«On monte en épingle quelque chose qui n’est pas des faits scientifiques avérés par l’Europe», s’agace Laurent Duplomb, le sénateur Les Républicains (LR) qui a donné son nom à la loi adoptée le 8 juillet. Celle-ci est censée «lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur» et réautorise notamment l’acétamipride, un pesticide interdit depuis cinq ans en France. Dimanche 20 juillet, l’élu de Haute-Loire était interrogé sur France info sur le succès d’une pétition contre le texte qu’il a porté, signée alors par 720 000 personnes.
Ce lundi matin, la pétition en question a dépassé les deux millions de signatures. Elle n’est plus qu’à quelques longueurs de celle de l’Affaire du siècle (2,3 millions), la pétition la plus soutenue de l’histoire en France.
Mais, pour le sénateur LR, ce serait le fruit d’une instrumentalisation «par l’extrême gauche et les écologistes». Dimanche toujours, cette fois sur LCI, Laurent Duplomb déclarait : «On voit bien, depuis six mois, l’acharnement que mettent certaines ONG, certains détracteurs, à désinformer la population.» Cette thèse d’une désinformation a été reprise par plusieurs responsables politiques comme Julien Odoul (député Rassemblement national), François-Xavier Bellamy (député européen LR), ou encore Aurore Berger, la ministre déléguée à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Une thèse, ou plutôt un contre-feu, allumé par les partisans à la loi Duplomb face au succès de la pétition et en dépit du fait que les sociétés savantes médicales (cancérologie, pédiatrie, endocrinologie, hématologie, neurologie…) et le conseil scientifique du CNRS se sont opposés à la réintroduction de l’acétamipride, comme le rappelle le Monde. Pour l’ONG qui lutte contre la désinformation climatique Quota Climat : «Nous assistons à un renversement sémantique à l’américaine : les désinformateurs hurlent à la désinformation, emmenés par le sénateur Laurent Duplomb.»
«L’acétamipride, utilisé dans les conditions prescrites, n’est ni dangereux pour l’homme, ni pour l’environnement, ni pour la biodiversité», avance Laurent Duplomb. Au micro de France info, il cite sa source : une interview de la porte-parole de la Commission européenne dans l’émission de… François de Rugy.
Vert a récemment enquêté sur l’ancien ministre de la transition écologique, qui fait désormais des vidéos sur Youtube où il minimise la dangerosité des PFAS (ces «polluants éternels» qui ont des effets néfastes sur la santé humaine) et de l’acétamipride. François de Rugy est un ardent défenseur de la loi Duplomb. Il a déclaré dans l’Express que, «cliquer sur une pétition, c’est le degré 0,1 du soulèvement populaire», et que «la plupart des signataires ne connaissent rien» à ce pesticide. Lequel, écrivait-il en mai, ne serait «pas un danger, ni pour les abeilles, ni pour la santé humaine».
Les pro-Duplomb en veulent pour preuve que la substance n’est pas interdite ailleurs en Europe, et que ni l’Agence nationale de sécurité des aliments (Anses) ni l’Efsa (l’agence qui rend des avis sur les risques des pesticides dans l’Union européenne) n’ont opposé de contre-indications à son utilisation.
«Si 26 pays sur 27 ont confirmé l’usage de cette substance jusqu’en 2033, c’est que le choix a porté sur la non-toxicité pour la santé humaine», défendait la ministre de l’agriculture Annie Genevard auprès de Public Sénat fin mai. Gabriel Attal, chef de file des député·es macronistes, s’est voulu rassurant sur Instagram : «Jamais je ne voterais une loi dont je considère qu’elle pourrait être dangereuse pour les Français.»
🐝 Un poison pour les abeilles et la biodiversité
Et pourtant. Si l’acétamipride est moins puissant que d’autres produits de sa famille (les néonicotinoïdes, communément appelés «tueurs d’abeilles»), il reste un insecticide nocif. Vert, des dizaines d’études scientifiques à l’appui, avait fait le point en mai.
Comme nous vous l’expliquions alors, une dizaine de microgrammes d’acétamipride avalée par chaque abeille suffit pour tuer net la moitié d’une colonie en l’espace de deux jours, selon des études indépendantes et l’Efsa elle-même. Surtout, la substance s’attaque au système nerveux des insectes. Avant même de les tuer, il peut leur faire perdre la mémoire ou perturber leur capacité de voler.
«On observe des effets sublétaux [qui peuvent causer la mort de manière indirecte, NDLR], sur le comportement, les capacités d’apprentissage, le mouvement…», expliquait à Vert Laure Mamy, spécialiste des impacts des pesticides sur la biodiversité. La directrice de recherche au sein de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) rappelait une évidence : «C’est un insecticide donc, par définition, il est fait pour tuer des insectes.»
D’autant plus que l’acétamipride pourrait être jugé encore plus nocif s’il on tenait compte de sa toxicité chronique, c’est-à-dire l’exposition répétée à une même dose sur le long terme (ce qui est le cas lorsque des insectes butinent des fleurs tous les jours). Et sa toxicité ne s’arrête pas aux insectes. Le pesticide nuit aussi au reste de la biodiversité, notamment aux oiseaux, qui l’ingèrent ou qui n’ont plus suffisamment de proies à cause de lui.
🤰Un risque pour les humains
Contrairement à ce que prétendent les partisans de la loi Duplomb, des études récentes (et pas uniquement françaises) alertent sur les dangers de l’acétamipride sur la santé humaine.
Une étude de 2022, menée en Suisse, a mis en évidence des traces du principal métabolite (les «produits de dégradation» provenant de la transformation de la molécule) de l’acétamipride dans la quasi-totalité des échantillons de liquide cérébro-spinal (le fluide où baignent le cerveau et la moelle épinière) de 14 enfants testés.
«On en a retrouvé à la base même du fonctionnement du système nerveux, qui pilote tout le corps humain», alertait auprès de Vert Jean-Marc Bonmatin, spécialiste mondialement reconnu de ces substances. Le produit s’attaque précisément au système nerveux des insectes et il est bel et bien toxique pour l’humain, selon le chimiste-toxicologue au Centre national de recherche scientifique (CNRS) d’Orléans (Loiret).
Les conséquences supposées de la présence de ces substances et leurs dérivés dans le corps humain sont multiples. De nombreuses études internationales suggèrent un risque accru de diabète de type 2, de maladies rénales, malformations cardiaques, tremblements, pertes de mémoire… Ce produit serait aussi risqué pour le développement du fœtus dans le ventre des femmes enceintes, selon une autre étude.
Ces recherches indépendantes ont amené l’Efsa à reconnaitre l’an dernier des «incertitudes majeures» concernant les effets nocifs de l’acétamipride sur le système nerveux humain et à demander des études «approfondies». Saisie à la demande de la France, l’agence européenne recommande dans son avis du 27 mars 2024 une baisse drastique des doses auxquelles un individu peut être exposé… sans pour autant demander sa suspension dans l’Union européenne. Son autorisation est prévue jusqu’en 2033, mais le produit doit faire l’objet d’un réexamen complet d’ici là.
En France, l’Anses, interrogée par Libération, indiquait qu’elle «ne dispose pas de données récentes d’évaluations qu’elle aurait menées pour de tels produits». Mais l’Agence nationale de sécurité sanitaire a déjà rendu deux avis, en 2018 et 2021 (notre article), qui concluent que des alternatives efficaces à l’acétamipride existent depuis des années.
🐖 D’autres mesures controversées
Si les débats se focalisent dans les médias sur la réintroduction de l’acétamipride dans les cultures, d’autres mesures de la loi Duplomb sont considérées comme des reculs environnementaux par ses opposant·es (retrouvez notre décryptage complet sur son contenu).
Celle-ci prévoit entre autres de faciliter l’agrandissement des élevages intensifs et d’affaiblir la consultation des riverain·es concernant les installations de ces élevages. Enfin, les projets de stockage d’eau (dont les très critiquées mégabassines) pourraient désormais être «présumés d’intérêt général majeur» dans les zones en manque de pluie, ce qui faciliterait leur installation.
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