Portrait

En première ligne face à la déforestation mais accro au pétrole : qui est Lula, le président du Brésil, pays hôte de la COP30

Forêt s’y mettre. Alors que la conférence mondiale sur le climat s’ouvre lundi au Brésil, le président de gauche se rêve en héraut du climat et prône une déforestation zéro. Pourtant, il défend toujours l’exploitation du pétrole au large de l’Amazonie. Portrait d’un dirigeant pétri de contradictions.
  • Par

Lula récoltant du caoutchouc. Lula préparant de la farine de manioc. Lula débarquant d’un fleuve, main dans la main avec de jeunes autochtones de la région du Tapajós. Le sommet mondial (COP30) sur le climat débute lundi à Belém (Brésil) et, sur ses réseaux sociaux, le président brésilien ne lésine pas sur la mise en scène. Il s’érige à l’international en porte-voix des pays du Sud face aux nations riches, qu’il accuse d’hypocrisie climatique. Mais, au Brésil, sa politique environnementale divise.

Le président Lula lors d’une rencontre avec les habitant·es de la région du Tapajós, le 2 novembre 2025. © Ricardo Stuckert/Présidence du Brésil

«Comment interpréter cette visite, alors que c’est ce même gouvernement qui ouvre la voie à la privatisation des fleuves et à l’exploitation pétrolière ? Le Tapajós voit… et n’oublie pas», a réagi le mouvement Tapajós Vivo sur son compte Instagram. En ligne de mire, un décret signé par le gouvernement de l’ex-ouvrier métallurgiste le 28 août 2025. Le texte prévoit la concession de plus de 3 000 kilomètres de voies navigables au secteur privé, au profit direct de l’agro-industrie. Ce cas, un parmi tant d’autres en près de dix années cumulées au pouvoir, est à l’image des politiques environnementales menées par Luiz Inácio Lula da Silva : pétri de contradictions.

À la tête du Brésil entre 2003 et 2010, de retour au pouvoir en 2023, le successeur de l’ex-président d’extrême droite Jair Bolsonaro navigue sans cesse entre théorie et pratique, entre discours et actes. Architecte politique de progrès historiques quant à la protection de l’Amazonie, dont le niveau de déforestation est aujourd’hui au plus bas, il enchaîne aussi les décisions controversées. «Lula est avant tout un leader ouvrier, qui n’avait aucune conscience ou connaissance des questions environnementales à la fin des années 1990», rappelle Eduardo Viola, politologue à la fondation Getulio Vargas.

À cette époque, la militante Marina Silva met progressivement ces enjeux sur la table au sein du Parti des travailleurs (PT), que Lula a fondé. «En excellent animal politique, il y a vu une opportunité», rembobine Eduardo Viola. En 2003, tout juste élu président, il nomme Marina Silva ministre de l’environnement. Un symbole. Ancienne seringueira (récolteuse de latex) et proche du militant syndicaliste Chico Mendes, elle est l’incarnation de la gauche écologiste brésilienne. À ce moment, Lula perçoit que la déforestation est une thématique clé. Sous la houlette du ministère de l’environnement, le gouvernement lance une série de politiques pionnières : le Plan de prévention et de contrôle du déboisement en Amazonie, la création de 24 millions d’hectares d’aires protégées ou la multiplication des amendes pour crimes environnementaux.

Belo Monte, le barrage de la rupture

En parallèle, Lula cherche à accélérer la croissance de son pays en soutenant massivement l’agro-industrie : la demande chinoise en soja, viande et minerais est en plein boom. Le chef d’État approuve la construction de routes qui défigurent la forêt et se rapproche des gouverneurs ruraux comme Blairo Maggi, surnommé le «Roi du soja». «Les tensions idéologiques sont constantes au sein même de son gouvernement», précise Marcio Astrini, secrétaire exécutif de l’Observatoire pour le climat.

Les pierres d’achoppement écologiques s’accumulent et la volonté de Lula de voir s’ériger le barrage de Belo Monte, sur le fleuve Xingu (au nord du pays), est la mesure de trop. Planifié en 2005, ce chantier est fortement contesté par les peuples autochtones et les ONG. La ministre de l’environnement Marina Silva s’y oppose frontalement, estimant que les études d’impact environnemental sont bâclées. Lula, lui, persiste et signe, défendant un «progrès national» et un «accès à l’énergie pour tous». Ce barrage devient le symbole du clivage entre Lula et les écologistes.

Deux ans après sa première élection, c’est la rupture. Lassée de voir ses initiatives bloquées par les ministères du développement, de l’agriculture et des mines, Marina Silva démissionne le 13 mai 2008. Elle affirme alors «ne plus pouvoir concilier sa mission environnementale avec la logique de développement à tout prix». Le président la remplace par un ministre plus malléable, Carlos Minc. Le message est clair : pour Lula, l’impératif du développement économique prime sur la protection de l’environnement.

Là où Marina Silva incarne le militantisme écologiste, Lula privilégie le calcul politique. Le divorce entre les deux ancien·nes allié·es est consommé en 2010. Marina Silva claque la porte du PT. Lula, lui, continue sur sa lancée et se concentre sur la lutte contre la déforestation, avec succès. En 2010, après huit ans au pouvoir, les indices sont historiquement bas – environ 6 250 kilomètres carrés déboisés, selon l’Institut national de recherches spatiales. Un héritage que Jair Bolsonaro s’appliquera à réduire en miettes dès qu’il prendra les rênes du pays, en 2019.

Le pétrole pour financer sa politique sociale ?

En 2023, après quatre ans de déluge climatosceptique, l’heure est aux promesses pour le candidat Lula. Il fait de la protection de l’Amazonie l’un des thèmes phares de sa campagne et réussit même à récupérer l’appui de son ex-ministre, Marina Silva. Le jour de son investiture, le revenant de gauche monte la rampe du palais présidentiel accompagné de militant·es de peuples traditionnels. L’image est forte et suscite l’espoir. Amazon Fund (Fonds Amazone), plan «zéro déforestation d’ici à 2030», ministère des peuples autochtones : une série de mesures rétablit l’action publique environnementale. En 2024, le Brésil a connu une diminution de 16,7% de ses émissions brutes de gaz à effet de serre par rapport à l’année précédente, selon un rapport publié par l’Observatoire du climat le 3 novembre. C’est la plus forte baisse des 16 dernières années.

Lula tient un échantillon de pétrole prélevé sur la plateforme pétrolière Capixaba (Brésil), en juillet 2010. © Ricardo Stuckert/Présidence du Brési/AFP

Malgré des succès sur le plan environnemental ces trois dernières années, les activistes écologistes déchantent rapidement. Elles et ils reprochent à Lula son manque de prise de position lors de l’étude de propositions de loi menaçant la démarcation de terres autochtones ou les normes environnementales en vigueur. Sa marge de manœuvre est réduite par un Congrès dominé par la droite. S’il appose son veto à certains dossiers, il encourage l’exploitation pétrolière à l’embouchure de l’Amazone, malgré les réserves de la communauté scientifique. «Il est hypocrite d’annoncer uneCOP de l’Amazonietout en la menaçant avec davantage d’exploitation fossile», dénonce Sila Mesquita Apurinã, autochtone, coordinatrice du Groupe de travail amazonien. Cet épisode est révélateur de l’une des principales contradictions de Lula da Silva quant à sa politique environnementale.

Malgré ses discours sur l’hydrogène vert et les énergies renouvelables, les investissements de l’État restent largement tournés vers le pétrole. «Lula est extrêmement attaché à Petrobras, l’entreprise publique qui exploite cette ressource. Elle est pour lui le symbole de la souveraineté nationale», souligne le politologue Eduardo Viola. Le 20 octobre, la compagnie a obtenu une autorisation d’exploration pétrolière au large de l’Amazonie, un projet soutenu par Lula malgré les critiques des scientifiques et de la société civile locale. Le président jongle entre ambition climatique et impératifs économiques. Il estime que l’exploitation du pétrole, en augmentant les recettes de l’État, pourra générer un bénéfice social. Marcio Astrini, de l’Observatoire pour le climat, résume : «On se sert du pétrole aujourd’hui pour combattre la pauvreté et les inégalités, tout en sachant qu’à long terme ce même pétrole risque de produire encore plus de pauvreté et d’inégalités.»

Vous avez remarqué ?

Vous avez pu lire cet article en entier sans rencontrer aucun «mur». Et aucune publicité n’est venue gêner votre lecture.

Tous les articles, vidéos et newsletters de Vert sont en accès libre. Notre combat : permettre à tout le monde de s’informer gratuitement sur l’urgence écologique et de faire des choix éclairés, en ne laissant personne de côté.

Tout ceci est possible grâce aux 12 000 membres du Club de Vert, celles et ceux qui nous soutiennent au quotidien. Leurs dons mensuels nous permettent de faire notre travail de journalistes de manière indépendante, pour toutes et tous 💚​

Dans le chaos politique et écologique actuel, nous avons besoin d’élargir cette communauté pour continuer à grandir et informer toujours plus de monde sur les sujets les plus importants de notre époque.

👉 Si vous le pouvez, rejoignez le Club dès aujourd’hui et faisons la différence ensemble !