Décryptage

2 500 lobbyistes des énergies fossiles à la COP28 sur le climat, un record absolu

Au moins 2 456 représentants de l’industrie fossile ont été autorisés à participer au sommet mondial sur le climat à Dubaï, dévoile la coalition Kick Big Polluters Out (KBPO). C’est quatre fois plus que le précédent record. Le Français TotalEnergies a envoyé 12 salarié·es, selon notre décompte. Décryptage.
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«On va les dégager de cette COP, on va les dégager de nos com­mu­nautés!» L’ambiance est élec­trique, ce mar­di matin, à l’entrée de la COP28 à Dubaï. Des représentant·es de pays vul­nérables et de peu­ples autochtones vien­nent don­ner de la voix après l’annonce du nom­bre de lob­by­istes à la COP28. «À cause de cette indus­trie, il y aura bien­tôt 1,2 mil­liard de per­son­nes déplacées», s’époumone, poing levé, Keury Rodriguez, Por­tor­i­caine et mem­bre du peu­ple autochtone Taino. «Nous ne sommes pas sim­ple­ment des per­son­nes déplacées, nous avons été déplacés !». La cible de la jeune femme, comme des autres activistes : les géants du gaz et du pét­role.

Keury Rodriguez, mardi matin devant l’entrée de la COP28. © Loup Espargilière/Vert

Si les lob­by­istes des éner­gies fos­siles étaient un pays, ils compteraient la troisième plus grande délé­ga­tion après les Emi­rats Arabes unis et le Brésil. Les représentant·es d’intérêts du char­bon, du pét­role et du gaz sont 2 456 à avoir obtenu une accrédi­ta­tion à la COP28 sur le cli­mat qui se déroule en ce moment à Dubaï, selon l’analyse de la coali­tion Kick big pol­luters out (KBPO), qui regroupe 450 organ­i­sa­tions non gou­verne­men­tales spé­cial­isées dans la trans­parence, dont Glob­al Wit­ness, Cor­po­rate Account­abil­i­ty et Cor­po­rate Europe Obser­va­to­ry.

On compte plus de lob­by­istes de l’industrie fos­sile que de délégué·es des dix pays les plus vul­nérables au change­ment cli­ma­tique com­binés, dont le Soudan ou les Ton­ga. Et sept fois plus que les mem­bres de peu­ples autochtones accrédités à la COP28 (316).

Le précé­dent record, qui date seule­ment de la COP27, organ­isée en 2022 à Charm el-Cheikh (Egypte) était qua­tre fois moin­dre, avec 636 lob­by­istes accrédités.

TotalEnergies en bonne place

Le groupe français Total­En­er­gies a envoyé 12 per­son­nes, selon notre décompte. Inter­rogé par Vert, la multi­na­tionale veut «dis­siper d’éventuels fan­tasmes de “lob­by­ing pétroli­er” à la COP», explique Paul Naveau, du ser­vice presse. «En tant qu’entreprise du secteur de l’énergie, Total­En­er­gies a été invitée à la COP 28 par la Prési­dence émi­ratie.» Aucun salarié ne fig­ure en réal­ité dans les invités du pays hôte, mais six d’en­tre eux, dont son PDG Patrick Pouyan­né, sont accrédité·es dans la délé­ga­tion française, comme nous l’avons con­staté sur la liste des participant·es pub­liée par les Nations unies.

Patrick Pouyan­né, PDG de Total­En­er­gies arrive au pavil­lon de l’As­so­ci­a­tion inter­na­tionale pour l’échange de droits d’émis­sions (IETA) pen­dant la COP27 à Charm-el-Cheikh en novem­bre 2022 © Fayez Nurel­dine / AFP

Six autres le sont au tra­vers d’associations d’entreprises, comme l’International Emis­sions Trad­ing Asso­ci­a­tion (IETA), l’International Petro­le­um Indus­try Envi­ron­men­tal Con­ser­va­tion Asso­ci­a­tion (IPIECA), Entre­pris­es pour l’En­vi­ron­nement (EPE), Comité21 et Busi­ness Europe. «La présence de ces six experts s’in­scrit dans le cadre de leur adhé­sion au long cours aux asso­ci­a­tions. Toutes ces asso­ci­a­tions sont dédiées aux ques­tions de tran­si­tion énergé­tique et au sou­tien des objec­tifs de l’Accord de Paris», nous explique encore Total­En­er­gies.

KBPO analyse en effet qu’«un grand nom­bre de lob­by­istes des éner­gies fos­siles ont eu accès à la COP dans le cadre d’une asso­ci­a­tion com­mer­ciale». Ain­si, l’As­so­ci­a­tion inter­na­tionale pour l’échange de quo­tas d’émis­sion (IETA), basée à Genève et plus grande asso­ci­a­tion du genre, a per­mis l’entrée de 116 per­son­nes, dont les représen­tants de Total­En­er­gies, mais aus­si Shell ou la société norvégi­en­ne Equinor.

Pourquoi vouloir assis­ter à la COP28 sur le cli­mat ? «Les sujets abor­dés lors de ces événe­ments sont au cœur de l’ambition de la Com­pag­nie et nos experts y assis­tent pour suiv­re les échanges et soutenir les actions col­lec­tives de pro­grès qui y sont présen­tées, répond Total­En­er­gies à Vert. Il va de soi que per­son­ne chez Total­En­er­gies ne par­ticipe de quelque manière que ce soit aux négo­ci­a­tions entre les Etats, ni n’a accès aux espaces de négo­ci­a­tions.» Le groupe avance par exem­ple son sou­tien à un fonds de la Banque mon­di­ale pour lut­ter con­tre les émis­sions de méthane et un accord d’investissement pour le pro­jet Mirny au Kaza­khstan (1 GW de pro­jet éolien géant avec bat­ter­ies), con­clu en marge de la COP28.

«Un brouillard de déni climatique»

Un avis que ne parta­gent pas les acteurs de la société civile, qui aler­tent depuis des années sur l’influence des éner­gies fos­siles à la COP. C’est le cas de la cofon­da­trice de Start Empow­er­ment, Alex­ia Leclerq : «Vous pensez vrai­ment que Shell, Chevron ou Exxon­Mo­bil envoient des lob­by­istes pour observ­er pas­sive­ment ces négo­ci­a­tions ? […] La présence empoi­son­née des grands pol­lueurs nous enlise depuis des années. C’est à cause d’eux que la COP28 est plongée dans un brouil­lard de déni cli­ma­tique, et non dans la réal­ité cli­ma­tique».

Même son de cloche chez Muhammed Lamin Saidykhan, respon­s­able du Réseau Action cli­mat inter­na­tion­al : «La fenêtre de préser­va­tion d’une planète viv­able se referme rapi­de­ment. Dans le même temps, un nom­bre tou­jours plus impor­tant de grands pol­lueurs sont autorisés à se promen­er lors de ce som­met, que les com­mu­nautés en pre­mière ligne ne peu­vent se per­me­t­tre de voir échouer une fois de plus».

Si les entre­pris­es des éner­gies fos­siles con­cen­trent tous les regards, d’autres indus­tries pol­lu­antes sont représen­tées à la COP, de l’aviation à la finance, en pas­sant par l’agro-industrie.