Quentin Parrinello est directeur des politiques publiques à l’Observatoire européen de la fiscalité, un centre de recherche indépendant fondé par l’économiste Gabriel Zucman pour approfondir ses travaux sur les inégalités fiscales et les pistes pour y remédier. La taxation des ultra-riches (dont le patrimoine atteint 100 millions d’euros ou plus) est au cœur de ses recherches.
Ce jeudi, le groupe écologiste du Sénat défend une proposition de loi visant à mettre en œuvre la taxe Zucman. De quoi s’agit-il exactement ?
L’idée de la taxe Zucman est née en 2024 d’un rapport commandé par la présidence brésilienne du G20 à Gabriel Zucman, économiste et fondateur de l’Observatoire européen de la fiscalité. L’objectif : examiner les conditions d’une meilleure mise à contribution des ultra-riches aux finances publiques, alors que des études récentes venaient de démontrer que, partout dans le monde, les grandes fortunes sont beaucoup moins taxées que le reste de la population.
En France par exemple, l’Institut des politiques publiques a démontré que les ultra-riches français ont seulement 27% de prélèvements (tous impôts confondus) en proportion de leurs revenus, contre 50% en moyenne pour le reste de la population française. Si on élargit à l’ensemble de leur patrimoine, cela ne représente que 0,2% de leur richesse.

Cela s’explique par les allègements successifs de la fiscalité des plus riches ces 40 dernières années (suppression de l’ISF, flat tax, etc). Et par le recours systématique des ultra-riches à des montages financiers leur permettant d’échapper à l’impôt sur le revenu.
Dans son rapport au G20, Gabriel Zucman propose donc de taxer, non pas le revenu, mais le patrimoine des ultra-riches. Un taux plancher de 2% permettrait de rétablir l’équité en les taxant autant (en proportion) que le reste de la population.
En France, l’instauration de cet impôt plancher de 2% sur le patrimoine des 1 800 foyers fiscaux qui ont 100 millions d’euros ou plus de patrimoine pourrait rapporter entre 15 et 25 milliards d’euros par an. Pour mémoire, le gouvernement cherche 40 milliards d’euros d’ici au prochain vote sur le budget.
Vous dites que les ultra-riches savent échapper à l’impôt. Ne risquent-ils pas de s’évader fiscalement, sapant ainsi l’efficacité de la mesure ?
Toutes les études qui existent sur le sujet montrent que les départs des ultra-riches après une hausse d’impôts restent très rares. Sans compter que la proposition de loi des Écologistes prévoit un dispositif de dissuasion selon lequel les contribuables qui, après avoir résidé dix ans en France, choisiraient de s’expatrier, resteront imposables en France encore cinq ans.
Et quand bien même nos milliardaires s’exileraient tous dans un paradis fiscal, leur facture fiscale baisserait à peine – idem pour les recettes de la France – puisque je vous rappelle qu’ils ne paient aujourd’hui quasiment aucun impôt.
La taxe Zucman fait consensus chez des experts de tous bords. Par contre, elle rencontre un plafond de verre politique et institutionnel. Quoique les choses sont en train de changer…
La proposition de loi a été adoptée à l’Assemblée nationale grâce à l’étrange désertion de ses opposant·es politiques. Que peut-on attendre au Sénat ?
En effet, les députés ont adopté le texte en février dernier, à 116 voix contre 39, dans un hémicycle largement déserté. Notre lecture est qu’il est devenu coûteux politiquement – voire électoralement – de voter contre une telle mesure qui épargne 99,9% des Français, alors qu’on cherche des dizaines de milliards pour combler le déficit public. Selon un sondage de septembre 2024 commandé par Oxfam, 78% des sondés soutiennent l’idée d’une taxation minimale des ultra-riches.
Au Sénat, la majorité de droite a rejeté le texte en commission. Si elle réitère en séance publique, il reviendra à l’Assemblée pour une seconde lecture. On pourra déplorer cette précieuse perte de temps, mais je pense que l’espace politique ne cessera plus de s’ouvrir sur ce sujet.
Le débat politique a déjà énormément évolué en quelques années. Alors que le premier quinquennat Macron a débuté par la suppression de l’impôt la fortune, le gouvernement actuel réfléchit à une contribution des ultra-riches, même si ses pistes sont infiniment moins ambitieuses et efficaces que la taxe Zucman.
La France pourrait être le premier pays à instaurer la taxe Zucman, mais les discussions progressent dans d’autres pays, notamment grâce à l’impulsion du G20. Des projets de loi sont en discussion au Brésil, en Belgique ou au Pays-Bas. La commission européenne vient de commander un rapport sur la faisabilité d’imposition du capital et de la fortune.
Le sujet est économique, mais pas seulement. Il y a un très fort lien entre la concentration des richesses et l’actuel déclin environnemental et démocratique. Lutter contre l’une permettra de lutter contre les deux autres.
Comment expliquer ce lien entre concentration des richesses, environnement et démocratie ?
Il faut considérer les éléments suivants : de nombreux travaux, notamment ceux de Lucas Chancel, ont démontré la responsabilité démesurée des plus aisés dans la crise climatique ; ensuite, on sait que les plus riches ont les patrimoines financiers les plus carbonés, car ce sont aussi les investissements les plus rentables.
Ils ont donc tout intérêt à freiner les politiques publiques environnementales qui menacent de saper cette rentabilité. Pour cela, ils influencent le débat et les décisions publiques avec leurs médias ou d’autres armes d’influence.
Aux États-Unis, les milliardaires sont même allés jusqu’à intégrer directement la décision politique avec une confiscation démocratique à la clé. Rééquilibrer la taxation des plus riches pour limiter la concentration des richesses est de nature à freiner ces phénomènes.