«On va les dégager de cette COP, on va les dégager de nos communautés!» L’ambiance est électrique, ce mardi matin, à l’entrée de la COP28 à Dubaï. Des représentant·es de pays vulnérables et de peuples autochtones viennent donner de la voix après l’annonce du nombre de lobbyistes à la COP28. «À cause de cette industrie, il y aura bientôt 1,2 milliard de personnes déplacées», s’époumone, poing levé, Keury Rodriguez, Portoricaine et membre du peuple autochtone Taino. «Nous ne sommes pas simplement des personnes déplacées, nous avons été déplacés !». La cible de la jeune femme, comme des autres activistes : les géants du gaz et du pétrole.
Si les lobbyistes des énergies fossiles étaient un pays, ils compteraient la troisième plus grande délégation après les Emirats Arabes unis et le Brésil. Les représentant·es d’intérêts du charbon, du pétrole et du gaz sont 2 456 à avoir obtenu une accréditation à la COP28 sur le climat qui se déroule en ce moment à Dubaï, selon l’analyse de la coalition Kick big polluters out (KBPO), qui regroupe 450 organisations non gouvernementales spécialisées dans la transparence, dont Global Witness, Corporate Accountability et Corporate Europe Observatory.
On compte plus de lobbyistes de l’industrie fossile que de délégué·es des dix pays les plus vulnérables au changement climatique combinés, dont le Soudan ou les Tonga. Et sept fois plus que les membres de peuples autochtones accrédités à la COP28 (316).
Le précédent record, qui date seulement de la COP27, organisée en 2022 à Charm el-Cheikh (Egypte) était quatre fois moindre, avec 636 lobbyistes accrédités.
TotalEnergies en bonne place
Le groupe français TotalEnergies a envoyé 12 personnes, selon notre décompte. Interrogé par Vert, la multinationale veut «dissiper d’éventuels fantasmes de “lobbying pétrolier” à la COP», explique Paul Naveau, du service presse. «En tant qu’entreprise du secteur de l’énergie, TotalEnergies a été invitée à la COP 28 par la Présidence émiratie.» Aucun salarié ne figure en réalité dans les invités du pays hôte, mais six d’entre eux, dont son PDG Patrick Pouyanné, sont accrédité·es dans la délégation française, comme nous l’avons constaté sur la liste des participant·es publiée par les Nations unies.
Six autres le sont au travers d’associations d’entreprises, comme l’International Emissions Trading Association (IETA), l’International Petroleum Industry Environmental Conservation Association (IPIECA), Entreprises pour l’Environnement (EPE), Comité21 et Business Europe. «La présence de ces six experts s’inscrit dans le cadre de leur adhésion au long cours aux associations. Toutes ces associations sont dédiées aux questions de transition énergétique et au soutien des objectifs de l’Accord de Paris», nous explique encore TotalEnergies.
KBPO analyse en effet qu’«un grand nombre de lobbyistes des énergies fossiles ont eu accès à la COP dans le cadre d’une association commerciale». Ainsi, l’Association internationale pour l’échange de quotas d’émission (IETA), basée à Genève et plus grande association du genre, a permis l’entrée de 116 personnes, dont les représentants de TotalEnergies, mais aussi Shell ou la société norvégienne Equinor.
Pourquoi vouloir assister à la COP28 sur le climat ? «Les sujets abordés lors de ces événements sont au cœur de l’ambition de la Compagnie et nos experts y assistent pour suivre les échanges et soutenir les actions collectives de progrès qui y sont présentées, répond TotalEnergies à Vert. Il va de soi que personne chez TotalEnergies ne participe de quelque manière que ce soit aux négociations entre les Etats, ni n’a accès aux espaces de négociations.» Le groupe avance par exemple son soutien à un fonds de la Banque mondiale pour lutter contre les émissions de méthane et un accord d’investissement pour le projet Mirny au Kazakhstan (1 GW de projet éolien géant avec batteries), conclu en marge de la COP28.
«Un brouillard de déni climatique»
Un avis que ne partagent pas les acteurs de la société civile, qui alertent depuis des années sur l’influence des énergies fossiles à la COP. C’est le cas de la cofondatrice de Start Empowerment, Alexia Leclerq : «Vous pensez vraiment que Shell, Chevron ou ExxonMobil envoient des lobbyistes pour observer passivement ces négociations ? […] La présence empoisonnée des grands pollueurs nous enlise depuis des années. C’est à cause d’eux que la COP28 est plongée dans un brouillard de déni climatique, et non dans la réalité climatique».
Même son de cloche chez Muhammed Lamin Saidykhan, responsable du Réseau Action climat international : «La fenêtre de préservation d’une planète vivable se referme rapidement. Dans le même temps, un nombre toujours plus important de grands pollueurs sont autorisés à se promener lors de ce sommet, que les communautés en première ligne ne peuvent se permettre de voir échouer une fois de plus».
Si les entreprises des énergies fossiles concentrent tous les regards, d’autres industries polluantes sont représentées à la COP, de l’aviation à la finance, en passant par l’agro-industrie.
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