Ce qu’il faut retenir :
→ Après trois COP dans des pays autoritaires, la COP brésilienne est celle du retour de la liberté d’expression. Les représentantes de la société civile comptent bien en profiter.
→ Le contexte international est extrêmement défavorable à l’action climatique mais la présidence brésilienne est très investie dans la réussite des négociations.
→ Le Brésil compte porter des thèmes peu traités jusqu’ici : déforestation, taxation des pollueurs ou connexion des négociations climat avec la vie réelle des gens.
Comme chaque année depuis 30 ans, les pays du monde entier s’apprêtent à passer les deux prochaines semaines au chevet du climat. Dès ce jeudi, une soixantaine de chef·fes d’État et de gouvernement sont attendu·es à Brasília (Brésil) pour un «sommet des leaders». Il est censé donner l’impulsion avant l’ouverture officielle, lundi, des négociations de la conférence mondiale (COP30) sur le climat. Elle se tiendra à Belém, au nord du Brésil, où environ 50 000 visiteur·ses sont attendu·es.
À plusieurs égards, la COP30 démarre sous de meilleurs auspices que les précédentes. «C’est la COP de la liberté, après trois sommets dans des pays autoritaires», se réjouit Gaïa Febvre, responsable des politiques internationales au Réseau action climat. Après avoir vu leurs mobilisations sévèrement cadenassées en Égypte (COP27), aux Émirats arabes unis (COP28) et en Azerbaïdjan (COP29), les activistes comptent bien faire de la COP30 une caisse de résonance pour leurs combats.
À Belém, la traditionnelle marche pour le climat de mi-sommet fera son retour dans les rues, le samedi 15 novembre, après avoir été interdite à Sharm-El-Sheikh (Égypte), à Bakou (Azerbaïdjan) et circonscrite à l’enceinte de l’évènement à Dubaï (EAU). L’occasion pour les milliers de manifestant·es de faire symboliquement leurs adieux aux énergies fossiles lors d’une procession funéraire géante.

Un «sommet des peuples», organisé en parallèle de la conférence mondiale sur le climat, du 12 au 16 novembre, sera aussi l’occasion de (re)tisser les liens entre des militant·es du monde entier et de faire entendre des alternatives aux très technocratiques discours habituellement prononcés lors des COP. Les peuples autochtones, leurs luttes et les solutions qu’elles et ils incarnent seront particulièrement mis en avant. Le président de la COP30, André Corrêa do Lago, a promis de se rendre au «sommet des peuples», le 16 novembre, pour faire le lien avec la conférence officielle.
«Relier la COP à la vie réelle des gens»
Pour nombre d’observateur·ices, la présidence brésilienne de la COP est un motif d’espoir, après la gestion lamentable de la COP29 par l’Azerbaïdjan. Pour rappel, le président azerbaïdjanais Ilham Aliev avait affirmé l’an dernier en ouverture du sommet que «le pétrole et le gaz sont un cadeau de Dieu». La gestion chaotique des négociations avait ensuite conduit à l’accord final, unanimement qualifié de fiasco.
À l’inverse, André Corrêa do Lago, dont Vert a brossé le portrait, «est un vétéran de la diplomatie climat. Il a un large réseau diplomatique, il est très respecté et très à l’aise pour parler à tous les camps dans ces négociations», résume Mark Tuddenham, expert des négociations climat au centre d’études Citepa.
En préparation du sommet, André Corrêa do Lago a multiplié les communications auprès des pays pour les presser de venir avec des engagements. «Parmi les priorités qu’il a fixées, il y a bien sûr l’accélération de la lutte contre le changement climatique, et le fait de relier tout ça à la vie réelle des gens», souligne Mark Tuddenham. De quoi faire descendre – un peu – la COP de son piédestal ?
Taxe Zucman, le retour ?
Le Brésil – et notamment son président Lula – compte mettre à l’agenda des sujets peu traités jusqu’ici au sein des COP, comme la taxation des plus riches et des multinationales des énergies fossiles. Lula avait commandé à l’économiste français Gabriel Zucman ses premiers travaux sur la taxation des ultrariches, lorsque le pays occupait la présidence tournante du G20 (le forum qui rassemble les pays aux économies les plus développées), en 2024.

La déforestation sera aussi un thème prioritaire. Elle est responsable de 12% des émissions de gaz à effet de serre mondiales, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Le choix d’installer les négociations à Belém, aux portes de l’Amazonie, est à ce titre symbolique. Le Brésil prévoit d’y lancer le Tropical forest forever facility (TFFF) pour aider 70 pays à conserver un milliard d’hectares de forêts tropicales et subtropicales humides. Le principe, qui est de générer des profits sur les marchés financiers pour reverser 125 milliards de dollars (108 milliards d’euros) à ces pays, fait néanmoins tiquer.
Les expert·es pointent aussi du doigt la position très ambiguë du Brésil sur les énergies fossiles, alors que le pays figure à la septième place des plus grands producteurs de pétrole. «La présidence brésilienne a une position totalement hypocrite sur le sujet», souligne Fanny Petitbon, responsable France de l’ONG 350.org, qui rappelle que les autorités brésiliennes viennent d’autoriser l’exploration pétrolière en mer au large de l’Amazonie. Pas simple, pour relancer les négociations sur la nécessaire «transition hors des énergies fossiles» engagées à Dubaï et restées au point mort depuis.
Le climat au second plan
Ce n’est pas la seule ombre au tableau, vu le contexte mondial. «Les guerres en Ukraine, en Palestine et les nombreuses tensions géopolitiques ont relégué le climat au second plan. Aujourd’hui, les priorités des gouvernements sont la sécurité et la défense», rappelle Mark Tuddenham.
En témoigne le faible nombre de pays qui ont actualisé leurs feuilles de route climatiques (les CDN, en jargon onusien) en vue de la COP30 : ils étaient seulement 67 (sur 195) fin octobre, dont seulement 9 du G20. Ce groupe des 19 pays les plus riches représente à lui seul 77% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, selon le Giec. Parmi les plus gros émetteurs, manquent notamment les engagements de la Chine et de l’Inde.
L’effet Trump
Les États-Unis de Joe Biden sont parvenus à soumettre leur feuille de route climatique avant l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche en janvier dernier, mais le nouveau président étasunien a trouvé d’autres moyens de plomber le débat depuis. Le président climatosceptique a mis fin à la plupart des financements américains en faveur du climat. Ils représentaient 8% de la finance climat internationale, selon les calculs du média spécialisé Carbon brief. Donald Trump a aussi retiré – pour la deuxième fois – son pays de l’Accord de Paris. Ce retrait sera effectif le 20 janvier 2026.
Selon toute vraisemblance, les États-Unis n’enverront pas de délégation à la COP30, ce qui passe finalement pour une bonne nouvelle, dans un sommet où toutes les décisions doivent être adoptées à l’unanimité.
«L’Europe, c’est le bad guy»
L’Europe arrive également très affaiblie diplomatiquement, après avoir adopté dans la douleur et au rabais ses nouveaux objectifs climatiques d’ici à 2035 et 2040 – 24 heures seulement avant le sommet des leaders qui s’ouvre ce jeudi. Elle vise désormais une réduction de ses émissions comprise entre -66,25% et -72,5% d’ici à 2035, alors que les ONG défendaient un objectif de -79% pour faciliter l’atteinte de la neutralité carbone en 2050 (soit le fait de ne pas émettre plus que ce qui pourra être absorbé par des puits de carbone).
Pour Caroline François-Marsal, responsable Europe du Réseau action climat : «L’UE se rend à la COP avec une ambition climatique décevante et trop basse pour tenir une trajectoire de réchauffement à +1,5°C» d’ici à 2100 (par rapport au milieu du 19ème siècle) – soit l’objectif de l’Accord de Paris de 2015. «Cette année, l’Europe c’est le bad guy [le mauvais élève, NDLR], il n’y a plus de pays leader sur ces questions», regrette Mark Tuddenham, du Citepa.
Atténuer, atténuer, atténuer
Résultat : le sommet risque bien de se hisser «parmi les négociations les plus difficiles en 30 ans de COP», prévient-il. D’autant plus qu’il s’agit d’une COP à forts enjeux, en raison du dixième anniversaire de l’Accord de Paris, scellé en 2015. «L’Accord de Paris fonctionne, car il a permis d’atténuer le réchauffement climatique, dont on prévoyait alors qu’il dépasserait les +4°C en 2100» par rapport au milieu du 19ème siècle, explique Gaïa Febvre, du Réseau action climat.
Pour autant, le bilan est loin d’être glorieux : mardi, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a révélé que les CDN des pays mettaient encore le monde sur la voie d’un réchauffement de +2,3 à +2,5°C (notre article). C’est loin des +1,5 à +2°C visés par l’Accord de Paris pour espérer conserver un monde vivable.
Dans ce contexte, «la crédibilité de la COP dépendra de la façon dont les pays réagiront à cet écart entre l’ambition et la science, prévient Mark Tuddenham. Autrement dit, la COP doit aboutir à une décision sur les CDN. Étant donné l’urgence climatique, on ne peut pas se permettre d’avoir une COP sans !»
Viser la thune
Enfin, «même si certains pays riches veulent éviter le sujet, la COP30 sera évidemment une COP finance, prévient Lorelei Limousin, chargée de campagne Climat de Greenpeace. Alors que les effets du réchauffement s’aggravent, en particulier dans les pays pauvres qui en sont le moins responsables, les pays riches vont encore dire que leurs caisses sont vides.»
L’année dernière à Bakou, les 39 pays les plus développés (la liste ici) ont consenti à transférer aux autres 300 milliards de dollars (environ 261 milliards d’euros) par an de 2025 à 2035 pour financer leurs politiques de réduction des émissions (atténuation) et d’adaptation aux effets du changement climatique. Or, leurs besoins sont estimés à au moins 3 300 milliards de dollars (2 900 milliards d’euros), selon un rapport de référence du Groupe d’experts indépendants de haut niveau sur le financement climatique (HLEG).
«À Bakou, les pays en développement se sont sentis trahis», commente Mark Tuddenham. Cette année, la présidence brésilienne de la COP souhaite discuter de solutions pour trouver 1 300 milliards de dollars (1 132 milliards d’euros) par an d’ici à 2035, dont la taxation des plus riches et des multinationales des énergies fossiles. «Une source d’espoir», pour Rebecca Newsom, experte politique pour Greenpeace International, qui rappelle que «les bénéfices des cinq géants internationaux du pétrole et du gaz durant la dernière décennie ont atteint près de 800 milliards de dollars», soit près de 697 milliards d’euros. À bon entendeur.
À lire aussi
-
«On a commencé par prendre la rue. Là, on va prendre la mer» : six militantes écologistes mettent le cap sur Belém pour la COP30
En voilier balader. Depuis Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), six activistes écologistes, dont Camille Étienne et la Belge Adélaïde Charlier, embarqueront ce dimanche à bord d’un voilier pour rejoindre Belém, au Brésil, où se tiendra en novembre la COP30. Avec le Women Wave Project, elles veulent faire entendre la voix de la société civile face aux lobbies des énergies fossiles. -
«Un cas de racisme environnemental» : à l’approche de la COP30 à Belém, une favéla lutte pour accéder à l’eau potable
Amazonie l’évidence. Cette ville brésilienne qui s’apprête à accueillir la conférence mondiale sur le climat se rêve en carte postale aux portes de l’Amazonie. Mais les travaux destinés au sommet exacerbent la fracture entre les quartiers privilégiés et les favélas. De haute lutte, les plus pauvres ont arraché des promesses d’accès à l’eau. Vert s’est rendu sur place.