Reportage

À Charm el-Cheikh, la répression fait rage autour de la COP27

Depuis plusieurs semaines, les organisations de défense des droits humains tirent la sonnette d’alarme sur le climat de répression qui entoure la COP27, déjà marquée par des centaines d’arrestations. Portrait d’un sommet sous haute surveillance.
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La 27ème con­férence des Nations Unies (COP27) sur le cli­mat s’est ouverte ce dimanche en Égypte à Charm el-Cheikh, sur les bor­ds de la mer Rouge. La lux­ueuse sta­tion bal­néaire, très prisée par les touristes russ­es, a été trans­for­mée pour l’occasion : des voitures élec­triques bar­i­olées, des bus élec­triques flam­bants neufs et des pistes cyclables ont fait leur appari­tion le long des boule­vards, ornés de pan­car­tes aux couleurs de la COP.

Mais ce cadre fes­tif peine à mas­quer un cli­mat ten­du, mar­qué par un dis­posi­tif sécu­ri­taire hors norme. L’Égypte pré­pare depuis des mois un som­met sous haute sur­veil­lance : des cen­taines de caméras ont été instal­lées dans les taxis, un cor­don sécu­ri­taire a été mis en place pour fil­tr­er les entrées dans la ville, le pro­fil des employé·es de l’industrie touris­tique a été minu­tieuse­ment con­trôlé… Recon­naiss­ables au badge épinglé au revers de leur veste, des cen­taines d’agents des ser­vices de la sécu­rité intérieure bour­don­nent à tra­vers la ville, dans les grands hôtels, les trans­ports publics et sur le toit de cer­tains bâti­ments. Cer­tains s’invitent même dans les bus loués par les groupes de militant·es et de jour­nal­istes — dont l’autrice de ces lignes — pour les escorter.

Les pre­miers vis­i­teurs afflu­ent à l’entrée de la COP27, qui se déroule dans un gigan­tesque cen­tre de con­férences. © Lyse Mauvais/Vert

« Cette COP risque d’être la plus sur­veil­lée et la plus con­trôlée de l’histoire », affirme Hus­sein Baou­mi, chercheur spé­cial­iste de l’Égypte et la Libye pour l’ONG Amnesty Inter­na­tion­al. Comme lui, les asso­ci­a­tions de défense de droits de l’homme et les activistes aler­tent depuis des mois au sujet de la répres­sion des autorités égyp­ti­ennes, qui comptent bien éviter tout déra­page dans un pays où les man­i­fes­ta­tions sont depuis longtemps inter­dites et la société civile muselée.

Une ville sous haute surveillance

La province du sud-Sinaï où se situe Charm el-Cheikh vit désor­mais sous con­trôle sécu­ri­taire ren­for­cé. Les autorités égyp­ti­ennes ont fer­mé des dizaines de bou­tiques et mul­ti­plié les con­trôles sur les nom­breux employés de l’industrie touris­tique — il faut désor­mais un per­mis spé­cial pour tra­vailler dans cette zone. Bon nom­bre de tra­vailleurs locaux ont été expul­sés, rem­placés par des jour­naliers venus des qua­tre coins de l’Égypte. Quelques jours avant le som­met, les employés ont reçu pour instruc­tion de ne pas quit­ter leurs rési­dences après leurs horaires de tra­vail, et ce, pen­dant toute la durée de l’évènement.

« Les autorités jus­ti­fient toutes ces mesures par l’impératif de la sécu­rité », explique à Vert Hus­sein Baou­mi. Mais pour beau­coup de défenseur·ses des droits humains, l’argument sécu­ri­taire est fal­lac­i­eux. « Les autorités égyp­ti­ennes veu­lent surtout s’assurer que les par­tic­i­pants à la COP27 n’entrent pas en con­tact avec des Égyp­tiens nor­maux (sic), qui n’auraient pas été con­trôlés par les ser­vices de sécu­rité », a déclaré Mona Seif, la sœur d’Alaa Abdel Fat­tah — un pris­on­nier poli­tique actuelle­ment en grève de la faim — lors d’une dif­fu­sion en direct sur Twit­ter le 2 novem­bre.

Charm el-Cheikh est une sta­tion bal­néaire prin­ci­pale­ment con­nue pour ses lux­ueux hôtels. © Lyse Mauvais/Vert

Le choix de Charm el-Cheikh pour héberg­er le som­met n’est pas non plus anodin. « Les autorités aiment héberg­er les con­férences inter­na­tionales ici parce que c’est une zone éloignée de là où la plu­part des Égyp­tiens rési­dent, racon­te Mai El-Sadany, qui dirige l’Institut Tahrir des poli­tiques au Moyen-Ori­ent (TIMEP). Il est plus facile d’y impos­er des règles de sécu­rités con­traig­nantes ». Située sur la pointe sud de la déser­tique pénin­sule du Sinaï, à des cen­taines de kilo­mètres du Caire, la ville est surtout con­sti­tuée d’hôtels de luxe et de rési­dences pour les employés du secteur touris­tique.

Un parfum de dictature

« Depuis 2013, les autorités égyp­ti­ennes ont forte­ment réduit la lib­erté d’expression et de rassem­ble­ment. Elles ont arrêté des mil­liers de per­son­nes – pas seule­ment des activistes poli­tiques, mais aus­si des chercheurs, des artistes, des écrivains », ajoute Mai El-Sadany. La plu­part des ONG de défense des droits de l’homme con­sid­èrent l’Egypte comme l’une des pires dic­tatures au monde. Après le « print­emps arabe » qui a abouti à la des­ti­tu­tion de Moubarak en 2010, le pays est retombé, en 2013, sous le con­trôle de l’armée après le coup d’État qui a porté au pou­voir l’actuel prési­dent, le général Abdel Fat­tah al-Sis­si.

Depuis, plus de 60 000 pris­on­niers poli­tiques croupis­sent dans les pris­ons égyp­ti­ennes. La lib­erté de la presse, déjà réduite avant 2011, est désor­mais inex­is­tante : des cen­taines de médias et sites inter­net y sont inter­dits ou blo­qués, dont celui de Reporters sans fron­tières – qui décrit l’Égypte comme « l’une des plus grandes pris­ons pour jour­nal­istes au monde ».

Et les activistes envi­ron­nemen­taux ne sont pas épargnés. « Il faut bien com­pren­dre que toutes ces lois qui visent à restrein­dre le fonc­tion­nement des organ­i­sa­tions [de la société civile, NDLR] affectent aus­si la sphère envi­ron­nemen­tale, com­pliquent le tra­vail des chercheurs qui essaient de relever des don­nées, et lim­i­tent la capac­ité des activistes envi­ron­nemen­taux à cri­ti­quer le gou­verne­ment », souligne Mai El-Sadany.

À la COP, s’entretenir avec les militant·es égyptien·nes pour le cli­mat peut s’avérer com­pliqué. Beau­coup refusent de s’exprimer sur la sit­u­a­tion des droits humains dans le pays, de peur d’être perçus comme cri­tiques du gou­verne­ment : « Je ne peux pas vous par­ler. Vous con­nais­sez la sit­u­a­tion ici », s’excuse une activiste. Une autre se désole : « Depuis 2013, c’est de pire en pire chaque année ».

Des abus qui éclipsent le climat

C’est dans ce cli­mat délétère, dom­iné par la sus­pi­cion envers les acteurs non-gou­verne­men­taux, que la con­férence a été organ­isée. « Le gou­verne­ment n’a pas accrédité une seule organ­i­sa­tion indépen­dante de défense des droits pour la COP », rap­pelle Hus­sein Baou­mi. Selon lui, les quelques organ­i­sa­tions locales qui pour­ront assis­ter à la COP ont été triées sur le volet pour don­ner l’illusion que la société civile égyp­ti­enne serait représen­tée.

Dans les semaines précé­dant le lance­ment du som­met, les appels à man­i­fester le 11 novem­bre se sont mul­ti­pliés sur les réseaux soci­aux, plongeant l’appareil sécu­ri­taire égyp­tien dans un état d’effervescence. Dans les grandes villes du pays, des cen­taines de per­son­nes ont été arrêtées « préven­tive­ment » par des policiers en civ­il déployés dans les rues pour con­trôler les porta­bles et réseaux soci­aux des passant·es.

Comme celles et ceux qui aspirent à man­i­fester le 11 novem­bre, de nom­breux activistes espèrent prof­iter des yeux du monde rivés sur Charm el-Cheikh pour faire val­oir leurs droits. Le plus emblé­ma­tique d’entre eux est sans doute Alaa Abdel Fat­tah, un pris­on­nier poli­tique en grève par­tielle de la faim depuis le mois d’avril, dev­enue totale le 2 novem­bre. Le 6 novem­bre, jour de l’ouverture de la COP, il a égale­ment cessé de boire.

Sanaa Seif, la soeur d’Alaa Abdel-Fat­tah à la sor­tie de l’événe­ment sur “la jus­tice cli­ma­tique et les droits humains à la COP27 et au-delà” qui s’est tenu le 8 novem­bre dans le pavil­lon alle­mand en marge de la COP. © Gehad Hamdy/DPA Pic­ture-Alliance via AFP

« Alaa est dans un état de san­té cri­tique. Nous pen­sons qu’il sera hos­pi­tal­isé dans un jour ou deux et prob­a­ble­ment mort d’i­ci à la fin du mois, si rien ne change », a déclaré sa sœur Mona Seif le 2 novem­bre. Dénonçant le « green­wash­ing » des vio­la­tions des droits de l’homme en Egypte, plusieurs asso­ci­a­tions et activistes ont finale­ment choisi de boy­cotter la COP27, à l’image de la Sué­doise Gre­ta Thun­berg.

Des manifestations autorisées de 10 heures et 17 heures dans une zone à part de la COP

Pour une grande par­tie de la société civile, il était impor­tant d’organiser la COP sur le con­ti­nent africain, au plus près des pop­u­la­tions les plus touchées par les effets du boule­verse­ment du cli­mat. La COP28, qui se déroulera à Dubaï, devait aus­si per­me­t­tre de rap­procher les décideurs poli­tiques de la ligne de front du change­ment cli­ma­tique, et faire mon­ter la pres­sion sur les négo­ci­a­teurs.

Mais dans les faits, cette « COP Africaine » tant atten­due risque de se révéler encore plus inac­ces­si­ble et décon­nec­tée que les précé­dentes. En choi­sis­sant la lux­ueuse Charm el-Cheikh, puis l’outrageuse Dubaï pour héberg­er ces som­mets sur le cli­mat, les pays mem­bres l’ont ren­du inac­ces­si­ble finan­cière­ment aux ONG locales, aux activistes et aux jour­nal­istes. À Charm el-Cheikh, le prix de cer­taines cham­bres d’hô­tel a ain­si été mul­ti­plié par dix pen­dant la COP.

Enfin, le choix du pays hôte soulève de nom­breuses craintes sur l’inclusivité de cette COP, et sur la capac­ité des militant·es à exercer une pres­sion sur les décideur·ses poli­tiques durant les négo­ci­a­tions. Sous la pres­sion inter­na­tionale, la prési­dence de la COP a accep­té de met­tre en place une zone dédiée aux man­i­fes­ta­tions, qui ouvre ce mer­cre­di. Mais cette ini­tia­tive révèle un pro­fond décalage entre les attentes des militant·es écol­o­gistes et celles des organ­isa­teurs : c’est une zone isolée du cen­tre de la COP, dont l’accès est con­trôlé. Les man­i­fes­ta­tions n’y seront autorisées qu’entre 10 heures et 17 heures, et seule­ment si elles sont prévues au moins 36 heures à l’avance.

En dehors de cet espace ultra-asep­tisé, il sera dif­fi­cile, voire dan­gereux de descen­dre dans la rue. Les man­i­fes­ta­tions non autorisées seront sys­té­ma­tique­ment et bru­tale­ment réprimées. Hus­sein Baou­mi de rap­pel­er les risques encou­rus par les participant·es égyptien·nes : « La prin­ci­pale crainte pour les Égyp­tiens sur place aujourd’hui, c’est : “qu’arrivera-t-il à ceux qui ont cri­tiqué les autorités, une fois que les caméras seront repar­ties ?” ».

Cet arti­cle a été réal­isé avec le sou­tien du Cli­mate change part­ner­ship 2022, une bourse accordée à notre jour­nal­iste par le Earth jour­nal­ism net­work d’In­ternews et le Stan­ly cen­ter for peace and secu­ri­ty.