Suane Barreirinhas arpente d’un pas assuré les planches de la Vila da Barca à Belém, métropole du nord du Brésil. Sous ses pieds coulent les eaux de la baie de Guajará. À 37 ans, l’éducatrice populaire a grandi dans cet amas bariolé de maisons de bois et tôles ondulées. Elle connaît comme sa poche les ruelles étroites de cette favéla sur pilotis.
«La Vila da Barca a émergé sur les bords de la baie de Guajará au début du 20ème siècle, en pleine expansion de la ville», explique-t-elle. Mais les années ont passé, et sous les maisons flottantes, l’eau s’est transformée en un marécage de déchets. Faute d’égouts, les détritus de ses 5 000 habitant·es finissent dans la baie. Un cas loin d’être isolé : le système d’assainissement de Belém couvre moins de 20% de son territoire, selon l’institut Trata Brasil. Un point noir, à l’approche de la conférence mondiale (COP30) sur le climat que la ville accueillera du 10 au 21 novembre. La capitale de l’État du Pará se rêve mégalopole «carte postale» aux portes de l’Amazonie, mais à quel prix ?
Géants de verre
En haut du balcon d’un petit immeuble d’habitation, Suane Barreirinhas balaye du regard la ligne de gratte-ciel qui réfléchit derrière la favéla. Ces géants de verre font partie de la Doca, à moins d’un kilomètre de là, un quartier qui abrite le mètre carré le plus cher de la ville. Dans deux mois, il sera le centre névralgique du sommet international sur le climat, où 40 000 participant·es sont attendu·es.
Le contraste saisissant entre maisons de bois et immeubles de luxe est à l’image du Brésil. «La Vila da Barca illustre l’inégalité sociospatiale flagrante à Belém et dans d’autres villes brésiliennes», résume Thiago Sabino, géographe spécialiste de la région. La favéla, autrefois éloignée du centre urbain, a été absorbée par la ville tout en restant en dehors du radar des politiques publiques. Si un projet de logement social a bien vu le jour à la fin des années 1990, il n’a jamais été achevé. «Les travaux ont repris en 2021, mais sans être finalisés. La communauté continue de faire face à de graves problèmes de logement et au manque d’accès à l’assainissement de base», regrette le chercheur à l’université fédérale du Pará.
Dans le cadre des grands travaux prévus pour la conférence mondiale sur le climat, une décision de l’État du Pará a mis de l’huile sur un feu qui couvait depuis près de cent ans. Ces derniers mois, le terrain vague qui marque l’entrée de la favéla a vu s’activer des ouvriers, derrière des panneaux estampillés «COP30». Les résident·es espéraient y construire une crèche communautaire et un jardin partagé. À la place, elles et ils voient pousser une station d’égout qui profitera à la Doca, tout en excluant les habitant·es de la Vila da Barca. En clair, le quartier pauvre accueillera les eaux usées du quartier riche.
L’opulence ou la boue
Pour Vivi Reis, conseillère municipale et ancienne députée du Parti socialisme et liberté, «c’est un cas explicite de racisme environnemental». Ce terme, créé aux États-Unis par le militant Benjamin Franklin Chavis Jr., a été utilisé pour la première fois lorsque des communautés noires et précaires ont été contraintes d’accueillir des dépôts de déchets toxiques dans les années 1980. «La même logique se répète à Belém à la veille de la COP 30 : l’État choisit qui vit dans l’opulence et qui vit dans la boue», tonne la porte-parole des habitant·es du quartier, Suane Barreirinhas.
«C’est un exemple flagrant des contradictions de la COP 30. Ils priorisent les grands travaux dans le centre-ville en excluant les périphéries et les quartiers les plus pauvres», poursuit l’élue Vivi Reis, qui a effectué plusieurs visites techniques sur les lieux. Déforestation pour construire des routes, arbres artificiels installés pour faire de l’ombre : Belém se prépare tout en contradictions. «Ces projets n’ont pas un objectif environnemental. C’est de l’esthétique plutôt que du fonctionnel», dénonce l’ex-députée.
Des mois durant, les membres de la Vila da Barca ont réclamé des études d’impact et davantage d’informations quant aux procédures à suivre en cas d’inondation, mais les informations sont transmises au compte-gouttes. De l’autre côté de la rue, une parcelle s’est transformée en décharge à ciel ouvert. «On dirait une scène de guerre. Ils jettent les déchets des travaux juste sous notre nez», désespère Suane Barreirinhas. Cadavres métalliques rouillés et matériaux potentiellement toxiques s’amassent à quelques encablures de la favéla.
Entre promesses et coup de com
«La COP n’est pas un festival, c’est l’occasion d’entendre les demandes populaires. Le 22 novembre, à la fin du sommet, Belém redeviendra Belém. Nous, ses occupant·es, sommes celles et ceux qui resteront avec les conséquences», souligne l’éducatrice populaire. Pour dénoncer l’injustice dont les habitant·es de la favéla sont victimes, elles et ils luttent sans relâche. À coups de mobilisations, en ligne et à Belém, les résident·es de la Vila da Barca ont attiré l’attention des médias locaux, puis nationaux.
Un coup de projecteur bienvenu sur cette contestation grandissante, qui a porté ses fruits : les critiques sont parvenues aux oreilles du gouverneur de l’État du Pará, Helder Barbalho. Après des années de combat acharné, les habitant·es ont arraché la promesse d’un accès à l’eau et aux égouts pour les membres de la communauté. Le 19 août, Helder Barbalho, casque de chantier bleu planté sur le crâne, a déambulé dans la favéla et s’est improvisé inspecteur des travaux en cours. «D’ici à 45 jours, tout le monde sera relié au réseau d’eau», s’est engagé le politique lors de cette visite en grandes pompes.
Quelques semaines plus tôt, il avait fait l’annonce choc d’un plan d’investissements de 15 milliards de reais (2,3 milliards d’euros) dans l’assainissement de la ville, via des concessions privées. La Vila da Barca s’était imposée comme première bénéficiaire avec 7,5 milliards de reais (1,2 milliard d’euros). Une opération de communication réussie pour le gouverneur et un accouchement dans la douleur pour la population. «Cette victoire est la nôtre. Cela montre que notre gouvernement agit seulement sous pression. Nous voulons des solutions et des initiatives, pas seulement des réactions», analyse Suane Barreirinhas.
Une COP des favélas
À ses côtés, Inês Medeiros, autre militante phare de la communauté, renchérit : «On va suivre très attentivement ces travaux, d’autant que le projet profitant à la Doca se poursuit.» Pour Gerson dos Santos, président de l’association des habitant·es de la Vila da Barca : «C’est une étape fondamentale pour pouvoir tourner une page de l’histoire de la communauté.»
La Vila da Barca, laboratoire de mobilisation sociale ? Du 22 au 24 août, la favéla sur pilotis a accueilli la «COP das Baixadas», autre nom donné aux périphéries pauvres de la ville. Ce contre-sommet devait faire émerger les propositions des classes populaires pour le climat. Une étape clé en amont de la COP de novembre, où Suane, Inês et la Vila da Barca comptent bien être de la partie. «Ce sera le meilleur moment pour manifester, pour se réapproprier les espaces et les narratifs, mais nous savons que nous allons faire face à des murs au niveau local», prédit Suane. La Vila da Barca a d’ores et déjà prouvé qu’il était possible d’ouvrir une brèche.
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