Décryptage

Moissons précoces, plantes brûlées, bétail en stress… la canicule bouleverse aussi l’agriculture

Moissonner l’alarme. La vague de chaleur qui touche la quasi-totalité de la France hexagonale depuis le 19 juin n’est pas sans effet sur les exploitations agricoles. Un nouveau coup dur pour le monde paysan, chamboulé depuis plusieurs années par le dérèglement climatique.
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Pays de la Loire, Île-de-France, Grand Est… partout dans les grandes plaines céréalières de France, les moissonneuses-batteuses sont déjà de sortie pour couper le blé ou l’orge d’hiver. Du «jamais vu», de l’avis de plusieurs agriculteur·ices, qui récoltent leurs productions avec plusieurs jours – voire semaines – d’avance.

La canicule menace notamment les cultures de maïs et de tournesol. © François Goglins/Wikimedia

«On bat des records de précocité, confirme à Vert l’agroclimatologue Serge Zaka. Les cycles de développement des végétaux se décalent avec le changement climatique.» L’ensemble de la France hexagonale est frappé depuis le 19 juin par une vague de chaleur précoce et intense, rendue plus probable par le réchauffement de la planète. Ces températures anormalement élevées ont accéléré le développement des céréales, qui doivent être jaunies pour être récoltées.

Menaces sur les fruits, fleurs et céréales

«Depuis le 1er avril, on observe des températures extrêmement élevées, avec un très fort écart par rapport aux valeurs des 30 dernières années, complète Iñaki García de Cortázar-Atauri, directeur de l’unité AgroClim de l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), qui gère 54 stations de suivi agroclimatique en France. Cela montrait déjà qu’on allait avoir des floraisons très précoces pour les cultures de printemps et des récoltes très précoces pour les céréales d’hiver [blé, colza, orge d’hiver, NDLR]».

Si les céréales plantées en fin d’année dernière profitent de ces températures extrêmes, l’inquiétude plane sur celles qui ont été semées au printemps. Selon Serge Zaka, des pertes de rendement sont à prévoir pour l’orge de printemps à cause d’un phénomène d’échaudage : «À cette période, la céréale a besoin d’un temps clément pour que le grain gonfle mais, avec les fortes chaleurs, ce remplissage est ralenti, voire stoppé.»

Avec 46,0°C en Espagne (record), 46,4°C au Maroc, 46,6°C au Portugal (record) et 41,7°C en France, les conséquences agricoles pourraient être importantes. Tour d’horizon dans ce thread grâce à l’outil de détection précoce des pertes agricoles : agrometeorologie.fr. [1/8]

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— Dr. Serge Zaka (@sergezaka.bsky.social) 30 juin 2025 à 14:00

La canicule menace aussi d’autres céréales plus tardives, comme le maïs ou le tournesol, qui entrent en période de floraison : «Au-delà de 39 degrés, on peut avoir des problématiques d’avortement floral [quand la fleur tombe sans produire de fruit, NDLR], avec moins de grains, et donc moins de rendements», s’inquiète Serge Zaka.

Ces problèmes de floraison peuvent aussi concerner les légumes du moment : tomates, courgettes, aubergines, poivrons… Si les fruits mûrissent plus vite avec la chaleur, le dépassement de certains seuils de température peut conduire à des brûlures végétales, qui affaiblissent la plante. «Elles peuvent aussi impacter la qualité visuelle du fruit, qui sera plus difficilement vendu par l’agriculteur», ajoute Iñaki García de Cortázar-Atauri.

Une sécheresse des sols qui se généralise

En favorisant l’évaporation, la chaleur réduit la ressource en eau dans la terre. Alors que la région Hauts-de-France a connu le trimestre février-mars-avril le plus sec observé par Météo-France depuis 1959, cette sécheresse des sols se généralise à l’ensemble du territoire hexagonal. Le 26 juin, le département du Nord a été placé en vigilance renforcée, avec de premières mesures de restriction sur l’irrigation des parcelles agricoles le week-end.

Les effets combinés des fortes chaleurs et de la sécheresse peuvent affecter la croissance des plantes, explique Iñaki García de Cortázar-Atauri : «Dans les endroits en déficit d’eau, les plantes sont au ralenti et, avec les températures qu’on a atteintes ces derniers jours, elles peuvent s’arrêter de fonctionner.» Mais il est trop tôt pour faire un diagnostic global selon l’agroclimatologue, qui souligne que dans certaines régions les végétaux peuvent être résilients et rattraper leur retard par la suite si les conditions sont favorables.

Si elle se poursuit, la sécheresse peut jouer sur les quantités d’herbe disponibles pour le bétail dans certains territoires. La canicule renforce également le stress thermique et le mal-être des animaux : «Sans protection adéquate pour limiter le risque, les pertes peuvent atteindre -20% de ponte et -25% de lait», décrypte Serge Zaka.

«Il y a un besoin urgent de réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour stabiliser les conditions climatiques»

Pertes de rendements, fruits abimés… ces conséquences des aléas extrêmes provoqués par le changement climatique restent encore difficiles à estimer en ce début d’été, et peuvent varier selon les cultures et les territoires. Dans certaines régions, les gros orages de grêle de la semaine dernière ont aussi mené à de lourdes pertes dans plusieurs exploitations.

Plus que les prix des produits, ces phénomènes impactent directement les revenus d’agriculteur·ices déjà en grande difficulté : «La canicule touche beaucoup les maraîchers, qui ont les rémunérations les plus faibles», illustre Serge Zaka. D’autant que les travailleur·ses du monde paysan subissent eux-mêmes directement les fortes chaleurs de ces derniers jours, dans les champs ou sous leurs serres.

Après plusieurs années de sécheresse, puis un début d’été 2024 très pluvieux qui avait notamment conduit à des récoltes de blé historiquement basses, le monde agricole affronte un avenir de plus en plus incertain. Pour Iñaki García de Cortázar-Atauri, «il y un besoin urgent de réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour stabiliser les conditions climatiques, tout en s’adaptant à ces aléas qui vont augmenter inéluctablement jusqu’à 2050 au moins.»

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