Le vert du faux

L’élevage est-il incompatible avec la transition écologique ?

Un monde de broute. Viande, lait, œufs… l’élevage nous nourrit. Mais ses effets sur les sols, l’eau, le climat et le bien-être animal sont majeurs. Existe-t-il des modes d’élevage compatibles avec les impératifs écologiques ?
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Par­mi les mesures des­tinées à répon­dre à la crise agri­cole fig­ure le nou­veau plan du gou­verne­ment français pour aider les éleveur·ses. Présen­té le 25 févri­er, il doit per­me­t­tre d’assurer un revenu décent aux exploitant·es grâce à des allège­ments fis­caux.

La con­tri­bu­tion de l’élevage à la tran­si­tion écologique y est abor­dée en tout dernier ; la baisse de la con­som­ma­tion de viande est passée sous silence. Des sujets pour­tant fon­da­men­taux.

En France, l’élevage est respon­s­able à lui seul de 46 mil­lions de tonnes de CO2-équiv­a­lent (en 2021), soit 11% du total nation­al, selon un récent rap­port du Haut-Con­seil pour le cli­mat dédié à l’agriculture. En tête, de loin, les bovins (93% des émis­sions de l’élevage), suiv­is des porcins et des volailles.

Selon les ani­maux, le type d’exploitation et leur con­cen­tra­tion sur un ter­ri­toire, les éle­vages ont des impacts envi­ron­nemen­taux très divers. Out­re les gaz à effet de serre, l’élevage inten­sif peut-être très gour­mand en eau et causer de nom­breuses dégra­da­tions envi­ron­nemen­tales comme les efflu­ents de lisiers de porcs qui créent des pol­lu­tions aux nitrates des cours d’eau et les rejets d’ammoniac dans l’air. Les éle­vages les plus dens­es sont aus­si le lieu de prop­a­ga­tion d’épidémies : grippe avi­aire, peste porcine africaine, etc.

Une évolution indispensable de la filière et de la consommation

En 2023, la Cour des comptes française recom­mandait d’accélérer la réduc­tion du chep­tel bovin pour attein­dre les objec­tifs cli­ma­tiques du pays, alors que les rumi­nants émet­tent de grandes quan­tités de méthane, gaz à effet de serre très puis­sant. Le tout, en accom­pa­g­nant les éleveurs et en encour­ageant les citoyen·nes à réduire leur con­som­ma­tion de viande.

Pour l’heure, la décrue est trop lente, subie et non plan­i­fiée : «La dis­pari­tion de l’élevage s’inscrit dans l’arrêt des exploita­tions dû aux départs en retraite et au sim­ple fait que le méti­er d’éleveur n’est plus attrac­t­if, décrit René Bau­mont, directeur de recherche à l’Institut nation­al de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) spé­cial­isé dans l’élevage. On le voit en ce moment, les revenus dégagés par l’élevage d’animaux ne motivent plus les jeunes à s’installer dans ce domaine. […] Il faut trou­ver de nou­veaux sys­tèmes plus équili­brés pour offrir plus de per­spec­tives aux agricul­teurs. Il faut réduire la spé­cial­i­sa­tion des fer­mes et encour­ager la diver­si­fi­ca­tion.»

Un éle­vage à Saint-Quentin-Fallavier, dans la région lyon­naise, en févri­er 2024. © Jean-Philippe Ksi­azek / AFP

Le rôle central des prairies

L’année dernière, François Renou, agricul­teur en tran­si­tion biologique dans la Sarthe, a décidé d’arrêter l’élevage de porc «Label Rouge», pour­tant prin­ci­pal revenu de sa ferme. «Je ne me recon­nais­sais pas dans les méth­odes d’élevage. Ça frôlait la mal­trai­tance ani­male», con­fie-t-il à Vert.

Le jeune agricul­teur de 25 ans a préféré se focalis­er sur son chep­tel de 80 vach­es. «Mes vach­es broutent l’herbe des prairies que les humains ne peu­vent pas manger et elles me four­nissent du fumi­er organique pour nour­rir mes sols, explique-t-il. Mes cochons mangeaient des céréales qui auraient pu servir à nour­rir les humains. Ça me parais­sait insen­sé». Heureuse­ment pour l’éleveur, sa tran­si­tion en agri­cul­ture biologique lui a per­mis de touch­er de l’argent sup­plé­men­taire de l’Europe via la Poli­tique agri­cole com­mune (PAC) pour com­penser la perte de son activ­ité porcine.

Pour Jean-Louis Peyraud, égale­ment spé­cial­iste à l’Inrae, l’élevage en prairie peut être un vrai atout envi­ron­nemen­tal. «En France, les prairies naturelles représen­tent env­i­ron dix mil­lions d’hectares, c’est presque la moitié de la sur­face agri­cole utile, pré­cise le chercheur. Ces espaces sont indis­pens­ables pour con­serv­er le car­bone dans les sols et aus­si per­me­t­tre de préserv­er les paysages agri­coles avec leurs haies. On a cou­tume de dire qu’une vache, c’est 100 mètres de haies, dont on con­naît le rôle essen­tiel pour la bio­di­ver­sité en four­nissant des habi­tats à de nom­breuses espèces.»

Pour Syl­vain Dou­blet, agronome pour l’association de recherche sur l’agriculture Sola­gro, «il y a une quan­tité de chep­tel opti­male pour émet­tre le moins pos­si­ble tout en entre­tenant les prairies. Ce qu’il faut retenir c’est qu’il faut réduire la taille des éle­vages, ne pas les con­cen­tr­er au même endroit et priv­ilégi­er les ali­men­ta­tions à l’herbe. En plus, ce type d’élevage met au cen­tre le bien-être ani­mal». Selon lui, le gou­verne­ment devrait encour­ager ces pra­tiques avec «une meilleure rémunéra­tion des éleveurs qui appor­tent des ser­vices écosys­témiques».

Les ani­maux d’élevage fer­tilisent aus­si les sols, de quoi réduire la con­som­ma­tion d’engrais azotés, néfastes pour la bio­di­ver­sité et le cli­mat. D’après le dernier rap­port du Groupe d’ex­perts inter­gou­verne­men­tal sur l’évo­lu­tion du cli­mat (Giec), les exploita­tions qui mêlent éle­vage et cul­tures sont plus résilientes face aux chocs cli­ma­tiques.

Moins de concentration des élevages et des pratiques agroécologiques

Hélas, la ten­dance va dans le sens con­traire aujourd’hui. Dans un rap­port pub­lié en 2020 qui s’intéresse aux instal­la­tions classées pour la pro­tec­tion de l’environnement (ICPE), ces immenses fer­mes où sont con­cen­trés les ani­maux, Green­peace pointe une ten­dance à l’industrialisation des éle­vages dans l’Hexagone depuis une trentaine d’années.

Plus petits, moins con­cen­trés, faits de prairies plutôt que de bâti­ments fer­més ; inscrits dans une tran­si­tion agroé­cologique, les éle­vages peu­vent devenir de véri­ta­bles atouts pour le cli­mat et l’environnement.

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