La 27ème conférence des Nations Unies (COP27) sur le climat s’est ouverte ce dimanche en Égypte à Charm el-Cheikh, sur les bords de la mer Rouge. La luxueuse station balnéaire, très prisée par les touristes russes, a été transformée pour l’occasion : des voitures électriques bariolées, des bus électriques flambants neufs et des pistes cyclables ont fait leur apparition le long des boulevards, ornés de pancartes aux couleurs de la COP.
Mais ce cadre festif peine à masquer un climat tendu, marqué par un dispositif sécuritaire hors norme. L’Égypte prépare depuis des mois un sommet sous haute surveillance : des centaines de caméras ont été installées dans les taxis, un cordon sécuritaire a été mis en place pour filtrer les entrées dans la ville, le profil des employé·es de l’industrie touristique a été minutieusement contrôlé… Reconnaissables au badge épinglé au revers de leur veste, des centaines d’agents des services de la sécurité intérieure bourdonnent à travers la ville, dans les grands hôtels, les transports publics et sur le toit de certains bâtiments. Certains s’invitent même dans les bus loués par les groupes de militant·es et de journalistes – dont l’autrice de ces lignes – pour les escorter.
« Cette COP risque d’être la plus surveillée et la plus contrôlée de l’histoire », affirme Hussein Baoumi, chercheur spécialiste de l’Égypte et la Libye pour l’ONG Amnesty International. Comme lui, les associations de défense de droits de l’homme et les activistes alertent depuis des mois au sujet de la répression des autorités égyptiennes, qui comptent bien éviter tout dérapage dans un pays où les manifestations sont depuis longtemps interdites et la société civile muselée.
Une ville sous haute surveillance
La province du sud-Sinaï où se situe Charm el-Cheikh vit désormais sous contrôle sécuritaire renforcé. Les autorités égyptiennes ont fermé des dizaines de boutiques et multiplié les contrôles sur les nombreux employés de l’industrie touristique – il faut désormais un permis spécial pour travailler dans cette zone. Bon nombre de travailleurs locaux ont été expulsés, remplacés par des journaliers venus des quatre coins de l’Égypte. Quelques jours avant le sommet, les employés ont reçu pour instruction de ne pas quitter leurs résidences après leurs horaires de travail, et ce, pendant toute la durée de l’évènement.
« Les autorités justifient toutes ces mesures par l’impératif de la sécurité », explique à Vert Hussein Baoumi. Mais pour beaucoup de défenseur·ses des droits humains, l’argument sécuritaire est fallacieux. « Les autorités égyptiennes veulent surtout s’assurer que les participants à la COP27 n’entrent pas en contact avec des Égyptiens normaux (sic), qui n’auraient pas été contrôlés par les services de sécurité », a déclaré Mona Seif, la sœur d’Alaa Abdel Fattah – un prisonnier politique actuellement en grève de la faim – lors d’une diffusion en direct sur Twitter le 2 novembre.
Le choix de Charm el-Cheikh pour héberger le sommet n’est pas non plus anodin. « Les autorités aiment héberger les conférences internationales ici parce que c’est une zone éloignée de là où la plupart des Égyptiens résident, raconte Mai El-Sadany, qui dirige l’Institut Tahrir des politiques au Moyen-Orient (TIMEP). Il est plus facile d’y imposer des règles de sécurités contraignantes ». Située sur la pointe sud de la désertique péninsule du Sinaï, à des centaines de kilomètres du Caire, la ville est surtout constituée d’hôtels de luxe et de résidences pour les employés du secteur touristique.
Un parfum de dictature
« Depuis 2013, les autorités égyptiennes ont fortement réduit la liberté d’expression et de rassemblement. Elles ont arrêté des milliers de personnes – pas seulement des activistes politiques, mais aussi des chercheurs, des artistes, des écrivains », ajoute Mai El-Sadany. La plupart des ONG de défense des droits de l’homme considèrent l’Egypte comme l’une des pires dictatures au monde. Après le « printemps arabe » qui a abouti à la destitution de Moubarak en 2010, le pays est retombé, en 2013, sous le contrôle de l’armée après le coup d’État qui a porté au pouvoir l’actuel président, le général Abdel Fattah al-Sissi.
Depuis, plus de 60 000 prisonniers politiques croupissent dans les prisons égyptiennes. La liberté de la presse, déjà réduite avant 2011, est désormais inexistante : des centaines de médias et sites internet y sont interdits ou bloqués, dont celui de Reporters sans frontières – qui décrit l’Égypte comme « l’une des plus grandes prisons pour journalistes au monde ».
Et les activistes environnementaux ne sont pas épargnés. « Il faut bien comprendre que toutes ces lois qui visent à restreindre le fonctionnement des organisations [de la société civile, NDLR] affectent aussi la sphère environnementale, compliquent le travail des chercheurs qui essaient de relever des données, et limitent la capacité des activistes environnementaux à critiquer le gouvernement », souligne Mai El-Sadany.
À la COP, s’entretenir avec les militant·es égyptien·nes pour le climat peut s’avérer compliqué. Beaucoup refusent de s’exprimer sur la situation des droits humains dans le pays, de peur d’être perçus comme critiques du gouvernement : « Je ne peux pas vous parler. Vous connaissez la situation ici », s’excuse une activiste. Une autre se désole : « Depuis 2013, c’est de pire en pire chaque année ».
Des abus qui éclipsent le climat
C’est dans ce climat délétère, dominé par la suspicion envers les acteurs non-gouvernementaux, que la conférence a été organisée. « Le gouvernement n’a pas accrédité une seule organisation indépendante de défense des droits pour la COP », rappelle Hussein Baoumi. Selon lui, les quelques organisations locales qui pourront assister à la COP ont été triées sur le volet pour donner l’illusion que la société civile égyptienne serait représentée.
Dans les semaines précédant le lancement du sommet, les appels à manifester le 11 novembre se sont multipliés sur les réseaux sociaux, plongeant l’appareil sécuritaire égyptien dans un état d’effervescence. Dans les grandes villes du pays, des centaines de personnes ont été arrêtées « préventivement » par des policiers en civil déployés dans les rues pour contrôler les portables et réseaux sociaux des passant·es.
Comme celles et ceux qui aspirent à manifester le 11 novembre, de nombreux activistes espèrent profiter des yeux du monde rivés sur Charm el-Cheikh pour faire valoir leurs droits. Le plus emblématique d’entre eux est sans doute Alaa Abdel Fattah, un prisonnier politique en grève partielle de la faim depuis le mois d’avril, devenue totale le 2 novembre. Le 6 novembre, jour de l’ouverture de la COP, il a également cessé de boire.
« Alaa est dans un état de santé critique. Nous pensons qu’il sera hospitalisé dans un jour ou deux et probablement mort d’ici à la fin du mois, si rien ne change », a déclaré sa sœur Mona Seif le 2 novembre. Dénonçant le « greenwashing » des violations des droits de l’homme en Egypte, plusieurs associations et activistes ont finalement choisi de boycotter la COP27, à l’image de la Suédoise Greta Thunberg.
Des manifestations autorisées de 10 heures et 17 heures dans une zone à part de la COP
Pour une grande partie de la société civile, il était important d’organiser la COP sur le continent africain, au plus près des populations les plus touchées par les effets du bouleversement du climat. La COP28, qui se déroulera à Dubaï, devait aussi permettre de rapprocher les décideurs politiques de la ligne de front du changement climatique, et faire monter la pression sur les négociateurs.
Mais dans les faits, cette « COP Africaine » tant attendue risque de se révéler encore plus inaccessible et déconnectée que les précédentes. En choisissant la luxueuse Charm el-Cheikh, puis l’outrageuse Dubaï pour héberger ces sommets sur le climat, les pays membres l’ont rendu inaccessible financièrement aux ONG locales, aux activistes et aux journalistes. À Charm el-Cheikh, le prix de certaines chambres d’hôtel a ainsi été multiplié par dix pendant la COP.
Enfin, le choix du pays hôte soulève de nombreuses craintes sur l’inclusivité de cette COP, et sur la capacité des militant·es à exercer une pression sur les décideur·ses politiques durant les négociations. Sous la pression internationale, la présidence de la COP a accepté de mettre en place une zone dédiée aux manifestations, qui ouvre ce mercredi. Mais cette initiative révèle un profond décalage entre les attentes des militant·es écologistes et celles des organisateurs : c’est une zone isolée du centre de la COP, dont l’accès est contrôlé. Les manifestations n’y seront autorisées qu’entre 10 heures et 17 heures, et seulement si elles sont prévues au moins 36 heures à l’avance.
En dehors de cet espace ultra-aseptisé, il sera difficile, voire dangereux de descendre dans la rue. Les manifestations non autorisées seront systématiquement et brutalement réprimées. Hussein Baoumi de rappeler les risques encourus par les participant·es égyptien·nes : « La principale crainte pour les Égyptiens sur place aujourd’hui, c’est : “qu’arrivera-t-il à ceux qui ont critiqué les autorités, une fois que les caméras seront reparties ?” ».
Cet article a été réalisé avec le soutien du Climate change partnership 2022, une bourse accordée à notre journaliste par le Earth journalism network d’Internews et le Stanly center for peace and security.
À lire aussi
-
À l’ouverture de la COP27, les pays du Sud mettent le Nord sous pression
Près de 100 chef·fes d’État et de gouvernement ont fait le déplacement jusqu’à Charm el-Cheikh pour l’ouverture officielle de la 27ème conférence des Nations unies (COP27) sur le climat. Après une année de catastrophes climatiques, les pays pauvres clament l’urgence de nouveaux moyens financiers, tandis que le Nord temporise. -
Adaptation ? Pertes et dommages ? L’abécédaire pour comprendre la COP27
Un peu trop COPliqué ? Comme l’année dernière Vert a préparé un abécédaire de la COP27, qui s’est ouverte ce dimanche à Charm el-Cheikh (Égypte), pour mieux comprendre les enjeux qui seront évoqués pendant ces deux semaines de négociations sur le climat.