Ce samedi, les rues de Paris se sont emplies de chants d’oiseaux, de cris de loups et de bourdonnements d’insectes. En ce début de printemps, une grande manifestation s’est élancée du Muséum national d’histoire naturelle pour mettre à l’honneur la biodiversité et pointer du doigt le rôle des pesticides dans l’effondrement du vivant. Sous un soleil écrasant, l’événement a rassemblé plus d’un millier de personnes, 2 500 d’après Extinction rebellion, qui coorganisait l’événement.

«Franchement, c’est la première fois que j’assiste à un tel rassemblement, avec une telle diversité d’associations», souffle Sylvie Nony, présidente d’Alerte Pesticides Haute Gironde, qui est venue à Paris depuis la région bordelaise. Comme d’autres participant·es, la militante diffuse depuis son téléphone des sons de grenouilles, d’oiseaux ou d’insectes. De quoi faire honneur au nom de l’événement : le «Printemps bruyant», en référence au livre Printemps silencieux (publié en 1962) de Rachel Carson, l’une des premières chercheuses à avoir alerté sur le rôle des pesticides dans la disparition des êtres vivants.
Le temps oublié des lucioles
Derrière elle, des membres de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) ont sorti de grosses enceintes sur roulettes pour faire résonner dans le cortège des chants d’oiseaux. Rossignol, pouillot, bruant… «Le but, c’est de montrer ce que l’on entendait facilement avant, et peut-être de rappeler quelques souvenirs aux gens», explique Nicolas Pluchon, animateur nature à la LPO.

Le militant cite l’exemple du moineau friquet, un oiseau typique des campagnes : en 28 ans, le nombre de couples est passé de 30 000 à 150 en Île-de-France. «Il pâtit à la fois des herbicides et des insecticides, qui détruisent ses ressources alimentaires», pointe William Huin, spécialiste de l’espèce, précisant que la destruction des haies et des friches contribue également à son déclin.
Le long des cortèges, les souvenirs de cette biodiversité qui ne bruisse plus reviennent comme des murmures : «Quand j’étais petite, on attrapait plein de lucioles pour les observer, mais maintenant il n’y en a plus. L’an dernier, quand j’ai voulu en montrer à ma fille, nous n’en avons pas trouvé», raconte Petra Roussel, chercheuse d’origine tchèque qui a rejoint l’association Pollinis pour étudier l’effondrement des pollinisateurs. Son constat est simple : «Les pesticides sont une cause majeure de l’effondrement de la biodiversité.»

Insectes géants et arbres verdoyants
«Pesticides, poisons d’avril», «+ de Piafs, – de Pfas», «Siamo tutti anti-pesticides», ou plus sobrement «Les pesticides tuent» : sur les pancartes et banderoles colorées, l’impact de ces produits chimiques est au cœur de cette marche bruyante pour le vivant. «Les chiffres sur l’effondrement de la biodiversité sont tellement colossaux, alors qu’est-ce que ce sera dans 30 ans ?», alerte Florence Volaire, écologue à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) de Montpellier et membre des Scientifiques en rébellion.
Très citée parmi les manifestant·es, une étude de 2017 a mis en évidence un déclin de 75% de la biomasse d’insectes volants dans des zones protégées en Allemagne, entre 1989 et 2016. En France, 30% des oiseaux de milieux agricoles ont disparu en 30 ans, selon une autre étude de 2021. Selon la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité (IPBES, le «Giec de la biodiversité»), les pollutions sont l’une des cinq grandes causes de l’effondrement du vivant dans le monde, avec la destruction des habitats ou le changement climatique. «On doit alerter sur le consensus scientifique et lutter contre la désinformation qui est colossale», martèle Florence Volaire.

Devant elle, une batucada bat le rythme de la marche, tandis que de grands insectes dessinés sur des drapeaux colorés flottent au vent. La tête de cortège s’arrête à plusieurs reprises pour laisser parader les Red rebels, ces activistes silencieuses, toutes de rouge vêtues, qui symbolisent le sang des espèces éteintes ; ou encore pour un die-in (une simulation de la mort) à l’ombre des arbres verdoyants.
«Je témoigne pour tous les autres, décédés ou malades des pesticides»
À deux jours de la journée mondiale de la santé, l’impact des pesticides sur les humains était sous le feu des critiques. «Ce sont des tueurs de cellules, et nous sommes faits de cellules, cingle Michel Campano, médecin généraliste dans le Val-de-Marne et membre d’Alerte des médecins sur les pesticides (AMLP). J’ai 61 ans et, au cours de ma carrière, j’ai vu le nombre de cancers augmenter. On a beaucoup de suspicions autour des pesticides, mais la preuve absolue est quasi-impossible.»
À l’arrivée de la manifestation, non loin de l’hôpital Necker-Enfants malades, plusieurs victimes prennent la parole au micro. «J’ai été victime d’un lymphome à l’âge de 47 ans, raconte devant la foule Michel Daviet, technicien agricole pendant 34 ans chez un semencier français. Alors je témoigne pour tous les autres, décédés ou malades des pesticides, qui sont de vrais poisons.»

Tout aussi marquant, le témoignage du Collectif des ouvriers agricoles et de leurs ayants droit empoisonnés (Coaadep), venu dénoncer le scandale écologique et sanitaire du chlordécone, cet insecticide utilisé dans les plantations de bananes aux Antilles jusqu’en 1993 (notre article). «Les patients sont affectés dès l’enfance», témoigne Mounkam, médecin antillais qui a souhaité rester anonyme, étayant la liste des maladies provoquées par cette substance : cancers du sein, de la prostate, endométriose, tumeurs du cerveau…
La proposition de loi Duplomb dans le viseur
«Les premiers touchés par les pesticides sont bel et bien ceux qui les appliquent, des collègues en meurent», rappelle de son côté Gaspard Manesse, maraîcher et porte-parole de la Confédération paysanne en Île-de-France. Le militant fait huer le sénateur Laurent Duplomb (Les Républicains), auteur de la très contestée proposition de loi pour «lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur».
Le texte, qui devrait être examiné à la fin du mois de mai par les député·es, prévoit notamment la réautorisation d’un néonicotinoïde, cette famille de pesticides «tueurs d’abeilles». D’autres reculs environnementaux sont dénoncés par les manifestant·es, comme ceux votés dans la loi d’orientation agricole (notre article) ou au Parlement européen : «C’est sur la question de la protection de la nature que le Pacte vert a butée. Avec ce texte, les lobbys de l’agroindustrie ont été revigorés», analyse l’eurodéputée écologiste Marie Toussaint, interrogée par Vert.

Pour Lise, coorganisatrice de la manifestation, «on parle beaucoup de climat, mais l’effondrement de la biodiversité nous menace tout autant, voire plus». Après les marches pour le climat, la militante d’Extinction rebellion souhaite pérenniser ce grand événement contre les pesticides sur les prochaines années. Le prochain «Printemps bruyant» a même déjà sa date : le 4 avril 2026.
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