Désordres de grandeur

La faim fait son retour, dans le gaspillage le plus complet

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Enfant de la dalle. Une per­son­ne meurt de faim toutes les qua­tre sec­on­des sur Terre. C’est le mes­sage d’alerte qu’ont lancé 238 ONG ce mar­di à l’entame de l’Assemblée générale de l’Organisation des nations unies, à New York.

Les sig­nataires de la tri­bune déplorent une « explo­sion » du phénomène, dénom­brant « 345 mil­lions de per­son­nes dans le monde [qui] souf­frent de faim aiguë, un nom­bre qui a plus que dou­blé depuis 2019 ». Pour l’association de sol­i­dar­ité Care, inter­rogée par Vert, la crise ali­men­taire mon­di­ale « prend des pro­por­tions alar­mantes » et résulte d’« un mélange mor­tel de pau­vreté, d’injustices sociales, d’inégalité entre les sex­es, de con­flits, des impacts du change­ment cli­ma­tique, de chocs économiques, des impacts per­sis­tants de la pandémie de la Covid-19 et de la crise en Ukraine qui fait encore grimper les prix des ali­ments et le coût de la vie ». En temps nor­mal, le pays pour­voit à 40 % des besoins d’aide d’ur­gence du pro­gramme ali­men­taire mon­di­al, rap­pel­lent les Echos.

La guerre en Ukraine « a apporté le coup de grâce à une sit­u­a­tion qui était déjà très com­pliquée, essen­tielle­ment à cause de la pandémie de Covid, à quoi il faut ajouter des con­flits locaux et la fréquence et l’intensité des événe­ments cli­ma­tiques extrêmes, dit Guil­laume Com­pain, chargé de plaidoy­er cli­mat et énergie chez Oxfam France. La Soma­lie est par exem­ple touchée par une sécher­esse très longue qui engen­dre un début de famine ».

Des jeunes filles font la queue pour récupér­er du por­ridge pen­dant la sécher­esse de 2017 en Soma­lie. © Amison/Alamy

Face à cette sit­u­a­tion cri­tique, les États-Unis, l’U­nion européenne (UE), l’U­nion africaine, la Colom­bie, le Nige­ria et l’In­donésie — ont appelé mar­di, dans une déc­la­ra­tion com­mune à New York, à redou­bler d’ef­forts pour lut­ter con­tre l’in­sécu­rité ali­men­taire et ont promis d’augmenter leur aide aux organ­ismes human­i­taires. Mer­cre­di, le prési­dent Joe Biden a annon­cé une nou­velle enveloppe de 2,9 mil­liards de dol­lars.

Ces retours apportés en marge du som­met diplo­ma­tique sont « les bien­venus. Les États-Unis com­men­cent à met­tre pas mal de ressources sur la table », remar­que Guil­laume Com­pain, « mais glob­ale­ment les répons­es ne sont pas à la hau­teur. Les aides human­i­taires sont sous-financées de manière chronique. Lors de la COP15 en 2009, les États se sont enten­dus pour attein­dre 100 mil­liards annuels de finance­ments cli­mat vers les pays les plus pau­vres en 2020. On n’a tou­jours pas atteint ce mon­tant et plus de 70 % de ces finance­ments sont alloués sous forme de prêts, avec des intérêts à rem­bours­er », déplore-t-il. Dans un rap­port pub­lié la semaine dernière, Oxfam estime que le nom­bre de per­son­nes souf­frant grave­ment de la faim dans les dix pays les plus vul­nérables au change­ment cli­ma­tique est passé de 21 à 48 mil­lions entre 2016 et aujourd’hui. His­torique­ment, ces dix pays ne sont respon­s­ables que de 0,13 % des émis­sions cumulées de CO2, pré­cise Oxfam, qui réclame que les poids lourds des céréales et les entre­pris­es du secteur des éner­gies fos­siles soient mis à con­tri­bu­tion.

L’Union européenne gaspille environ 154 million de tonnes de nourriture chaque année

Les réac­tions de plusieurs pays, dont la France, pour­raient même aller dans le mau­vais sens et se con­tenter d’une vision à court terme. « La France a lancé une ini­tia­tive pour la sécu­rité ali­men­taire des pays vul­nérables, esti­mant qu’il faut aider ces pays à faire face au prix des engrais, qui sont très liés au prix du gaz. Mais on n’imagine pas une relance agri­cole en dehors du mod­èle agro-indus­triel alors que la société civile et la plu­part des organ­i­sa­tions paysannes, réclam­eraient de faire de l’agroécologie une pri­or­ité », décrypte auprès de Vert Marie Cos­quer, ana­lyste plaidoy­er sys­tèmes ali­men­taires et crise cli­ma­tique au sein de l’ONG Action con­tre la faim. Par ailleurs, « la gou­ver­nance du sys­tème ali­men­taire est très iné­gal­i­taire et ne per­met pas à cha­cun de béné­fici­er du droit à l’alimentation », ajoute-t-elle, expli­quant par exem­ple que la guerre en Ukraine a sus­cité « une très forte spécu­la­tion sur les den­rées ali­men­taires de base ».

« En réal­ité, aujourd’hui, on a déjà de quoi nour­rir la planète. Mais il y a une déperdi­tion très forte sur toute la chaine de la pro­duc­tion ali­men­taire. Il ne s’agit pas juste du con­som­ma­teur, mais des cul­tures, des trans­ports, des trans­for­ma­teurs, de la con­ser­va­tion, etc. », com­plète Guil­laume Com­pain. Autres sources de la gabe­gie : les cul­tures des­tinées aux agro-car­bu­rants ou à l’alimentation ani­male. Cess­er de nour­rir le bétail d’aliments directe­ment comestibles par l’humain per­me­t­trait de nour­rir un mil­liard de per­son­nes sup­plé­men­taires, a révélé une étude (en anglais), pub­liée lun­di dans la revue Nature Food. L’offre ali­men­taire mon­di­ale croitrait ain­si de 13 % en ter­mes de calo­ries et de 15 % en ter­mes de pro­téines. Tou­jours cette semaine, un rap­port de l’organisation envi­ron­nemen­tale Feed­back EU pointait que l’Union européenne gaspille env­i­ron 154 mil­lions de tonnes de nour­ri­t­ure par an. Soit plus que les 138 mil­lions de tonnes de pro­duits agri­coles qu’elle importe. La quan­tité de blé gaspillée représente la moitié des expor­ta­tions de blé de l’Ukraine et un quart des expor­ta­tions d’autres céréales. D’après la même source, ce gaspillage mas­sif est à l’origine d’au moins 6 % des émis­sions de gaz à effet de serre de l’UE.