«L’État a commis des fautes en accordant des autorisations de vente» de pesticides à base chlordécone, malgré les alertes sur la nocivité de cette substance, a estimé la cour administrative d’appel de Paris dans un arrêt pris ce mardi. Il doit en conséquence réparer, «lorsqu’il est démontré, le préjudice moral d’anxiété des personnes durablement exposées à cette pollution», indique la cour dans sa décision.
Elle avait été saisie par près de 1 300 personnes qui demandaient à ce que soit reconnue la responsabilité de l’État dans leur exposition à ce produit qui pollue les sols et l’eau et qui contamine la chaîne alimentaire. Le chlordécone est une substance active de synthèse qui entre dans la composition de produits insecticides. Elle a été autorisée dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique de 1972 jusqu’à 1993, alors qu’elle était interdite dans l’Hexagone depuis 1990 en raison de sa toxicité, connue des pouvoirs publics.
Cancer de la prostate et naissances prématurées
La cour administrative d’appel de Paris juge que «l’État a commis des fautes en accordant des autorisations de vente d’insecticides à base de chlordécone, en permettant leur usage prolongé, en manquant de diligence pour évaluer la pollution liée à cet usage, y mettre fin, en mesurer les conséquences et informer la population touchée.»

Elle rappelle que l’exposition au chlordécone est associée à «un risque significativement augmenté» de survenue d’un cancer de la prostate et de récidive de cette maladie. En cas d’exposition pré et postnatale, il existe aussi un risque accru de naissance prématurée et d’impact sur le développement cognitif et le comportement de l’enfant.
Seulement une dizaine de personnes bénéficieront de la réparation
C’est pour ces raisons que la cour condamne l’État à réparer les personnes qui sont parvenues à démontrer un «préjudice d’anxiété». Ce concept juridique désigne la souffrance psychologique éprouvée par une personne du fait de l’incertitude de développer une maladie grave en raison de son exposition à un risque.
Cela ne concerne qu’une dizaine de personnes, sur les quelque 1 300 réquérant·es. Il s’agit de celles et ceux qui ont pu justifier d’éléments «personnels et circonstanciés», selon la décision. C’est-à-dire des analyses de sang et des prélèvements de sols pour établir une exposition effective. «La seule invocation d’une exposition au chlordécone, indépendamment de ses conséquences personnelles et en l’absence de justification les étayant de façon individuelle, ne permet pas de justifier d’un préjudice réparable», rappelle la cour.
«Cette décision est décevante»
Pour Me Christophe Lèguevaques, l’avocat des requérant·es, «cette décision est une victoire. Elle crée un précédent tant pour le dossier chlordécone que pour les autres dossiers de pollutions environnementales (Glyphosate et PFAS)». Il nuance toutefois, regrettant que seulement une dizaine des personnes sur les près de 1 300 requérant·es pourront être indemnisées. «De ce point de vue, cette décision est décevante. En discriminant les hommes et les femmes, les adultes et les enfants, la cour ne tient pas compte des effets avérés du chlordécone sur la santé publique. Pour nous, le combat continue.» L’avocat a déjà annoncé son intention de porter le dossier devant le Conseil d’État.
Sur le réseau social Bluesky, l’eurodéputée écologiste Marie Toussaint s’est félicitée : «Cette décision est une première victoire importante. Pour la première fois depuis longtemps, les victimes sont entendues. Désormais, il faut aller au bout et reconnaître les pathologies liées au chlordécone. Il est temps enfin de reconnaître que l’empoisonnement des Antilles constitue un écocide.»
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