Reportage

«C’est une lente agonie» : 8 000 oiseaux «crèvent» du botulisme dans les marais de Loire-Atlantique

Ça fait pas marais. Dans le parc régional de Brière (Loire-Atlantique), des milliers d’oiseaux de toutes espèces meurent du botulisme, une maladie qui les paralyse jusqu’à la mort. Des chasseurs s’organisent pour ramasser les cadavres et contenir la bactérie.
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C’est une scène douloureuse à regarder. «Normalement, en nous voyant arriver, cet oiseau s’envole, lâche, écœuré, Isaïe Moyon Ballester, 22 ans, agent de la Fédération des chasseurs de Loire-Atlantique. Là, elle en est incapable. Ses ailes ne répondent plus.» Elle, c’est une aigrette garzette, 85 centimètres de haut, des plumes d’un blanc sublime, qui s’enfuit en courant à travers le roseau du marais de Brière en voyant arriver notre barque – un «chaland» dans le jargon.

L’aigrette se cache dans un trou, transie, mais le chasseur réussit à l’attraper avec un râteau. Elle manque de lui crever un œil, il la pose dans un sceau. «Elle ne va sans doute pas survivre», estime le technicien cynégétique. Quelques heures plus tard, la petite aigrette, les yeux stressés et le corps figé, meurt du botulisme.

Une aigrette garzette atteinte de botulisme capturée dans le marais de Brière. © Simon Cheneau/Vert

À quelques kilomètres de Guérande et de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), le parc naturel régional de Brière est une zone humide, encastrée entre la Loire et la Vilaine, un paradis pour les oiseaux. À chaque virage en bateau, des cigognes, des hérons cendrés, des spatules, des goélands s’envolent au-dessus des 140 kilomètres de canaux du marais. Mais, depuis juin dernier, 3 357 oiseaux y sont morts du botulisme, selon le comptage des chasseurs, daté du 11 août.

Le même phénomène touche plus encore le lac de Grand-Lieu, le plus grand lac naturel de plaine de France, au sud de la Loire-Atlantique, où plus de 4 400 sont morts, pour un total de 8 000 décès répertoriés sur tout le département. Depuis deux mois, les chasseurs passent leurs journées à ramasser les cadavres d’oiseaux. «Il faut le faire le plus vite possible pour que la bactérie ne se propage pas, indique Isaïe Moyon Ballester, également président de l’association locale des pêcheurs. Je n’en peux plus de voir le marais comme ça».

Les oiseaux meurent noyés, le bec dans l’eau

La tâche est plus rude que prévue. Quand la barque s’embourbe dans la vase, il faut continuer à pied. Plus tôt, vers 7 heures du matin, chacun·e a enfilé une «waders», une salopette de pêcheur qui monte jusqu’à la poitrine, avec des bottes intégrées. En descendant du chaland, le journaliste qui écrit ces lignes s’embourbe honteusement dans 25 centimètres d’une boue épaisse : «ça arrive à tout débutant», rassure le guide. Il faut bien cinq minutes pour s’en extraire. Bilan : la veste est foutue, l’appareil photo sale mais fonctionnel, ouf, la recherche peut se poursuivre.

Isaïe Moyon Ballester, 22 ans et agent de la Fédération des chasseurs de Loire-Atlantique, ramasse des cadavres d’oiseaux pour éviter que le botulisme ne se propage plus encore. © Simon Cheneau/Vert

Des cadavres, Isaïe Moyon Ballester en ramasse six jours sur sept : «Ce n’est pas ça mon métier normalement.» En juin, le chasseur trouvait une centaine de corps d’oiseaux par jour ; ce mardi, son équipe en rapporte une dizaine, puis une trentaine le lendemain. Dans les sacs poubelles : un héron cendré et un goéland (deux espèces protégées) ainsi que des canards colverts, dont un spécimen totalement infesté par les asticots.

Pour l’oiseau, le botulisme est une «lente agonie», explique le docteur Jean-Michel Clobert, vétérinaire et directeur de la clinique des remparts à Guérande. Son établissement, «un avant-poste du botulisme», a soigné 150 oiseaux mal en point – la moitié n’a pas survécu. La maladie paralyse petit à petit leurs membres jusqu’à la mort, elle commence par les ailes, puis le cou. Si les animaux barbotent, ils meurent noyés la tête sous l’eau. Sur terre, leur cœur s’arrête petit à petit, les autres ne peuvent plus s’alimenter et meurent de faim.

Sur le lac de Grand-Lieu et dans le parc national de Brière, ce sont les canards colverts qui payent le plus lourd tribu. «Le palmipède fouille avec son bec pour trouver de la nourriture au fond de l’eau, là où il y a la toxine, explique le docteur Clobert – 50% des oiseaux qu’il soigne du botulisme sont des colverts. La bactérie se développe dans son intestin et le paralyse. En déféquant, l’oiseau libère la toxine et peut contaminer ses congénères.» De l’intérêt de ramasser le plus rapidement possible les cadavres.

Depuis le mois de juin, 3 357 oiseaux sont morts du botulisme dans le marais de Brière. © Simon Cheneau/Vert

«Le botulisme, j’en vois chaque année en Brière, mais à ce point, c’est inédit depuis les années 1990, retrace le spécialiste. Les fortes chaleur de juin, le faible niveau d’eau et le manque d’oxygène qui lui est dû, ont permis à la bactérie de se développer.» Le «lien avec le réchauffement climatique est certain», affirme Sébastien Reeber, ornithologue sur la Réserve nationale de Grand-Lieu, au sud du département.

En période de canicule, le marais de Brière s’assèche à vitesse grand V, à raison d’un à deux centimètres par jour, ont calculé des associations locales. Au-delà de la sécheresse, l’irrigation de cette zone humide est contrôlée au travers un système d’écluses. Une question épineuse qui met à jour les conflits autour des usages de l’eau et dont la majorité des interviewé·es préfère ne pas parler.

«Le milieu est poussé dans ses extrêmes»

L’affaire pourrait se résumer ainsi : chasseurs, pêcheurs et associations de protection de la nature militent pour que le marais soit bien plus irrigué qu’il ne l’est aujourd’hui. En face, des agriculteur·ices – au nombre de trois selon certains interlocuteur·ices – plaident pour que leurs champs restent à sec et que leurs vaches aient la place de paître.

Contactée, la Chambre d’agriculture de Loire-Atlantique n’a pas répondu à nos sollicitations. Le niveau d’eau est débattu et tranché en commission syndicale de Grande Brière Mottière chaque année, où tous les acteur·ices sont rassemblé·es. «J’ai arrêté d’y aller, ça n’avance pas», souffle un responsable d’association ornithologique. «On nous demande notre avis, mais c’est pour la façade», concède un autre membre de la commission.

Un goéland atteint du botulisme. © Simon Cheneau/Vert

Cette situation bactérienne critique «nous oblige à rediscuter à la rentrée des niveaux d’eau, qui ne sont plus adaptés, mais sur lesquels il y a un conflit d’usage, précise Éric Provost, le président du parc naturel régional de Brière et président du Syndicat du bassin versant du Brivet (SBVB), l’instance qui décide du niveau d’eau dans le marais. Le milieu est poussé dans ses extrêmes, il est vraiment temps de rehausser les niveaux d’eau au printemps, d’aider les agriculteurs» et faire en sorte que des épisodes de botulisme si sévères ne se systématisent pas.

Au centre vétérinaire, «les deux derniers mois ont été denses»

«On ne peut pas, moralement, laisser crever un seul oiseau», lâche l’écologue Olivier Lambert, à 50 kilomètres à l’est du marais de Brière. À Nantes, le directeur du Centre vétérinaire de la faune sauvage et des écosystèmes est, avec des étudiant·es vétérinaires et des bénévoles, le dernier maillon de la chaîne de sauvetage des «botuliques», les oiseaux malades.

Dans le laboratoire, un héron cendré enfermé dans un carton n’arrête pas de bouger. Les grammages de nourriture pour chaque espèce d’oiseaux sont indiqués sur le carrelage au mur ; Corentin remplit les pipettes au millimètre près. Le jeune homme, cuisinier la semaine, vient prêter main forte en tant que bénévole sur ses jours de congés. Les «deux derniers mois ont été denses au centre», dit-il. «Doucement, doucement», chuchote Akal, en service civique. À deux, ils et elles gavent et réhydratent un goéland du marais de Brière atteint de botulisme.

Akal, en service civique, et Corentin, cuisinier de métier et bénévole au Centre, réhydratent un goéland atteint du botulisme. © Simon Cheneau/Vert

Au fil des jours, les oiseaux se tonifient, passent d’une cage en intérieur à des box en extérieur. Une aigrette se cogne contre les murs : «En arrivant, elle ne pouvait plus voler», retrace Olivier Lambert, qui soigne des palmipèdes, des grands échassiers (spatules, hérons cendrés…) et des charognards. Quand les animaux sont aptes, l’écologue les emmène dans une volière au calme.

«Un, deux, trois» : Olivier Lambert ouvre le carton et deux aigrettes garzettes s’envolent. Au bout du bout, «c’est le plus beau moment» ; les oiseaux sont bagués et relâchés. Mercredi 13 août, deux foulques macroules rétablis ont été emmenés au bord d’une rivière. Les deux petits oiseaux noirs aux becs blancs ont foncé vers l’eau et ont instantanément sauté dedans.

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