Décryptage

Dans les Vosges, les affaires troubles du géant Nestlé Waters

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De l’eau dans le gaz. Décharges sauvages, traitements illégaux, perquisitions, commission sénatoriale… Le géant de l’eau en bouteille Nestlé Waters connaît des turbulences depuis plusieurs semaines. On récapitule les affaires en cours.

Ça vole toujours en escadrille… La multinationale qui commercialise Perrier, Vittel, Hépar, et Contrex a été perquisitionnée dans les Vosges le 9 avril dernier. En cause : d’anciennes décharges non nettoyées. Quelques jours plus tôt, elle avait été épinglée pour avoir traité illégalement des eaux naturelles polluées. Le 11 avril, le Sénat a annoncé qu’il allait se pencher sur le sujet, sous la houlette d’une élue écologiste, Antoinette Gühl.

Décharges sauvages

Mardi 9 avril, la gendarmerie a perquisitionné les sites d’embouteillage Nestlé Waters de Contrexéville et Vittel dans les Vosges, a révélé France Bleu. Les forces de l’ordre intervenaient à la suite d’une plainte pour atteinte à l’environnement et à la santé publique déposée en 2023 par le collectif Eau 88. Ce dernier dénonce la présence de décharges sauvages de résidus de bouteilles en plastique à proximité des usines, à Saint-Ouen-lès-Parey et They-sous-Montfort. Plus de 40 000 mètres cube de PVC reposeraient dans des fosses en terre. En septembre 2023, l’émission Envoyé spécial dévoilait des images édifiantes de cette décharge, ainsi que de trois autres, dont Nestlé a reconnu l’existence en 2017.

Sollicité par Vert, le groupe a répondu par écrit que les dépôts en question «datent des années 1960, avant que Nestlé Waters ne devienne propriétaire du site des Vosges». «Nous rappelons que Nestlé Waters s’est engagée à agir et financer tout ce qui sera nécessaire», est-il précisé. Interrogé sur les raisons de cette pollution, la quantité et le type de déchets, Nestlé France a répondu ne pas être «en mesure de partager plus d’informations».

Des membres de l’ONG européenne Foodwatch se rassemblent devant le Tribunal de Grande Instance de Paris après que l’ONG a déposé une plainte contre Nestlé Waters et le groupe Sources Alma, en février 2024. © Kiran Ridley/AFP

Des eaux contaminées et traitées en secret

Ces perquisitions interviennent cinq jours après que Le Monde a révélé la teneur d’une note confidentielle de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses), remise au ministère de la Santé en octobre 2023. Celle-ci pointe le fait que les sources d’eaux minérales commercialisées par Nestlé en France sont contaminées par des bactéries, des pesticides et des PFAS.

En janvier 2024, le quotidien, ainsi que Radio France, avaient justement enquêté sur les pratiques de la multinationale suisse qui, pour purifier ses eaux de source, a eu recours pendant plusieurs années à des traitements interdits : microfiltration en deçà de 0.8 microns, désinfection par ultraviolets et traitement par charbon actif. Nestlé Waters avait alors invoqué «l’évolution des conditions climatiques et environnementales» et «l’expansion des activités humaines autour des sites» qui dégraderaient la qualité de l’eau.

Normalement, les eaux minérales et les eaux de source, puisées en profondeur, sont préservées de la pollution et «elles ne peuvent donc faire l’objet que d’un nombre très limité de traitements de purification», explique Radio France. L’entreprise, qui a reconnu les faits, a caché au public que l’eau pompée était contaminée, puis traitée, continuant de la commercialiser comme si de rien n’était. Dans sa réponse à Vert, Nestlé Waters assure que «la qualité de ses eaux minérales naturelles ont toujours été garanties (sic)».

Des conséquences à venir

Informé de ces pratiques dès 2021, le gouvernement n’a pourtant pas saisi le procureur de la République, ni informé les États membres de l’Union ou de la Commission européennes. Au contraire, il a décidé en 2023 d’assouplir la règlementation, en autorisant la microfiltration par une modification des arrêtés préfectoraux. Cette pratique a été maintenue, alors que Nestlé Waters assure avoir renforcé les contrôle et mis fin aux traitements UV et aux filtres à charbon actif.

«Non seulement l’eau contenue dans ces bouteilles en plastique dépasse les normes sanitaires – donc on nous a menti là-dessus -, mais en plus l’État, en collusion totale avec cet industriel, a décidé de baisser règlementairement ces normes pour que ça passe quand même», s’est indignée la secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier. Interpellé par un sénateur socialiste, le ministre de la Santé Frédéric Valletoux a assuré que le plan de surveillance renforcé préconisé par l’Anses était mis en œuvre sur deux sites et assuré que «les eaux mises en ventes respectaient et respectent les normes sanitaires».

En 2022, une enquête préliminaire pour tromperie au Code de la santé publique a été ouverte par le parquet d’Épinal (Vosges). L’ONG Foodwatch, qui lutte pour plus de transparence alimentaire, a porté plainte contre Nestlé Waters et Sources Alma auprès du Tribunal judiciaire de Paris en février 2024. Elle demande aujourd’hui le rappel des bouteilles – ce qu’exclut l’entreprise à ce stade – et une meilleure information auprès des pays importateurs en Europe. Le Sénat s’est engagé à rendre un rapport sur le sujet avant la mi-juillet.