui-ci fait la part belle aux légumes, aux céréales com­plètes, aux huiles et pro­téines végé­tales et laisse peu de place aux pro­duits ani­maux.

Illus­tra­tion du régime EAT/Lancet pour une san­té plané­taire. © EAT

Manger moins sucré per­me­t­trait de cou­vrir l’équivalent de l’ensemble des impor­ta­tions en bet­ter­aves à sucre d’Ukraine et de Russie. Réduire la viande dimin­uerait con­sid­érable­ment (à hau­teur de 20 mil­lions de tonnes) les besoins en blé, alors que cette céréale est large­ment util­isée pour nour­rir le bétail, notam­ment à des­ti­na­tion de l’export. En out­re, cette baisse de la demande entraîn­erait celle des prix au niveau mon­di­al et prof­it­erait au reste de l’humanité.

La réduc­tion de l’élevage con­forme à ce régime ali­men­taire per­me­t­trait de récupér­er 70 mil­lions d’hectares de ter­res (presque autant que la sur­face de la France) ; si toutes ces ter­res étaient ren­dues à la nature, elles pour­raient stock­er à long terme près de 40 mil­liards de tonnes de CO2 — soit ce que l’humanité émet aujourd’hui en une année. La con­som­ma­tion de viande est l’un des prin­ci­paux moteurs de la crise cli­ma­tique (Vert).

Cess­er de nour­rir le bétail d’aliments directe­ment comestibles par l’humain per­me­t­trait de sus­ten­ter un mil­liard de per­son­nes sup­plé­men­taires, avait révélé une récente étude (en anglais) de Nature Food. Un autre rap­port de l’ONG Feed­back EU pointait que l’Union européenne gaspillait env­i­ron 153,5 mil­lions de tonnes de nour­ri­t­ure par an. Soit plus que les 138 mil­lions de tonnes de pro­duits agri­coles qu’elle importe.

« Aujourd’hui, la pro­duc­tion ali­men­taire mon­di­ale est plus que suff­isante pour nour­rir une pop­u­la­tion encore plus impor­tante, écrivaient encore les auteur·rices de la let­tre ouverte. Cepen­dant, les céréales sont don­nées aux ani­maux, util­isées comme bio­car­bu­rants ou jetées, plutôt que don­nées à ceux qui ont de faibles moyens financiers ».