«En l’absence d’objection, le texte est ainsi adopté». Coup de marteau. Les applaudissements nourris des délégué·es de quelque 200 pays résonnent fort dans la salle qui accueille la dernière séance plénière du 28ème sommet mondial (COP28) sur le climat de Dubaï (Émirats Arabes Unis), entamée deux semaines plus tôt. Dehors, la poignée de jeunes activistes resté·es jusqu’au bout n’est pas du même avis : «C’est un coup de couteau dans le dos après qu’on nous avait promis une victoire historique», désespère Mitzi Jonelle Tan, militante philippine du mouvement Fridays for future.
Pendant deux semaines, malgré les restrictions inédites qu’elles ont subies (notre article), les ONG auront tenté de peser de tout leur poids sur les négociations pour obtenir une transition «rapide, juste et financée».
Il faut dire que l’espoir a grandi, dans les derniers jours de cette «COP des fossiles». Organisée aux Émirats arabes unis et présidée par le dirigeant de la compagnie pétrolière nationale, Sultan Al Jaber, elle a placé sous le feu des projecteurs les énergies à la source de la crise climatique comme jamais auparavant. Sans toutefois aller aussi loin que beaucoup l’espéraient.
On fait le bilan, calmement
Clé de voûte de ces négociations, le «bilan mondial» («global stocktake») a été âprement négocié jusqu’au bout. Adopté ce mercredi matin, il passe en revue huit années d’action climatique depuis l’accord de Paris (2015) et formule des recommandations qui devront désormais guider la politique intérieure des pays.
Ceux-ci ont d’ailleurs rendez-vous dès novembre 2024 pour soumettre à l’ONU leurs nouvelles feuilles de route climatiques à 2035. Le but : trouver comment respecter l’objectif de l’accord de Paris : contenir le réchauffement à moins de 1,5°C, question de vie ou de mort pour des millions d’êtres humains. S’il y a huit ans, l’inaction des Etats nous promettait un réchauffement apocalyptique de 4°C d’ici la fin du siècle, les politiques en place sont encore trop faibles et nous mettent aujourd’hui sur la voie de 2,1°C à 2,8°C, précise le texte.
Les ONG saluent toutefois le fait que le texte final insiste sur «les responsabilités communes, mais différenciées» des Etats dans l’urgence actuelle, et prenne en compte «les capacités respectives de chacun» dans la lutte contre le changement climatique
Impossible n’est pas fossile ?
«Après 30 ans à se voiler la face, c’est la première fois qu’on reconnaît le rôle des énergies fossiles dans le changement climatique», a salué Jean Su, co-directrice du Réseau action climat international (CAN). Diplomatie oblige, le texte évite soigneusement l’utilisation du verbe «sortir» («phase out»), tout en allant plus loin qu’une simple «réduction» («phase down»). Il «appelle» donc les pays à «transitionner hors des énergies fossiles» («transition away from fossil fuels») et «à accélérer l’action dans cette décennie critique pour atteindre la neutralité carbone en 2050, en lien avec la science».
«Une façon élégante de satisfaire tous les pays», tout en posant des «repères clairs sur la fin de l’ère des fossiles», souligne Ed King, expert britannique des négociations sur le climat. Reste à voir comment les marchés interpréteront cette formule.
Redoutables renouvelables !
Cette transition passera notamment par un «triplement des capacités d’énergies renouvelables et un doublement de l’efficacité énergétique d’ici à 2030». Des objectifs auxquels 123 pays ont déjà officiellement souscrit.
Le nucléaire se glisse lui aussi pour la première fois dans un texte de COP aux côtés d’autres technologies bas-carbone. 23 pays, dont la France, se sont engagés à tripler les capacités de l’atome dans le monde d’ici à 2050.
Pour rappel, le dernier rapport du GIEC envisage une hausse de la part du nucléaire dans le mix énergétique mondial de 90% entre 2019 et 2050 pour espérer maintenir le réchauffement à 1,5°C. En comparaison, les énergies renouvelables devront croître de 225% d’ici à 2030 et 725% en 2050.
Ça sent le gaz
Malgré des signaux clairs, le texte souffre de graves failles. Un passage «reconnait» notamment que «la transition peut être facilitée par les combustibles de transition». «C’est le nom de code du gaz, explique Jean Su. Et c’est surtout une victoire pour des pays comme les États-Unis et d’autres grands producteurs de combustibles fossiles».
Loin d’être complètement hors-jeu, le charbon (l’énergie fossile la plus nocive pour le climat) est simplement visé par une «accélération des efforts pour diminuer sa production, hors technologies de stockage».
Ces technologies de capture du carbone – peu matures et extrêmement coûteuses – continuent d’inquiéter les expert·es, qui craignent qu’elles ne soient utilisées pour prolonger la production d’énergies fossiles. Même si le texte précise qu’elles doivent être fléchées «en particulier», vers les secteurs «durs à décarboner», tels que l’industrie.
En colère, la déléguée des îles Samoa et représentante des petits Etats insulaires, s’est désolée de cette «litanie de lacunes», convaincue qu’«elles laissent la porte ouverte à plus d’énergies fossiles».
Pertes… et profits
La COP28 avait démarré en trombe, scellant, dès son ouverture, l’opérationnalisation d’un fonds pour la réparation des «pertes et dommages» – les destructions causées par le changement climatique dans les pays les plus vulnérables. Fanny Petitbon, responsable de plaidoyer pour l’ONG Care France, savourait alors «l’aboutissement de 30 ans de lutte acharnée par les pays en développement qui criaient à l’aide» (notre article).
Une fois passée la joie, les ONG ont pointé du doigt les promesses faméliques des pays du Nord : quelque 700 millions de dollars, quand les besoins sont estimés entre 290 et 580 milliards de dollars (entre 265 et 531M€) par an pour les pays du Sud d’ici à 2030.
Le financement de la transition dans les pays en développement n’est pas plus reluisant : «les pays riches disent qu’ils veulent une sortie globale des énergies fossiles, mais ils refusent de la financer», selon le directeur de PowerShift Africa, Mohamed Adow.
Plusieurs gouvernements, dont la France, se sont constitués en task force et promettent d’avancer sur un projet de taxation internationale qui pourrait cibler les énergies fossiles d’ici à la COP30, prévue au Brésil en 2025. Au cours des 12 journées de COP, le secteur aura accumulé plus de 95 milliards de dollars de profits, rappelle l’ONG Energy Profits dans un cruel décompte.
Les 100 milliards de dollars par an de financements climatiques promis aux pays du Sud à partir de 2020 viennent d’être atteint avec trois ans de retard, selon des données provisoires de l’OCDE et il est déjà l’heure de négocier l’objectif post-2025.
Adaptation n’est pas raison
C’est l’autre gros dossier de cette COP28, notamment pour les pays du Sud : la création d’un cadre mondial pour l’adaptation au changement climatique. L’enjeu : définir des objectifs lisibles sur la gestion durable de l’eau, l’agriculture, ou encore la résilience des infrastructures. Et quels moyens leur attribuer. Là encore, le bât aura blessé
Le texte prévoit de doubler les financements pour l’adaptation au changement climatique d’ici à 2025, les faisant passer de 20 à 40 milliards de dollars par an. Ce serait encore dix fois moins que les besoins estimés par l’ONU dans un récent rapport.
Pendant les deux semaines de la COP28, les sommes promises par les pays riches auront été «dérisoires», selon Guillaume Compain, spécialiste du climat chez Oxfam France. Le sujet des finances sera au cœur des discussions lors de la COP29, qui se tiendra en Azerbaïdjan l’an prochain.
Que retenir de cette COP28 ?
«Le fait que Sultan Al Jaber soit cadre d’une compagnie pétrolière et que nous ayons vu un nombre record de lobbies des combustibles fossiles a en fait joué en faveur de la société civile mondiale, estime Jean Su, parce qu’elle a finalement tiré les énergies fossiles sur le devant de la scène et forcé les dirigeant·es à s’en occuper. C’est à la fois une ironie et une chance pour nous, après 30 ans de négociations sur le climat».
La présence inédite de près de 2 500 représentant·es de l’industrie fossile et les pressions exercées par les pays producteurs de pétrole n’auront pas empêché le charbon, le pétrole et le gaz d’être enfin mises au centre de l’arène. Mais le jeu de la diplomatie aura fortement tiédi les ardeurs des quelque 130 pays les plus offensifs, et des centaines d’ONG rassemblée sous la bannière du Réseau climat international.
Ce mercredi matin, l’activiste philippin et membre du CAN Gerry Arances, résumait le sentiment doux-amer d’une grande partie des observateurs. «Il y a du progrès», mais les pays plus vulnérables ont «toujours un pied dans la tombe».
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Photo d’illustration : © Anthony Fleyhan / UNCC