Décryptage

Accord UE-Mercosur bientôt scellé ? Tout ce qu’il faut savoir sur ce traité de libre-échange décrié

L'accord au cou. L’Assemblée nationale a adopté ce jeudi une résolution contre l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et cinq États d’Amérique du Sud (Mercosur). De son côté, la Commission européenne vient d’entamer le processus de ratification. Vert brosse le portrait de ce projet hautement inflammable, dans les cartons depuis 25 ans.
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Ce qu’il faut retenir :

→ L’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays sud-américains du Mercosur vise à maximiser les échanges entre ces deux zones en supprimant l’essentiel des barrières douanières.

→ L’arrivée de denrées agricoles peu chères risque de déstabiliser le marché européen, menaçant notamment la survie de l’activité d’éleveur·ses de bovins.

Pesticides, OGM… Des substances autorisées en Amérique du Sud mais proscrites en Europe pourraient se retrouver dans nos assiettes.

→ Grâce à une astuce procédurale permettant de contourner l’opposition d’un État membre ou de son Parlement, la Commission européenne espère ratifier l’accord dans les prochains mois.

Alors qu’il prend la main, ce jeudi, sur l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, le groupe de député·es La France insoumise (LFI) a obtenu le vote, à la quasi-unanimité de l’hémicycle, d’une résolution «invitant le gouvernement de la République française à s’opposer à l’adoption de l’accord» entre l’UE et le Mercosur. Un message d’opposition on ne peut plus clair alors que l’Union européenne espère sa ratification dans les prochains mois.

L’accord UE-Mercosur, kesako ?

Le projet d’accord UE-Mercosur vise à rapprocher l’Union européenne (UE) et le Mercosur, cette puissante zone de libre-échange sud-américaine constituée du Brésil, de l’Argentine, de l’Uruguay, du Paraguay et de la Bolivie.

Si le projet a pour objectif une meilleure coopération globale – en matière de terrorisme, d’éducation ou de droits – c’est le volet commercial de l’accord qui fait couler le plus d’encre, car il se donne pour objectif d’intensifier les flux économiques entre ces deux énormes marchés (700 millions de consommateur·ices en tout) en abolissant un maximum de freins aux échanges.

Concrètement, il est prévu que le Mercosur supprime ses taxes à l’importation sur 91% des biens en provenance d’Europe, alors qu’elles atteignent aujourd’hui jusqu’à 35% sur les produits les plus importés que sont les véhicules, la machinerie et les produits chimiques et pharmaceutiques. En retour, l’Union européenne exempterait de taxes douanières 92% des produits qu’elle importe du Mercosur, essentiellement des produits agricoles, mais aussi des produits minéraux (lithium, cuivre, etc.) et de la pâte à papier.

Entamées en 1999, les négociations ont connu plusieurs soubresauts. Par exemple, la Commission européenne a jugé préférable de ne pas toper avec Jair Bolsonaro, l’ex-président brésilien d’extrême droite, alors qu’un accord avait été trouvé en juin 2019. Le 6 décembre 2024, elle a finalement annoncé la fin des négociations, sans que les États membres de l’UE y aient jamais participé. Sur les sujets commerciaux, la Commission européenne dispose en effet d’une compétence exclusive et négocie seule au nom des pays européens. Le 3 septembre dernier, elle a adopté le projet d’accord, enclenchant ainsi le processus de ratification du texte (voir plus bas).

À qui profite le deal ?

De chaque côté de l’Atlantique, des filières peuvent se frotter les mains à l’idée de voir s’ouvrir de nouveaux marchés. Côté européen, les industries automobiles, chimiques et pharmaceutiques peuvent espérer des gains commerciaux importants. Les grandes entreprises de l’eau, de l’énergie et des travaux publics devraient également bénéficier de l’ouverture des marchés publics du Mercosur.

Côté Mercosur, qui est avant tout un géant agricole, les assiettes de 450 millions de consommateur·ices représentent un formidable débouché pour des productions phares telles que la viande bovine, la volaille ou le sucre. L’accord prévoit par exemple l’exportation annuelle de 160 000 tonnes de viande bovine, 180 000 tonnes de volaille ou 45 000 tonnes de produits laitiers à destination de l’Europe, taxées à des taux nuls ou minimaux.

Mais en mettant en concurrence frontale certaines filières, l’accord fera aussi des perdants, à commencer par les agriculteur·ices européen·nes. «Le principe, c’est l’éviction par les prix de ceux qui seront les moins compétitifs», explique à Vert Maxime Combes, économiste et spécialiste des politiques commerciales et financières internationales. D’après les données du réseau Agri Benchmark, les coûts de production de viande bovine dans la zone du Mercosur sont inférieurs en moyenne de 40% à ceux constatés en Europe – et même de près de 60% pour le Brésil.

Une manifestation d’agriculteur·ices à Bruxelles (Belgique), dans le quartier de la Commission européenne, en février 2024. © Christophe Licoppe/Wikimedia commons

«Les latifundias sud-américaines sont des giga-fermes qui exploitent du foncier et de la main-d’œuvre à très bas coût», précise Thomas Gibert, maraîcher et porte-parole du syndicat agricole Confédération paysanne. «Il nous est impossible d’être concurrentiels, sauf à tirer les normes sociales et environnementales toujours plus bas, déplore-t-il. Et même si les quantités importées paraissent faibles – quelques pourcents de la production européenne –, cela suffit à tirer tous les prix vers le bas.»

La Commission européenne, bien consciente du sacrifice imposé à ses agriculteur·ices, a promis la création d’un fonds d’un milliard d’euros par an pour indemniser les plus touché·es, sans plus de détails.

Activateur de croissance, pesticides interdits, OGM… bientôt dans nos assiettes ?

Pour arriver à mettre sur le marché des produits pas chers, les agriculteur·ices sud-américain·es peuvent encore compter sur des secrets de fabrication depuis longtemps proscrits en Europe, tels que l’utilisation de farines animales, de soja OGM (génétiquement modifié) ou l’emploi d’hormones et d’antibiotiques comme activateurs de croissance dans l’élevage bovin.

Les productions végétales ne sont pas en reste : «Environ 30% des pesticides autorisés au Brésil sont interdits dans l’UE, l’épandage aérien y est toujours autorisé», illustre Clément Hélary, chargé de campagne Forêt chez Greenpeace. Il s’indigne face à la dimension «quasi-coloniale à interdire des produits dangereux chez nous mais accepter qu’ils soient employés là-bas, pour des produits qui finiront dans nos assiettes».

Sur son site internet, la Commission européenne est catégorique : «Toutes les conditions sanitaires en vigueur au sein de l’Union européenne restent en place avec l’accord UE-Mercosur : par exemple, les OGM interdits dans l’Union européenne ne peuvent pas être importés [et] il est interdit d’importer des viandes dont la croissance a été stimulée par des hormones.»

Problème, il est en réalité impossible de s’en assurer, faute de traçabilité. En novembre 2024, un audit de la Commission européenne a ainsi fait grand bruit, révélant l’incapacité du Brésil à prouver que la viande qu’il exporte en Europe ne contient pas une hormone hautement cancérigène, l’œstradiol 17-bêta.

Enfin, si l’accord entre en vigueur, l’aloyau du dimanche aura aussi un petit goût de désastre environnemental. En effet, la production de viande (dont la culture de soja destiné à l’alimentation du bétail) est le principal responsable de la déforestation en Amérique latine. Et un rapport commandé par le gouvernement français à l’économiste Stefan Ambec a attesté que l’accroissement de la production en lien avec l’accord entraînera «une accélération de la déforestation annuelle de l’ordre de 5%», au moins pendant les six premières années.

Adopté ? Ratifié ? En vigueur ? Où en est l’accord ?

Le 6 décembre 2024, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé avoir conclu l’accord avec le Mercosur, 25 ans après le début des négociations. Mais l’histoire ne s’arrête pas là car, pour entrer en vigueur, celui-ci doit encore être validé à l’unanimité par les États membres au Conseil européen, puis voté par le Parlement européen et ratifié par les Parlements nationaux. Pas simple, alors que l’accord est vivement contesté par certains pays d’Europe (voir plus bas).

Or, grâce à une astuce procédurale appelée le splitting (morcellement, en français), le volet commercial a été scindé du reste de l’accord pour être adopté plus facilement. Contrairement à l’accord global, cet «accord commercial intérimaire» (qui n’a toutefois pas de date de fin) n’aura besoin que d’une majorité qualifiée au Conseil européen (15 États représentant au moins 65% de la population européenne) et d’un vote au Parlement pour s’appliquer.

En plus de contourner les Parlements nationaux, la Commission européenne veut désormais aller vite : elle se donne jusqu’au 20 décembre pour obtenir l’accord des États au Conseil européen et vise une soumission au Parlement européen quelques mois plus tard.

Qui pour empêcher l’accord ?

Malgré ça, l’adoption de l’accord n’est pas garantie, veulent croire ses détracteur·ices. «Au Parlement européen, le sujet divise énormément les groupes politiques, et le vote pour ou contre n’est pas garanti», explique encore Maxime Combes. Du côté des États membres, la France est censée être à la tête de l’opposition, mais les déclarations d’Emmanuel Macron sèment le doute. Mi-octobre, il se déclarait «plutôt positif» sur l’obtention de «clauses de sauvegarde» : des annexes consacrées au développement durable, «alors que le contenu même de l’accord n’a pas été modifié», déplore Maxime Combes. Mi-novembre, le même Emmanuel Macron déclarait que le traité, «tel qu’il existe aujourd’hui, recueillera un non très ferme de la France».

Dans une lettre ouverte envoyée fin octobre, une quarantaine d’associations françaises (dont la CGT, Foodwatch ou la Ligue des droits de l’Homme) ont réclamé une clarification de la position défendue par Paris. «La France peut encore constituer une minorité de blocage au Conseil européen aux côtés d’autres pays qui y sont opposés, tels que la Pologne, les Pays-Bas, l’Autriche, la Roumanie ou l’Irlande. Mais, pour ça, il faut qu’elle active toute sa diplomatie», juge Maxime Combes.

Et les citoyen·nes ?

Pour donner de l’écho à leurs revendications, ces mêmes associations invitent les internautes à interpeller directement Emmanuel Macron, ses ministres et les eurodéputé·es français·e. Pour cela, elles ont mis en place un outil électronique permettant de leur envoyer un mail en quelques clics.

Parallèlement, des actions et manifestations ont eu lieu pendant un mois dans plusieurs capitales européennes pour protester contre la ratification de l’accord. Ce «Toxic tour» débuté le 26 octobre en Autriche s’est terminé le 24 novembre à Bruxelles, date d’un Conseil européen dédié au commerce.

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