On vous explique

Microplastiques, traitements interdits, complicité de l’État… tout comprendre au scandale des eaux minérales Nestlé

Poison dans l’eau. Samedi, Mediapart a révélé que les eaux Contrex et Hépar, produites dans les Vosges par le géant de l’agroalimentaire Nestlé, sont massivement contaminées aux microplastiques. Un énième rebondissement dans ce scandale qui a éclaté il y a plus d’un an. Vert fait le point.
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Perrier, Vittel, Contrex… Les eaux produites par la multinationale suisse Nestlé n’ont pas fini de faire parler d’elles. Après la révélation, courant 2024, de la pollution de plusieurs sources des Vosges et du Gard aux pesticides, aux matières fécales et aux PFAS (aussi appelés «polluants éternels»), le média d’investigation Mediapart dévoile ce samedi que ses eaux Contrex et Hépar sont massivement contaminées aux microplastiques. Le dernier volet d’un scandale qui dure depuis plus d’un an.

30 janvier 2024 : le scandale éclate

Le 30 janvier 2024, une enquête du Monde et de la cellule investigation de Radio France révèle que, pendant des années, des eaux en bouteille de plusieurs industriels de l’agroalimentaire – parmi lesquels le géant suisse Nestlé – ont reçu des traitements interdits tels que des filtres à charbons ou des traitements ultraviolets (UV).

Paris, le 8 mars. Au rayon des eaux minérales, le consommateur patauge. © Éric Beracassat/Hans Lucas via AFP

Ces techniques de purification sont illégales car les eaux minérales et les eaux de source, puisées en profondeur, sont normalement préservées de la pollution : «Elles ne peuvent donc faire l’objet que d’un nombre très limité de traitements de purification», explique Radio France. L’entreprise, qui a reconnu les faits, a caché au public que l’eau pompée était traitée, continuant de la commercialiser comme si de rien n’était.

L’enquête dévoile également les arrangements secrets entre Nestlé Waters, la filiale eau du groupe Nestlé, et le gouvernement français pour contourner ses obligations et assouplir les réglementations. Informé de ces pratiques dès 2021, ce dernier n’a pas saisi le procureur de la République, ni informé les États membres de l’Union européenne ou la Commission européenne. Au contraire, le gouvernement français a décidé en 2023 d’assouplir la règlementation, en autorisant la microfiltration par une modification des arrêtés préfectoraux.

Pourquoi le géant Nestlé filtrait-il ses eaux ?

Le lendemain des premières révélations dans la presse – le 31 janvier –, le parquet d’Épinal (Vosges) ouvre une enquête préliminaire pour «tromperie» à l’encontre de Nestlé Waters.

L’enquête judiciaire suit son cours quand, en avril 2024, Le Monde publie un deuxième volet de son enquête, qui révèle l’existence d’une note confidentielle de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses), remise au ministère de la Santé en octobre 2023. Dans cette note, on comprend enfin pourquoi Nestlé traite ses eaux illégalement : il s’agissait de masquer la contamination de ses sources aux pesticides, aux PFAS mais aussi… aux bactéries fécales.

La note fait en effet état de «la survenue a priori transitoire, de contaminations microbiologiques d’origine fécale dans certaines ressources servant à la production d’eaux minérales naturelles embouteillées». Et ce «tant sur les sites des Vosges (Vittel, Contrex, Hépar) que du Gard (Perrier)».

Des techniques de purification qui existent depuis plus de 15 ans

Le 18 juillet 2024, Mediapart révèle que les techniques utilisées par Nestlé pour purifier ses eaux minérales durent depuis plus de quinze ans. La multinationale a ainsi vendu plus de 18 milliards de bouteilles d’eau dont la qualité équivalait à l’eau du robinet, mais à un prix près de cent fois supérieur, détaille l’enquête. Cela lui a permis d’empocher plus de trois milliards d’euros.

Par ailleurs, dans un deuxième volet de son enquête publié quelques jours plus tard, le média en ligne revient à la charge et montre que pendant 27 ans, de 1992 à 2019, la multinationale Nestlé a prélevé au moins 19 milliards de litres d’eau dans les Vosges sans autorisation, ni étude d’impact. Il n’y a pas non plus de trace du paiement de la redevance sur l’eau, pourtant obligatoire, révèle un rapport d’enquête de l’Office français de la biodiversité.

Nestlé évite le procès et accepte de payer une amende

Le 2 septembre 2024, d’après France info, Nestlé Waters conclut une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) avec le parquet d’Épinal (Vosges), qui lui permet d’éviter un procès en échange d’une amende de deux millions d’euros. Le groupe est visé jusque-là pour deux affaires : des forages illégaux dans les Vosges (une autre affaire révélée fin juillet 2024), et les traitements non-autorisés pour assainir ses eaux minérales. Il doit alors indemniser des associations requérantes – dont Vosges Nature Environnement, Foodwatch et Eau 88 – et restaurer les zones humides impactées.

Des membres de l’ONG européenne Foodwatch se rassemblent devant le Tribunal de Grande Instance de Paris après que l’ONG a déposé une plainte contre Nestlé Waters et le groupe Sources Alma, en février 2024. © Kiran Ridley/AFP

Les jours suivants, Foodwatch publie un communiqué dans lequel l’ONG dit «refuser l’argent de Nestlé Waters». Elle porte plainte contre l’industriel, ce qui donne lieu à l’ouverture d’une information judiciaire.

Dans le même temps, l’Agence régionale de santé (ARS) d’Occitanie estime que Nestlé doit envisager un «arrêt de la production d’eau minérale» de sa marque Perrier sur le site de Vergèze, dans le Gard. D’après un rapport d’inspection daté du 30 août 2024 (Franceinfo et Le Monde), il existerait un «risque virologique» avéré pour les consommateur·ices, à cause de la dégradation de la qualité des nappes d’eau souterraines.

Des précisions sur la complicité du gouvernement

En février 2025, Le Monde et Radio France détaillent la manière dont le gouvernement a cédé au lobbying du géant de l’eau en bouteilles Nestlé Waters pendant plusieurs années. Échanges d’e-mails et notes ministérielles à l’appui, les deux médias révèlent notamment que le gouvernement a reçu plusieurs alertes de la part des autorités sanitaires, sans y prêter attention. Pour la première fois, l’ancien directeur de cabinet d’Élisabeth Borne, Aurélien Rousseau, reconnaît «une erreur d’appréciation manifeste sur la profondeur du sujet».

Après six mois de travaux et plus de 70 auditions, la commission d’enquête sénatoriale sur les pratiques des industriels de l’eau en bouteille a confirmé le 19 mai dernier que l’État français a bien été le complice de Nestlé Waters dans l’affaire du traitement illicite de ses eaux. «Outre le manque de transparence de Nestlé Waters, il faut souligner celui de l’État, à la fois vis-à-vis des autorités locales et européennes et vis-à-vis des Français (…), dénonce le rapport. Cette dissimulation relève d’une stratégie délibérée.»

Les eaux Contrex et Hépar contaminées aux microplastiques

C’est le dernier rebondissement en date. Ce samedi 9 août, Mediapart révèle que les eaux Contrex et Hépar, produites par Nestlé dans les Vosges, sont massivement contaminées aux microplastiques. Cette enquête s’appuie sur les conclusions du pôle régional environnement du parquet de Nancy (Meurthe-et-Moselle), qui a investigué durant plusieurs mois.

Les taux de pollution, qui dépassent de plusieurs milliers de fois les concentrations habituelles dans l’eau – dans des analyses faites par l’Office français de la biodiversité (OFB) au sein des usines, les eaux Hépar contiennent jusqu’à 328 000 fois plus de plastique que la Seine, les eaux Contrex : 1,3 million-, ont été qualifiés d’«exorbitants» par le magistrat en charge du dossier.

Ironie de l’affaire : c’est Nestlé lui-même qui est à l’origine de cette pollution. Depuis au moins 2016, l’industriel a laissé s’accumuler des décharges sauvages près de ses forages, à Contrexéville (Vosges). Résidus de bouteilles en plastique, de verre, et même quelques plaques d’amiante. Le volume de ces déchets est tel que l’on pourrait remplir 66 piscines olympiques.

Interrogé par Mediapart, Nestlé assure qu’«aucune pollution n’est avérée aux termes des analyses environnementales partagées avec les autorités». Pour avoir stocké des déchets et maintenu d’autres décharges sauvages, notamment à They-sous-Montfort, Saint-Ouen-Les-Parey et Crainvilliers (Vosges), Nestlé sera jugé 24 au 28 novembre par le tribunal correctionnel de Nancy.

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