Décryptage

COP28 : un accord «historique» sur les énergies fossiles, mais pour qui ?

COP de fin. À Dubaï, pour la première fois de l’histoire, un texte de conférence mondiale sur le climat pointe clairement du doigt les énergies fossiles. Mais en laissant la porte ouverte à des technologies hasardeuses et faute de financements suffisants pour les pays du Sud, la COP28 aura encore ménagé les principaux contributeurs à la crise climatique : les pays occidentaux et leurs fournisseurs de charbon, de gaz et de pétrole.
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«En l’ab­sence d’ob­jec­tion, le texte est ain­si adop­té». Coup de marteau. Les applaud­isse­ments nour­ris des délégué·es de quelque 200 pays réson­nent fort dans la salle qui accueille la dernière séance plénière du 28ème som­met mon­di­al (COP28) sur le cli­mat de Dubaï (Émi­rats Arabes Unis), entamée deux semaines plus tôt. Dehors, la poignée de jeunes activistes resté·es jusqu’au bout n’est pas du même avis : «C’est un coup de couteau dans le dos après qu’on nous avait promis une vic­toire his­torique», dés­espère Mitzi Jonelle Tan, mil­i­tante philip­pine du mou­ve­ment Fri­days for future.

Pen­dant deux semaines, mal­gré les restric­tions inédites qu’elles ont subies (notre arti­cle), les ONG auront ten­té de peser de tout leur poids sur les négo­ci­a­tions pour obtenir une tran­si­tion «rapi­de, juste et financée».

Une poignée d’activistes se sont rassem­blés devant l’entrée de la COP28 au moment de la dernière séance plénière. © Andrea DiCen­zo / COP28

Il faut dire que l’espoir a gran­di, dans les derniers jours de cette «COP des fos­siles». Organ­isée aux Émi­rats arabes unis et présidée par le dirigeant de la com­pag­nie pétrolière nationale, Sul­tan Al Jaber, elle a placé sous le feu des pro­jecteurs les éner­gies à la source de la crise cli­ma­tique comme jamais aupar­a­vant. Sans toute­fois aller aus­si loin que beau­coup l’espéraient.

On fait le bilan, calmement

Clé de voûte de ces négo­ci­a­tions, le «bilan mon­di­al» («glob­al stock­take») a été âpre­ment négo­cié jusqu’au bout. Adop­té ce mer­cre­di matin, il passe en revue huit années d’action cli­ma­tique depuis l’accord de Paris (2015) et for­mule des recom­man­da­tions qui devront désor­mais guider la poli­tique intérieure des pays.

Ceux-ci ont d’ailleurs ren­dez-vous dès novem­bre 2024 pour soumet­tre à l’ONU leurs nou­velles feuilles de route cli­ma­tiques à 2035. Le but : trou­ver com­ment respecter l’objectif de l’accord de Paris : con­tenir le réchauf­fe­ment à moins de 1,5°C, ques­tion de vie ou de mort pour des mil­lions d’êtres humains. S’il y a huit ans, l’inaction des Etats nous promet­tait un réchauf­fe­ment apoc­a­lyp­tique de 4°C d’ici la fin du siè­cle, les poli­tiques en place sont encore trop faibles et nous met­tent aujour­d’hui sur la voie de 2,1°C à 2,8°C, pré­cise le texte.

Les ONG salu­ent toute­fois le fait que le texte final insiste sur «les respon­s­abil­ités com­munes, mais dif­féren­ciées» des Etats dans l’urgence actuelle, et prenne en compte «les capac­ités respec­tives de cha­cun» dans la lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique

Impossible n’est pas fossile ?

«Après 30 ans à se voil­er la face, c’est la pre­mière fois qu’on recon­naît le rôle des éner­gies fos­siles dans le change­ment cli­ma­tique», a salué Jean Su, co-direc­trice du Réseau action cli­mat inter­na­tion­al (CAN). Diplo­matie oblige, le texte évite soigneuse­ment l’utilisation du verbe «sor­tir» («phase out»), tout en allant plus loin qu’une sim­ple «réduc­tion» («phase down»). Il «appelle» donc les pays à «tran­si­tion­ner hors des éner­gies fos­siles» («tran­si­tion away from fos­sil fuels») et «à accélér­er l’action dans cette décen­nie cri­tique pour attein­dre la neu­tral­ité car­bone en 2050, en lien avec la sci­ence».

«Une façon élé­gante de sat­is­faire tous les pays», tout en posant des «repères clairs sur la fin de l’ère des fos­siles», souligne Ed King, expert bri­tan­nique des négo­ci­a­tions sur le cli­mat. Reste à voir com­ment les marchés inter­préteront cette for­mule.

Redoutables renouvelables !

Cette tran­si­tion passera notam­ment par un «triple­ment des capac­ités d’énergies renou­ve­lables et un dou­ble­ment de l’efficacité énergé­tique d’ici à 2030». Des objec­tifs aux­quels 123 pays ont déjà offi­cielle­ment souscrit.

Le nucléaire se glisse lui aus­si pour la pre­mière fois dans un texte de COP aux côtés d’autres tech­nolo­gies bas-car­bone. 23 pays, dont la France, se sont engagés à tripler les capac­ités de l’atome dans le monde d’ici à 2050.

Pour rap­pel, le dernier rap­port du GIEC envis­age une hausse de la part du nucléaire dans le mix énergé­tique mon­di­al de 90% entre 2019 et 2050 pour espér­er main­tenir le réchauf­fe­ment à 1,5°C. En com­para­i­son, les éner­gies renou­ve­lables devront croître de 225% d’ici à 2030 et 725% en 2050.

Ça sent le gaz

Mal­gré des sig­naux clairs, le texte souf­fre de graves failles. Un pas­sage «recon­nait» notam­ment que «la tran­si­tion peut être facil­itée par les com­bustibles de tran­si­tion». «C’est le nom de code du gaz, explique Jean Su. Et c’est surtout une vic­toire pour des pays comme les États-Unis et d’autres grands pro­duc­teurs de com­bustibles fos­siles».

Loin d’être com­plète­ment hors-jeu, le char­bon (l’énergie fos­sile la plus nocive pour le cli­mat) est sim­ple­ment visé par une «accéléra­tion des efforts pour dimin­uer sa pro­duc­tion, hors tech­nolo­gies de stock­age».

Ces tech­nolo­gies de cap­ture du car­bone — peu matures et extrême­ment coû­teuses — con­tin­u­ent d’inquiéter les expert·es, qui craig­nent qu’elles ne soient util­isées pour pro­longer la pro­duc­tion d’énergies fos­siles. Même si le texte pré­cise qu’elles doivent être fléchées «en par­ti­c­uli­er», vers les secteurs «durs à décar­bon­er», tels que l’industrie.

En colère, la déléguée des îles Samoa et représen­tante des petits Etats insu­laires, s’est désolée de cette «litanie de lacunes», con­va­in­cue qu’«elles lais­sent la porte ouverte à plus d’énergies fos­siles».

La déléguée des Samoa reçoit une ova­tion après son dis­cours lors de la séance de clô­ture de la COP28. © Christo­pher Edralin / UNCC

Pertes… et profits

La COP28 avait démar­ré en trombe, scel­lant, dès son ouver­ture, l’opérationnalisation d’un fonds pour la répa­ra­tion des «pertes et dom­mages» — les destruc­tions causées par le change­ment cli­ma­tique dans les pays les plus vul­nérables. Fan­ny Petit­bon, respon­s­able de plaidoy­er pour l’ONG Care France, savourait alors «l’aboutissement de 30 ans de lutte acharnée par les pays en développe­ment qui cri­aient à l’aide» (notre arti­cle).

Une fois passée la joie, les ONG ont pointé du doigt les promess­es faméliques des pays du Nord : quelque 700 mil­lions de dol­lars, quand les besoins sont estimés entre 290 et 580 mil­liards de dol­lars (entre 265 et 531M€) par an pour les pays du Sud d’ici à 2030.

Le finance­ment de la tran­si­tion dans les pays en développe­ment n’est pas plus reluisant : «les pays rich­es dis­ent qu’ils veu­lent une sor­tie glob­ale des éner­gies fos­siles, mais ils refusent de la financer», selon le directeur de Pow­er­Shift Africa, Mohamed Adow.

Plusieurs gou­verne­ments, dont la France, se sont con­sti­tués en task force et promet­tent d’avancer sur un pro­jet de tax­a­tion inter­na­tionale qui pour­rait cibler les éner­gies fos­siles d’ici à la COP30, prévue au Brésil en 2025. Au cours des 12 journées de COP, le secteur aura accu­mulé plus de 95 mil­liards de dol­lars de prof­its, rap­pelle l’ONG Ener­gy Prof­its dans un cru­el décompte.

Les 100 mil­liards de dol­lars par an de finance­ments cli­ma­tiques promis aux pays du Sud à par­tir de 2020 vien­nent d’être atteint avec trois ans de retard, selon des don­nées pro­vi­soires de l’OCDE et il est déjà l’heure de négoci­er l’objectif post-2025.

Adaptation n’est pas raison

C’est l’autre gros dossier de cette COP28, notam­ment pour les pays du Sud : la créa­tion d’un cadre mon­di­al pour l’adaptation au change­ment cli­ma­tique. L’enjeu : définir des objec­tifs lis­i­bles sur la ges­tion durable de l’eau, l’a­gri­cul­ture, ou encore la résilience des infra­struc­tures. Et quels moyens leur attribuer. Là encore, le bât aura blessé

Le texte prévoit de dou­bler les finance­ments pour l’adaptation au change­ment cli­ma­tique d’ici à 2025, les faisant pass­er de 20 à 40 mil­liards de dol­lars par an. Ce serait encore dix fois moins que les besoins estimés par l’ONU dans un récent rap­port.

Pen­dant les deux semaines de la COP28, les sommes promis­es par les pays rich­es auront été «dérisoires», selon Guil­laume Com­pain, spé­cial­iste du cli­mat chez Oxfam France. Le sujet des finances sera au cœur des dis­cus­sions lors de la COP29, qui se tien­dra en Azer­baïd­jan l’an prochain.

Le sul­tan Al Jaber, prési­dent de la COP28, Simon Stiell, secré­taire exé­cu­tif de la CCNUCC et d’autres délégués, applaud­is­sent sur scène lors de la clô­ture de la COP28. © Christo­pher Edralin / UNCC

Que retenir de cette COP28 ?

«Le fait que Sul­tan Al Jaber soit cadre d’une com­pag­nie pétrolière et que nous ayons vu un nom­bre record de lob­bies des com­bustibles fos­siles a en fait joué en faveur de la société civile mon­di­ale, estime Jean Su, parce qu’elle a finale­ment tiré les éner­gies fos­siles sur le devant de la scène et for­cé les dirigeant·es à s’en occu­per. C’est à la fois une ironie et une chance pour nous, après 30 ans de négo­ci­a­tions sur le cli­mat».

La présence inédite de près de 2 500 représentant·es de l’industrie fos­sile et les pres­sions exer­cées par les pays pro­duc­teurs de pét­role n’auront pas empêché le char­bon, le pét­role et le gaz d’être enfin mis­es au cen­tre de l’arène. Mais le jeu de la diplo­matie aura forte­ment tié­di les ardeurs des quelque 130 pays les plus offen­sifs, et des cen­taines d’ONG rassem­blée sous la ban­nière du Réseau cli­mat inter­na­tion­al.

Ce mer­cre­di matin, l’activiste philip­pin et mem­bre du CAN Ger­ry Arances, résumait le sen­ti­ment doux-amer d’une grande par­tie des obser­va­teurs. «Il y a du pro­grès», mais les pays plus vul­nérables ont «tou­jours un pied dans la tombe».

Pho­to d’il­lus­tra­tion : © Antho­ny Fley­han / UNCC